DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Bully (2011)
Lee Hirsch

Public ciblé

Par Jean-François Vandeuren
De nouvelles tragédies de différentes magnitudes nous rappellent continuellement le climat de plus en plus malsain qui semble régner en milieu scolaire, et ce, autant au niveau primaire que secondaire. Des suicides de préadolescents ayant vécu assez longtemps pour comprendre à quel point la vie pouvait être dure, mais trop brièvement pour découvrir comment elle pouvait être belle, aux fusillades perpétrées par des étudiants qui, un jour, en ont tout simplement eu assez, le problème a fini par prendre une tournure qui ne peut plus être ignorée à présent. C’est pour ces raisons que ce Bully du cinéaste Lee Hirsch était en soi prédestiné à devenir l’un des documentaires événements de l’année, et surtout à faire couler beaucoup d’encre. D’abord, parce que la diffusion de l’essai, qui s’adresse évidemment en grande partie à un auditoire assez jeune, aura été restreinte au départ aux États-Unis par la MPAA en raison des nombreux écarts de langage des individus apparaissant à l’écran, vieux réflexe découlant définitivement ici d’un puritanisme mal placé. Ensuite, car il s’agit d’une situation à laquelle nous nous devons de trouver des solutions, même si celles-ci paraissent trop souvent inexistantes. L’intimidation et les abus physiques et verbaux entre des enfants ne sachant pas toujours mesurer la portée comme les conséquences de leurs actes ne datent, certes, pas d’hier. Ce que cherche néanmoins à démontrer Bully, c’est comment les choses n’ont fait qu’empirer avec le temps, confrontant son auditoire de manière percutante à ce que doivent endurer quotidiennement les victimes d’un tel enfer.

Le film de Lee Hirsch précisera d’entrée de jeu qu’il s’agit d’un problème généralisé, récoltant les déclarations tout en s’immisçant dans la routine d’élèves provenant de différentes villes américaines qui, pour diverses raisons, auront été rejetés par leurs pairs. Bully s’amorcera ainsi sur l’émouvant témoignage d’un père dressant le portrait de son fils ayant mis fin à ses jours après avoir subit les frasques de ses « camarades » de classe durant trop d’années. Il sera dès lors impossible de demeurer insensible devant les images présentées par le réalisateur, nous laissant imaginer le pire tout en nous exposant à la dure réalité de ces jeunes gens se faisant agresser sans gêne, allant des insultes aux coups derrière la tête en passant par l’utilisation de crayons en guise de poignards. Le documentariste effectue d’ailleurs un travail inspiré au niveau de la gestion des émotions qu’il désire susciter chez le spectateur en rendant ce dernier automatiquement sympathique à la cause de ses sujets - il aurait évidemment été assez difficile d’en être autrement. Hirsch accordera également une importance marquée aux parents, qui se doutent bien de ce qui se trame, mais qui n’ont aucune façon de connaître la gravité de la situation avec laquelle doivent composer leurs progénitures. Le cinéaste s’attaquera du coup au manque de repaires des institutions scolaires, qui ne savent visiblement pas comment réagir et ne se contentent trop souvent que de se cacher derrière l’idée que ce ne sont après que des enfants - l'une des victimes racontera d’ailleurs comment un professeur aura pris part à la plaisanterie dont elle était la cible.

Évidemment, la démarche de Lee Hirsch comme l’existence de nombreuses images soulèvent en soi bien des questions. D’une part, nous devons saluer la façon dont le cinéaste aura su s’effacer derrière sa caméra là où un documentariste comme Michael Moore, par exemple, y serait allé d’une narration en voix off pour renforcer l’aspect dramatique de son reportage, voire même jusqu’à s’inclure lui-même dans sa « mise en scène ». Et c’est précisément cette retenue qui permettra au final au réalisateur américain de communiquer le plus efficacement l’urgence de la problématique qu’il soulève, les élèves poursuivant leurs assauts comme si la caméra de Hirsch n’était pas là, comme si ce comportement était déjà tellement ancré dans leur façon d’être qu’il n’avait pas d’objection à ce qu’il soit immortalisé par le médium. Ainsi, plutôt que d’intervenir directement pendant que ses sujets se font rudoyer de coups, Hirsch aura trouvé une autre façon de s’en mêler en présentant ce qu’il a capté aux parents d’une des victimes et à la direction de son école afin que ceux-ci puissent prendre connaissance de ce qui se passe réellement à leur insu. Un geste qui entraînera bien une certaine réplique de la part des « autorités » scolaires, eux qui ne pourront alors plus ignorer la situation et prendront des mesures - plus ou moins concrètes - pour sauver la face, à défaut de réussir à mettre un terme à ce fléau. Car comme le principal concerné de ces incidents le fera remarquer, une technique d’intimidation enrayée ne fera qu’en amener une autre…

Les intentions du long métrage de Lee Hirsch n’auraient évidemment pu être plus nobles. Mais autant Bully offre un regard nécessaire sur une problématique à laquelle nous devons accorder une importance accrue afin que des gestes plus tangibles soient posés, autant nous regretterons de voir l’exercice ne pas oser s’aventurer sur des pistes de solution ou tenter d’expliquer les causes d’une telle dégénérescence. Il émerge du coup une certaine confusion à savoir à qui le film est réellement adressé. À première vue, voire logiquement, ce serait à ces agresseurs, afin que ces derniers prennent pleinement conscience de tout le mal qui découle de leurs actions, même si les plus cyniques avanceront que cette leçon risque malheureusement d’entrer par une oreille pour sortir immédiatement par l’autre étant donné l’échec des moyens pris par le passé. Le moment clé du discours de Hirsch demeure néanmoins le témoignage de l’un de ces intimidateurs repenti. Nous regretterons également que le cinéaste accorde une attention assez inégale à chacun des individus dont il expose l’histoire. Bully nous laissera ainsi sur un constat d’irrésolution tandis que les gens se mobiliseront pour que la voix des disparus soit entendue. Le tout tandis qu’une jeune fille aura perdu son combat face à une école qu’elle aura dû se résigner à quitter après avoir constaté que rien n’avait changé. Il est logique d’une certaine façon que Bully se termine sur une telle note puisque le problème est loin d’être réglé en soi, mais son instigateur aurait tout de même dû prêcher davantage par l’exemple et tendre vers une forme d'optimisme un peu plus prononcé.
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Critique publiée le 15 avril 2012.