Nous pouvions évidemment nous poser la question à savoir s’il était réellement nécessaire, voire pertinent, de ramener le personnage de Judge Dredd au grand écran, et surtout si le public serait simplement au rendez-vous. Il faut dire que la première apparition de ce dernier au cinéma sous les traits de l’illustre
Sylvester Stallone aura laissé un goût bien amer dans la bouche des cinéphiles comme des aficionados du justicier et de l’univers dystopique imaginés par John Wagner et Carlos Ezquerra. Nous aurions pu croire ainsi que cette nouvelle entreprise ne se révélerait être au final qu’une autre opération mineure menée par Hollywood en cet ère du remâché pour tenter de faire quelques dollars sur le dos d’une franchise qui n’avait visiblement pas été prise très au sérieux lors du premier tour de piste. Le présent
Dredd du Britannique
Pete Travis pouvait néanmoins paraître étonnamment prometteur lorsque nous remontions jusqu’à la racine du projet. Nous y retrouvions alors plusieurs proches collaborateurs du réalisateur
Danny Boyle tels Alex Garland (
28 Days Later,
Sunshine) à la scénarisation, Andrew Macdonald (qui a travaillé sur six des longs métrages du cinéaste oscarisé) à la production, et Anthony Dod Mantle (
Slumdog Millionaire,
127 Hours) à la direction photo. L’exercice semblait donc s’être retrouvé entre de très bonnes mains, nous permettant d’espérer que celui-ci aurait reçu le feu vert des studios pour la qualité de sa prémisse et de ses artisans et non que pour d’uniques considérations commerciales. Bref, contre toute attente,
Dredd marque le retour en force, voire la résurrection cinématographique, d’un personnage demeurant assez peu connu du grand public. Un spectacle qui saura satisfaire les amateurs de cinéma de genre de par sa violence extrême et l’impressionnante rigueur avec laquelle il fut mené à terme.
Les spectateurs familiers avec le percutant
The Raid: Redemption de
Gareth Evans se retrouveront immédiatement en terrains connus, le parcours narratif de
Dredd se révélant pratiquement identique à celui du film de 2011. Notre juge vedette (
Karl Urban) et une jeune recrue du nom d’Anderson (
Olivia Thirlby) se retrouveront ainsi coincés au coeur d’une immense tour baignant dans le crime et la pauvreté lorsque la patronne des lieux (
Lena Headey), une ancienne prostituée devenue chef de gang et trafiquante de drogue, sonnera la charge afin d’éliminer nos deux représentants de la loi, et ainsi empêcher l’interrogation de l’un de ses hommes de main. Le duo devra dès lors tenter de survivre aux assauts répétés des sbires de la maîtresse des lieux dans des décors sombres et délabrés évoquant eux aussi ceux du film d’Evans. Si nous pourrions facilement accuser le film de Pete Travis de plagiat sur l’unique base de sa prémisse,
Dredd parvient néanmoins à développer suffisamment d’éléments originaux tout en accordant une importance accrue à l’essence de son protagoniste pour permettre à l’ensemble de se démarquer par ses propres moyens. Le discours d’Alex Garland se déploiera du coup à travers les vives oppositions sur lesquelles reposera l’union professionnelle de Dredd et Anderson. La chevelure d’un blond éclatant de la jeune femme contrastera avec la noirceur et la dureté caractéristiques du personnage titre tandis que son refus de porter ce casque emblématique devant la protéger, voire cacher son visage tel un bourreau, sous prétexte que celui-ci interférerait avec ses pouvoirs télépathiques, lui permettra de dévoiler des traits beaucoup plus fins et d’intégrer une certaine sensibilité à un service de justice autrement sans visage. Des images, certes, dessinées à gros traits dans un univers n’étant pas reconnu pour faire dans la dentelle, mais qui ont le mérite d’aller droit au but, et surtout de demeurer pertinentes.
À l’instar du remake de
Total Recall que nous proposait récemment
Len Wiseman, la forme comme le fond de
Dredd évoquent eux aussi très clairement ceux du jeu vidéo. On pense à la réalité d’un futur post-apocalyptique, à la façon dont sont orchestrées les séquences d’action, à l’utilisation répétée de plans à la première et à la troisième personne, aux sublimes ralentis illustrant l’état d’esprit des individus sous l’influence de la substance illicite en cause, et à l’évolution d’une structure narrative par niveaux, progression nettement définie par l’ascension des étages de cet édifice qui s’avère être une cité en soi. La direction photo d’Anthony Dod Mantle fera également écho aux cases de la bande dessinée de par le découpage de ses cadres, son travail sur la perspective, la saturation des couleurs et certains jeux de lumière, relevant avec aplomb l’insalubrité comme le danger inhérent aux environnements visités, tandis que les accents techno et ambient de la bande originale de Paul Leonard-Morgan (
Limitless) rythmeront avec fougue ce parcours des plus trépidants. Une démarche servant allègrement l’édification d’un monde cyberpunk dans lequel bien des cinéastes se seront immiscés au cours des années 90, mais sans toujours sembler en mesure - ou avoir l’autorisation des producteurs - d'en dépeindre la barbarie comme la saleté et le climat d’oppression sociale d’une manière qui soit réellement affolante. Une violence excessive qu’exploitent pour leur part Pete Travis et ses acolytes d’une manière aussi graphique que viscérale, misant sur la surenchère pour façonner leur réflexion sur les fondements moraux du régime judiciaire mis en scène. Dredd sera d’ailleurs souvent présenté comme un psychopathe grognant et exécutant les coupables sans arrière-pensées, par simple devoir, tandis que sa nouvelle partenaire tentera de raviver les idéaux qui devraient normalement définir un tel désir de faire régner l’ordre - et qui auront visiblement été oubliés par une poignée de juges corrompus.
Dredd arrive certainement à un moment plus qu’opportun alors que les géants de la bande dessinée américaine s’affairent présentement à corriger le tir suite aux premiers passages plutôt boiteux de certains héros au grand écran. Mais contrairement au
The Amazing Spider-Man de
Marc Webb, voire au
Batman Begins de
Christopher Nolan, le film de Pete Travis ne s’impose pas comme un retour à la case départ, comme un exercice ayant pour but d’explorer les origines du personnage, mais plutôt comme un numéro qui pourrait facilement s’insérer dans une série déjà en cours. Travis et Garland résumeront d’ailleurs en un éclair, mais néanmoins efficacement, l’univers dans lequel ils désirent nous plonger pour ensuite concentrer toutes leurs énergies sur les rouages de leur intrigue. De leur côté, si Urban défend adéquatement la carrure d’un personnage dont la gamme d’émotions s’avère, certes, assez limitée - nous donnant parfois l’impression d’avoir affaire à un Robocop fait uniquement de chair et d’os -, et Thirlby incarne avec conviction et candeur cette parcelle d’humanité illuminant un univers autrement froid et hostile, c’est néanmoins Lena Headey qui tire le plus son épingle du jeu ici de par sa prestation tout en contrôle d’une antagoniste aussi imposante qu’effacée, une bombe prête à exploser à tout moment - littéralement. En somme,
Dredd s’impose comme une surprise de taille au milieu d’un créneau accumulant d’ordinaire les produits inachevés et inintéressants. Un spectacle brutal réalisé avec conviction et savoir-faire et relevant ce défi non négligeable de satisfaire son public indépendamment du niveau de lecture par lequel celui-ci voudra l’aborder, excitant autant que les meilleures pétarades issues de la belle époque du film d’action tout en secouant sans gêne - et avec une étonnante dextérité - les bases de son propre manichéisme.