DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Cabin in the Woods, The (2011)
Drew Goddard

Le slasher se meurt... sauf une fois au chalet

Par Mathieu Li-Goyette
En 2011, Wes Craven entamait Scream 4, son retour au royaume d’une certaine qualité, par une succession de mises en abîme. Emboîtant les différentes versions de ses films précédents avec le massacre des remakes des années 2000 sur le coeur, il jouait des règles qu’il avait lui-même participé à édifier avec une maladresse plus près de l’ironie grinçante au rire jaune qu’à la réflexion bel et bien appuyée. À l’opposé, The Cabin in the Woods répond à ce besoin particulièrement contemporain du film de genre à se remettre en question jusque dans les racines de son écriture. Refusant de jouer sur le même registre référentiel que les suites de Scream, Scary Movie et autres méta-films à gogo, ce chalet dans les bois, comme l’affiche l’indique, est un Rubik's Cube à résoudre, un casse-tête passionnant sur les marques de fabrique les plus élémentaires du cinéma d’horreur. Plus encore, c’est l’un des rares films de son espèce dont l’écoute (et la réécoute) donne l’impression qu’il est inépuisable, satisfaisant nos sens et désirs nostalgiques d’un extrême kitsch des années 90 en remontant à l’horreur maniaque des années 70 et 80.

Accumulant la poussière sur les tablettes de la MGM depuis 2009 suite aux déboires fiscaux du studio, on ne pouvait miser sur un énième slasher mettant en vedette une bande d’inconnus. Drew Goddard, réalisateur qui en était à ses premières armes derrière la caméra après avoir scénarisé Cloverfield et une bonne partie de la série télévisée Lost, n’était qu’un point de vente négligeable aux yeux des nababs. La situation n’était guère plus rose pour son collègue de plume et producteur, Joss Whedon, vénérable écrivain pour cette mince tranche de la population pleurant toujours la disparition de la série culte Firefly. Ce que les cravatés ne voyaient que comme un film de fans à trente millions partit dans le collimateur de la 3D-isation pour ne jamais en ressortir avec l’aval des créateurs. Ce fut donc le calme plat et ce n’est qu’aujourd’hui que cette oeuvre aussi horrifiante qu’elle s’avère hilarante, cette réflexion portée au plus point sur le genre et ses mécanismes, nous dévoile enfin les secrets du chalet dans les bois. Semblable à une collaboration impossible, mais jouissive, d’une variation de The Hunger Games réalisée par Sam Raimi d’après un scénario de H.P. Lovecraft, le premier essai de Goddard est un grand film de genre.

Tout commence comme dans les meilleurs épisodes de Buffy the Vampire Slayer; c’est-à-dire avec beaucoup de réparti, de rapidité dans les échanges, tout en donnant l’impression que des adolescents archétypaux se débattent avec leurs propres clichés. En dessous d’eux, une société secrète veille sur la sauvegarde du monde contre le retour des « dieux anciens ». Dans une version contemporaine du mythe de Cthulhu, Goddard et Whedon tissent leur toile en tenant pour acquises nos connaissances cinéphiles. Et nous qui pensions connaître la suite des événements se terminant par un massacre au chalet...

La fille facile périra en premier, puis l’intellectuel, puis le sportif (ses gros bras ayant déjà eu leur part d’utilité), puis l’amant, ne laissant que la jeune « vierge » (celle qui n’a consommé ni son amour ni les dopes) aux prises avec l’ennemi qui les guette. Jusque-là, rien d'original. On fait même dans le somnifère.

Sans en dévoiler plus - l’essentiel de The Cabin in the Woods repose non pas sur l’effet de surprise d’un suspense, mais bien sur l’émerveillement d’un mécanisme parfaitement huilé se dépliant et se confiant à nous généreusement -, l’intrigue nous transporte dans un musée des horreurs où les pires créatures imaginées par l’esprit humain se retrouvent aux quatre coins de cubes sombres et aseptisés, prêts à être libérés du classeur encyclopédique qu’est le cerveau des amateurs. Issus des consciences tourmentées de milliers de conteurs de l’épouvante ayant tenté de leur rendre leur efficacité première, les monstres du chalet se superposent tout comme les clichés savamment mis en contexte.

