DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Magic Mike (2012)
Steven Soderbergh

The Boyfriend Experience

Par Jean-François Vandeuren
Il n’est pas si surprenant de retrouver Steven Soderbergh à la barre d’un projet comme Magic Mike, lui qui s’était déjà immiscé dans l’univers de l’industrie du sexe il n’y a pas si longtemps avec le fascinant The Girlfriend Experience. S’il était davantage question dans l’opus de 2009 de la situation d’une Amérique plongée en pleine crise économique que des dessous plus ou moins reluisants du métier d’escorte de luxe - des thèmes que revisite à sa façon le scénario de Reid Carolin, Magic Mike concentre, pour sa part, ses énergies sur l’impact que finira par avoir un tel milieu sur la vie personnelle et professionnelle de son personnage titre (interprété par Channing Tatum). Le tout à partir d’un récit, certes, beaucoup plus classique, mais pour lequel le réalisateur n’aura encore une fois eu aucune difficulté à adapter ses méthodes. La présente histoire est d’ailleurs inspirée en partie du passé de stripteaseur de l’acteur, métier qu’il avait pratiqué alors qu’il était âgé de dix-neuf ans. Désormais dans la trentaine, ce sera son personnage qui recrutera à présent le jeune Adam (Alex Pettyfer), dont la situation financière se voulait jusqu’alors des plus précaires, afin que ce dernier vienne travailler au sein de l’établissement de Dallas (Matthew McConaughey), où Mike se produit toutes les fins de semaine depuis six ans. Après avoir eu la chance de prouver sa valeur et d’intégrer la troupe de danseurs exotiques, Adam découvrira les joies de ce monde baignant dans la luxure face auquel il est toujours possible de demeurer en contrôle, même s’il est évidemment beaucoup plus facile de s’y perdre et de se retrouver dans une position assez peu enviable.

Il sera néanmoins clair d’entrée de jeu que ce sera de nouveau le côté business propre à ce type de marchés auquel Soderbergh accordera le plus d’importance, introduisant son protagoniste comme un travailleur de la construction et un entrepreneur avant de prendre le temps de souligner la manière particulièrement organisée et responsable dont l’entreprise de Dallas est gérée. Les écarts de conduite et les différents problèmes auxquels sera confronté Adam seront présentés du coup comme les conséquences d’un caractère immature plutôt que comme le simple résultat de son arrivée dans ce milieu synonyme d’excès. L’appartenance à celui-ci se révélera néanmoins problématique lorsque Mike cherchera à être pris un peu plus au sérieux par le monde extérieur. Un obstacle qui se traduira dans un premier temps par le refus d’une banque de lui accorder un prêt pour démarrer une entreprise, et ce, malgré une mise de fonds plus que suffisantes, en raison de la faiblesse de son crédit - ses transactions s’effectuant le plus souvent en argent comptant, évidemment. Le même son de cloche se fera entendre auprès de cette femme avec qui Mike aimerait bien développer une relation plus sérieuse, mais qui, de son côté, ne le considérera jamais comme une option sérieuse en dehors des plaisirs charnels en raison de son domaine d’expertise. Une chose que tentera bien de lui faire comprendre Brooke (Cody Horn), la soeur d’Adam, qui révélera son caractère un peu coincé à force de devoir jouer les figures maternelles et responsables, connaissant bien ce qu’implique de devoir gagner sa vie à la dure comme les gens normaux, en soulignant que le chemin le plus facile n’est pas toujours le meilleur à long terme pour se rendre à destination.

Évidemment, Magic Mike parvient à faire part d’une telle consistance sur le plan scénaristique et une telle efficacité au niveau de la mise en scène grâce au traitement toujours aussi rigoureux, mais jamais trop rigide, de Steven Soderbergh. De sorte que ce récit qui aurait pu s’enfoncer à tout moment dans une guimauve complètement artificielle, et aucunement assumée, et une diabolisation systématique de ce genre d’univers, autour duquel gravitent toujours plusieurs idées préconçues, présente au final des bases érigées d’une manière étonnamment réfléchie, dont un protagoniste présentant une humanité des plus senties, dans sa grande générosité comme sa vulnérabilité, et des personnages secondaires qui, à défaut d’être aussi approfondis, remplissent néanmoins allègrement leurs mandats respectifs. Une approche suffisamment réaliste, évacuant toutes sources de mélodrame, qui sera particulièrement renforcée par Soderbergh lors des séquences de dialogues, marquées par une proximité accrue au niveau sonore, renforcée par l’absence de musique - sauf si ambiante à la scène - et une construction visuelle aussi simple qu’effective dans la création d’affect comme du penchant plus humoristique du film. Nous avons ainsi droit une fois de plus au meilleur des deux mondes du cinéaste, entre les élans plus caractéristiques de ses productions indépendantes (le budget de Magic Mike ne s’élevant d’ailleurs qu’à cinq millions de dollars) et une trame narrative plus typique de ce que nous offrent habituellement les grands studios. La signature visuelle du réalisateur américain, et cette façon toujours aussi inusitée de positionner sa caméra, sera également mise à profit lors des performances scéniques particulièrement énergiques et des moments plus intimes, où il proposera une proximité avec ses personnages qui inspirera autant d’émotions fortes que de la sympathie et un certain malaise.

Une production comme Magic Mike sera évidemment vite étiquetée, sa mise en marché l’ayant d’ailleurs vendue comme un plaisir coupable destiné à un public exclusivement féminin, qu’il cherche bien à satisfaire en lui permettant de se rincer l’oeil sur une poignée des sex-symbols hollywoodiens les plus en vue des vingt dernières années. Heureusement, la magie de Soderbergh opère toujours, lui qui aura su prendre une fois de plus une prémisse en apparence assez simplette et lui conférer une résonnance beaucoup plus significative basée en grande partie sur la sincérité et le naturel de sa démarche. Le tout se révèle à l’image d’un personnage principal sachant pertinemment qu’un tel train de vie n’est pas éternel, lui qui sera vite confronté à sa relève et devra se résigner à emprunter des chemins beaucoup plus laborieux pour arriver à ses fins plutôt que de se rapprocher de tentations qui pourraient bien avoir raison de ses ambitions. Ainsi, le traitement moins léchée et ouvertement spectaculaire de cette histoire, dont certaines pistes nous renverront bien à des titres comme Boogie Nights, mène en bout de ligne à un portrait beaucoup plus tangible de ce genre d’univers, même si certainement moins épique et mémorable que le « rise and fall and rise again » du film de Paul Thomas Anderson. L’ensemble est également rehaussé d’une touche d’humour émanant autant des dialogues savoureux que d’un goût pour l’autodérision, lequel ne sombre encore là jamais dans la caricature. La distribution se révèle de son côté tout aussi convaincante, notamment grâce au jeu amusant et très physique de Channing Tatum et à une autre excellente performance de Matthew McConaughey, que l’on redécouvrait récemment dans le Bernie de Richard Linklater. Tout comme le personnage titre, Magic Mike a finalement beaucoup plus à offrir que ce qu’il laisse paraître au premier coup d’oeil.
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Critique publiée le 29 juin 2012.