Si Ferris Bueller et moi avons un point en commun, c’est que nous étions tous deux exaspérés de devoir fréquenter l’école secondaire. Ma dernière année fut pénible, car les leçons et l’encadrement me paraissaient dépassés et inutiles. Une observation assez juvénile, mais qui a tout de même forgé mon avenir et mes aspirations. Mes cours de mathématiques étaient souvent substitués par des visites au cinéma. Et je suis prêt à parier que Ferris a tenu la même réflexion que moi pour se motiver à passer cette fameuse journée à faire l’école buissonnière.
Par une belle journée ensoleillée, Ferris Bueller (
Matthew Broderick) décide donc de ne pas se présenter à ce «
high school » typiquement banlieusard et américain en prenant sa neuvième journée de maladie. Ses parents n'y voient que du feu tandis que sa soeur Jeanie (
Jennifer Grey) et son directeur d’école (
Jeffrey Jones) sont convaincus de sa fuite. Impliquant sa petite amie Sloane (
Mia Sara) et son meilleur ami Cameron (
Alan Ruck), le trio part à l’aventure dans la grande ville de Chicago. Un prétexte pour que les trois adolescents vivent à fond la dernière journée « symbolique » de leur jeunesse.
Cette journée est donc importante, elle est même cruciale. C’est l’une des dernières journées où Ferris pourra « jouer » à l’adolescent. Aucune responsabilité, aucun flair pour l'avenir, aucun souci. Les problèmes et les conséquences ne sont pas de la partie pour ce jeune Américain. Par contre, cette attitude et ces comportements ne sont pas partagés par tous les membres de cette petite escapade. En effet, Cameron ne partage pas cet enthousiasme pour la vie et les possibilités qu’offre une journée en dehors des murs de l’école. Que ce soit de simplement sortir de son lit ou d'emprunter la voiture chérie de son père, les palpitations et la névrose ne sont jamais bien loin dans son cas.
Nous avons ici deux trajectoires complètement différentes. L’une explore le charme de la jeunesse tandis que l’autre témoigne d’une peur de l’avenir. Malgré cette dichotomie, les deux jeunes se rejoignent - dans une finale très exorcisante - sur un point : l’avenir sera beau. Ferris a fait tout ce qu’il voulait faire de son adolescence, tandis que Cameron a finalement fait face à ses craintes. Un accomplissement exemplaire que plusieurs personnes regrettent ou cherchent encore une fois dans la vingtaine ou même dans la trentaine. Il n’est pas question de choisir le cours de sa vie, mais plutôt de prendre en charge les responsabilités s'installant inévitablement en chacun de nous.
Ce qui fait de
Ferris Bueller’s Day Off un film si charmant, malgré les interrogations et les questionnements existentiels qu'il présente, c’est l’approche et le ton établi par
John Hughes. Très vite, on brise ce quatrième mur - la séparation entre le spectateur et la diégèse du film - pour que son personnage principal s’adresse directement à son auditoire. Cette technique définit très bien son univers et ledit Ferris. On ne suit pas une histoire, on suit une performance. Il est conscient que nous le regardons et il fait tout pour que nous l’aimions. Il se donne le beau rôle : l’alpha, le héros, le spectaculaire. Mais, comme sa soeur et son directeur d’école, on peut choisir d’y voir le côté plus pessimiste de cette attitude : il est dictateur, il est manipulateur, il est détestable. Tout le monde connaît un « Ferris Bueller ». Quelqu’un qui a tout cuit dans le bec. L’effort - ou l’effort mal placé - n’est pas un mot qui fait partie de son vocabulaire. Tout lui vient facilement. Et, en plus, les résultats sont toujours positifs. Pour les plus cyniques, rassurez-vous, le bon temps ne reste jamais longtemps. Une forme de « comeuppance » est inévitable comme le dit si bien le narrateur dans
The Magnificent Ambersons d’Orson Welles.
Mais l’élément clé ne se situe pas dans le charme et l’aventure de son personnage principale dans
Ferris Bueller’s Day Off. On le retrouve plutôt dans l’angoisse et la peur de son meilleur ami Cameron. En effet, il est important de comprendre que l’oeuvre de Hughes est souvent basée sur les pivots de ses personnages. L’histoire ou l’aventure est très secondaire. Elle forge l’éventuel changement, mais la clé de ce processus se situe ailleurs. En effet, Hughes aime particulièrement que ses personnages apprennent que le changement est possible. Que ce soit par l’intense collégialité (l’exemple classique est bel et bien son
The Breakfast Club) ou bien par un événement catalyseur (l’état de la Ferrari du père à Cameron à la fin du présent opus), le résultat est le même. On ne recherche pas une morale ou une finalité, mais bien un avenir. Les films de Hughes sont si puissants parce que la morale n’est jamais le dénouement de ses récits. Le but est d’exposer ses personnages - ici, le très fataliste Cameron - à une série de discussions ou d’événements qui viennent drastiquement reconstruire leurs personnalités respectives. Cameron ne devient pas un nouveau Ferris Bueller, mais il apprend à être Cameron. Il prend connaissance de ses limites et comprend son potentiel. Il naît de nouveau.
En somme, j’arrive toujours à comprendre pourquoi Ferris veut vraiment profiter de cette dernière journée. Ce n’est pas pour changer son meilleur ami ou pour jouer à l’amoureux avec sa copine. Il veut profiter de cette journée puisque ce moment présent est le plus beau cadeau de notre adolescence. Un moment unique où l’immédiat est la seule possibilité envisageable. Un temps que j’envie et que, comme bien d'autres, je ne peux que regretter.