DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Pusher III (2005)
Nicolas Winding Refn

Le jour le plus long

Par Jean-François Vandeuren
Autant Pusher II venait cimenter une démarche épisodique pour le moins inusité, déployant un univers cinématographique à partir des frasques de protagonistes à usage unique, autant Nicolas Winding Refn aura voulu repousser les limites de la série avec Pusher III en élaborant une trame narrative beaucoup plus concise que celles des films précédents. Ainsi, si l’opus de 1996 s’étalait sur une semaine et celui de 2004 sur une période de temps beaucoup plus hypothétique, le Danois aura confiné cette fois-ci son récit à l’intérieur d’une seule journée. Le protagoniste dont nous serons témoins de la déchéance sera à présent nul autre que Milo (Zlatko Buric), le parrain de la mafia serbe que le personnage principal du premier épisode avait réussi à faire sortir de ses gonds et qui n’avait eu droit qu’à une très brève apparition dans le second volet, laquelle avait visiblement pour but de rappeler son existence au spectateur et ainsi créer un pont vers cet ultime chapitre. Ce dernier vivra une journée des plus stressantes alors qu’il devra jongler entre ses problèmes de dépendance à la drogue, les préparatifs entourant le vingt-cinquième anniversaire de sa fille Milena et les complications entourant la vente d’une importante quantité d’ecstasy, qui finiront par faire valser Milo entre les positions de dominant et de dominé. Le tout tandis que la nouvelle génération de criminels de Copenhague, beaucoup plus incisive et moins respectueuse des traditions du milieu, tentera de faire une percée sous le nez des vieux de la vieille comme Milo, eux qui n’ont évidemment plus les mêmes réflexes qu’autrefois. Le vétéran prouvera néanmoins qu’il possède toujours la force nécessaire pour faire regretter ceux qui désireraient abuser de sa patience, et surtout de sa confiance.

L’ensemble des événements de Pusher III tourneront ainsi autour de ce sentiment de perte de contrôle qui affligera progressivement Milo dans chacune des facettes de son existence, elle qui se manifestera après une entrée en matière qui nous présentait pourtant le protagoniste au milieu d’une séance de soutien aux toxicomanes. Ce dernier semblera à ce moment bien déterminé à remettre de l’ordre dans sa tête et à venir à bout de cette longue journée sans succomber à la tentation de remédier aux stupéfiants pour l’aider à avancer. Le tout se révélera évidemment beaucoup plus facile à dire qu’à accomplir alors que les faux pas se succéderont à un tel rythme qu’ils finiront par venir à bout des moyens de Milo et, ultimement, de son leadership. Ce dernier jouera d’une part de malchance (ses principaux hommes de main tombant comme des mouches après avoir goûté aux « talents » de cuisinier de leur patron) en plus d’être victime d’une erreur (une bévue au niveau de la marchandise reçue) qui, au final, se révélera une ruse visant à le faire tomber de son trône. Ses adversaires chercheront du coup à prendre avantage sur l’homme vieillissant, le poussant petit à petit à jouer les serviteurs sans que ce dernier ne puisse dire ou faire quoi que ce soit. Mais l’affront le plus significatif viendra toutefois de sa progéniture, qu’il aura visiblement beaucoup trop gâtée, qui ira jusqu’à menacer son géniteur de faire affaire avec ses ennemis s’il ne lui en donne pas encore plus que ce qu’elle reçoit déjà. Campée avec assurance par Marinela Dekic, Milena fera alors preuve d’un égocentrisme et d’une avidité qui en feront aussitôt l’un des personnages les plus détestables de la trilogie.

Le cinéaste danois relèvera évidemment du début à la fin le lourd poids de la dépendance pesant sur les épaules - robustes, jusqu’à un certain point - de Milo. Un long combat contre de vieux démons que ce dernier sera, certes, bien décidé à remporter, lequel sera amplifié avec une efficacité remarquable par une mise en scène entrant en parfait symbiose avec l’état d’esprit du personnage et son univers. La caméra à l’épaule empreinte de nervosité, mais toujours d’une grande précision, du directeur photo Morten Søborg relèvera du coup l’étrange empathie manifestée par le cinéaste à l’égard de son protagoniste tout en s’immisçant au coeur d’un monde de plus en plus sombre dont les recoins ne brillent toujours pas par leur salubrité. Zlatko Buric donnera vie au personnage par l’entremise d’une performance on ne peut plus habitée, massant continuellement son front de ses mains qui ne rajeunissent pas elles non plus, comme s’il cherchait à se convaincre lui-même de garder le cap tandis que la caméra se rapprochera toujours un peu plus de son visages, laissant paraître les signes d’un dérapage qui semblera toujours plus inévitable. Une explosion qui finira par se produire face à la pression de plus en plus insoutenable d’un entourage l’invitant continuellement au vice, comme si les bonnes intentions et les nouveaux départs pouvaient toujours être remis à demain. Le problème, c’est que plus Milo se débattra, plus ce lendemain paraîtra incertain. Une chute qui sera d’autant plus accentuée par les sombres ambiances comme les bruits stridents d’une bande originale soulignant chacun des durs coups qu’encaissera cet antihéros tentant tant bien que mal d’éviter le pire, mais dont les impulsions finiront par anéantir tout le progrès qu’il aura pu accomplir auparavant.

Pusher III, c’est l’histoire de la fin du règne d’un roi assistant impuissant à l’écroulement de son royaume face à de nouveaux souverains ne se gênant pas pour abuser d’une parole n’ayant plus la moindre valeur. La lente descente aux enfers d’un protagoniste cherchant par tous les moyens à demeurer au sommet. Une tension des plus soutenues doublée d’un profond sentiment de frustration que le cinéaste danois gèrera avec un aplomb incomparable, nous faisant bien sentir la lourdeur du temps qui passe non plus à l’image de l’ultimatum qui devait être respecté dans le premier épisode, mais plutôt comme une lente agonie. Le prix de la combativité dont fera preuve Milo se révélera ainsi particulièrement élevé au bout du compte, lui qui aura préférer tout sacrifier - consciemment ou non - plutôt que de se retrouver à la merci de quelqu’un d’autre. Les événements marqueront du coup le retour d’un autre personnage qui devra lui aussi revenir à des méthodes qu’il croyait avoir laissées loin derrière pour un dernier fait d’armes qui mènera ici à l’une des séquences les plus grotesques et percutantes de la série, laquelle sera d’autant plus étirée par le réalisateur sur plusieurs longues minutes afin d’en souligner allègrement l’horreur comme les gestes totalement désincarnées que nécessitera l’opération. Lorsque le jour se lèvera finalement le lendemain, nous nous douterons bien de la suite des choses alors que nous apercevrons Milo dans une dernière position de pouvoir devant un royaume asséché. Le seul point final possible d’une trilogie qui aura su montrer le crime sous son jour le moins glorieux avec une maîtrise et une puissance dramatique dignes des plus grands cinéastes s’étant immiscés dans pareil milieu par le passé.
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Critique publiée le 16 juillet 2012.