La grande intelligence de The Cabin in the Woods (n’étant pas un formidable admirateur du slasher en général, je pèse mes mots quant à cette « intelligence » royalement authentique), c’est de présenter la redite inhérente au genre tout en l’excusant dans sa diégèse. Si la copine du héros prend des allures de prostituée, c’est que le récit ne lui en laisse pas le choix. Si le dopé se perd dans le fil de ses pensées troublées, c’est qu’il est sous l’effet d’une manigance des scénaristes souhaitant faire un slasher sans vraiment en faire un, espérant faire le film d’horreur le plus efficace tout en nous donnant un cours de scénarisation désopilant.

En ce sens, The Cabin in the Woods est une excellente idée menée à bout de bras par une mise en scène tout à fait fonctionnelle et des comédiens (dont Chris Hemsworth, révélé par son incarnation du Thor de Marvel) à qui l’on a demandé de jouer comme des gens normaux avant de les transformer peu à peu en absurdités de série B. Se faisant, le déploiement du scénario permet aux personnages de s’éloigner considérablement du rôle usuel de chair à canon. Fidèle à ses habitudes, Whedon apporte au projet sa maîtrise de l’écriture des groupes, sa facilité à exposer des personnalités opposées et attachantes en très peu de temps. Décrivant leurs archétypes comme des facultés qui leur serviront pour survivre à cette nuit fatidique dans un chalet, son style se base sur une intellectualisation stylisée des codes plutôt qu’un jeu de chat et de souris avec nos attentes.

Nulle connivence entre scénaristes et spectateurs. Ce n'est pas un film facile, ni une oeuvre nombriliste. Plus encore qu’une réflexion à cerveau ouvert sur le slasher, The Cabin in the Woods est un miroir tendu au public type du cinéma de genre. La transposition du phénomène spectatoriel par Whedon et Goddard à l’intérieur d’un récit boucle une immense histoire du divertissement populaire allant des émotions les plus pures et stimulantes (la peur et le rire) pour les faire rejoindre à l’autre extrémité leur mise en perspective dans un contexte de production extrêmement juste. Pour être plus précis : les dieux et leurs employés demandent des offrandes régulières pour ne pas se choquer. Ces dons, cet argent gagné sur le dos d’avatars humains sacrifiés sur l’autel du loisir, nous rebondissent en plein visage, nous confrontent à notre propre nature prenant plaisir à la fabrication sadique de jeux (qu’ils soient de l’ordre du Colisée ou de Friday the 13th) dont le but métaphysique serait l’atteinte d’une satiété dans notre besoin primitif de violence. En regardant la brutalité se faire sur autrui, nous nous conforterions dans notre sécurité de spectateur invincible derrière son quatrième mur.

Ici, cette cloison se perce et laisse s’échapper nos pires craintes. Le jugement céleste de Whedon et Goddard, complètement en accord avec leur désir de questionner le savoir pop dans son ensemble, semble être, dans sa conclusion d’un pessimisme totalement justifié, le fruit de ce que cet art des images morbides sème depuis quarante ans. C’est en ça qu’après le retour un peu cabotin de Wes Craven et l’émergence d’un Ti West (House of the Devil, The Innkeepers) d’un machiavélisme admirable, The Cabin in the Woods résume et défait ses origines, et nous-mêmes dans le même geste, comme peu y sont parvenus auparavant. Depuis In the Mouth of Madness de John Carpenter, voilà peut-être le film qui cerne le mieux les enjeux, les beautés et les défauts de la culture populaire et tentaculaire du cinéma du genre.
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Critique publiée le 13 avril 2012.