DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Aliens (1986)
James Cameron

Leçon d'humilité

Par Jean-François Vandeuren
Au moment de la sortie d’Alien en 1979, l’idée de produire une suite à un film populaire n’était pas encore un réflexe inné chez les producteurs d’Hollywood. Mais l’arrivée de la décennie 80 aura changé bien des choses dans le paysage du cinéma commercial et l’expansion d’un univers cinématographique au-delà d’un seul opus sera vite devenue monnaie courante. Les récidives de tueurs sanguinaires se seront ainsi multipliées telle un virus tandis que le Star Wars de George Lucas sera devenu une trilogie et que quelqu’un quelque part aura trouvé pertinent de ramener le personnage de Norman Bates à la vie pour faire suite au Psycho d’Alfred Hitchcock, et ce, plus de deux décennies après sa sortie. Les producteurs David Giler, Walter Hill et Gordon Carroll auront également pris leur temps avant de faire suite au film de Ridley Scott. Le projet avait tout de même été proposé à James Cameron au début de la décennie après que ces derniers aient été particulièrement impressionnés par le scénario de The Terminator. Tellement, en fait, que la 20th Century Fox aura également décidé d’attendre que le réalisateur canadien soit de nouveau disponible une fois le tournage du film de 1984 complété plutôt que de tenter d’accélérer les choses en faisant appel à un autre cinéaste pour mener le présent projet à bon port. Une décision qui se sera avérée payante pour les deux partis, mais surtout pour le réalisateur, qui aura pu approfondir certaines thématiques qu’il avait déjà abordées dans son précédent effort et qui allaient définir son cinéma au fil des années et des productions à venir.

Cameron aura évidemment respecté ici les règles propres à toute « bonne » suite en édifiant son scénario à partir des grandes lignes de celui du film original tout en cherchant à en amplifier les attributs les plus spectaculaires. Dans le cas d’Aliens, cela signifiait confronter les héros - et le public - à un nombre beaucoup plus important de créatures hideuses (comme le suggère son titre accordé au pluriel) et engendrer par la même occasion une riposte beaucoup plus musclée de la part du genre humain. Ainsi, après avoir dérivé dans l’espace pendant cinquante-sept ans suite aux sombres événements du premier épisode, Ellen Ripley (Sigourney Weaver) devra retourner sur la planète où aura eu lieu la sinistre rencontre avec le cruel étranger qui aura mis sa vie sens dessus dessous. Le tout dans le but de vérifier l’état d’une colonie d’ingénieurs avec laquelle la compagnie a récemment perdu tout contact. Cette dernière sera accompagnée d’une bande de marines bien déterminés à faire de cette mission un succès. Aliens prendra du coup une place pour le moins atypique parmi la vague de films de guerre ayant vu le jour durant cette période où l’Amérique aura finalement commencé à méditer sur le désastre que fut la guerre du Viêt Nam avec des oeuvres comme Platoon, Hamburger Hill et Full Metal Jacket, pour ne nommer que ceux-ci. C’est d’ailleurs dans cet écho au conflit que le récit de Cameron aura su trouver sa ligne directrice, et surtout sa pertinence, confrontant l’arrogance de soldats surentraînés misant sur un arsenal de pointe à un ennemi qu’il prendra d’abord à la légère, mais qui imposera vite sa supériorité en tirant avantage d’un territoire dont il aura su infiltrer les moindres recoins.

Il s’agit évidemment d’un changement de ton pour le moins radical par rapport à celui adopté avec tant de vigueur par le chef-d’oeuvre de Ridley Scott. L’initiative marque ainsi un certain éloignement face au rythme pesant et aux ambiances sombres et effrayantes à souhait qui étaient si savamment mis en place dans le film de 1979 au profit d’un divertissement porté davantage sur l’adrénaline. Une nouvelle direction qui sera d’ailleurs confirmée dès que surgiront les premières notes de tambour militaire de la trame sonore de James Horner durant le générique d’ouverture. Un tel virage à 180 degrés face à un récit de science-fiction et d’horreur d’une méticulosité exemplaire fonctionne allègrement dans ce cas-ci grâce à la matière que le cinéaste aura su injecter à sa mise en images comme à l’essence de son intrigue et de ses personnages, même si ces derniers demeurent évidemment esquissés à gros traits. Aliens prendra d’ailleurs presque autant de temps que son prédécesseur à installer sa prémisse et les bases de son univers alors que la première véritable séquence d’action ne surgira qu’après que l’effort ait accumulé près d’une heure au compteur. Une démarche qui fera ressortir les grandes qualités de metteur en scène de Cameron, lui qui obtiendra d’autant plus un appui considérable de son équipe artistique dans l’orchestration de ce spectacle à grand déploiement, notamment au niveau des décors futuristes aussi lugubres que d’une froideur des plus inquiétantes. Le tout révélera également sa grande habileté à ponctuer son scénario par l’entremise des dialogues formidablement niais, de l’utilisation d’une échelle de plans souvent astronomique et du son, telle cette pulsion émanant du fameux détecteur de mouvements qui viendra parfaitement cadencer les séquences où le niveau d’angoisse atteindra son paroxysme.

C’est donc par l’entremise d’une réalisation tout ce qu’il y a de plus musclée et d’une mise en situation parfaitement renforcée par un amalgame d’éléments visuels et sonores tout aussi percutants que James Cameron sera parvenu à signer une suite tout à fait respectable à un monstre sacré du cinéma de science-fiction, et ce, malgré les différences majeures séparant les deux opus. Cela ne veut évidemment pas dire que les deux films n’ont rien en commun, le Canadien marchant même assez souvent dans les traces de ses prédécesseurs sur le plan narratif. Un réflexe typique de ce genre d’entreprises que Cameron aura réussi à tourner à son avantage en présentant une signature qui lui est propre. Pour ce faire, ce dernier se sera principalement servi de la force de caractère d’Ellen Ripley, qu’il aura su réimposer comme une figure emblématique de la femme forte au sein de la culture populaire. Une caractérisation que défendra avec fougue une Sigourney Weaver n’acceptant aucun compromis, elle qui sera appelée à poser des gestes significatifs face à une horde de personnages masculins - ou masculinisés par le système - qui se révéleront trop souvent impuissants, en plus de prendre les traits d’une mère aimante et protectrice. L’héroïne devra d’autant plus refaire face à ses agresseurs du premier épisode, soit un humanoïde, personnage asexué qui se veut certainement le plus sensible et sensé du lot, et cet étranger qu’elle décidera de combattre coûte que coûte plutôt que de prendre la fuite. Le tout faisant d’Aliens une production spectaculaire qui, sans jamais atteindre le niveau de qualité de son prédécesseur, réussit tout de même à faire valoir ses méthodes grâce à une mise en scène des plus efficaces et un scénario de série B qui, à défaut d’être forcément profond, demeure tout à fait cohérent.
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Critique publiée le 11 juin 2012.