Maurice Richard, « c’est tout le Québec debout qui fait peur et qui vit », disait Félix Leclerc dans un poème rendant hommage au Rocket. Bien que n’apparaissant qu’à la toute fin du présent exercice, cette citation de l’un de nos plus célèbres écrivains résonne néanmoins d’un bout à l’autre du film de
Charles Binamé. Une télésérie relatant l’histoire et les exploits de Richard avait déjà été produite à la fin des années 90, dans laquelle
Roy Dupuis revêtait déjà le célèbre chandail numéro neuf que le hockeyeur aura porté pendant près de dix-huit saisons pour le Canadien de Montréal. En 2005, toutes les conditions semblaient réunies pour que Richard, alors décédé depuis cinq ans, ait enfin droit au grand traitement cinématographique. Le regain de popularité du cinéma québécois aura permis à celui-ci de connaître plusieurs succès commerciaux depuis la sortie du
Séraphin: un homme et son péché du même Charles Binamé, tandis que nos voisins du Sud vibraient depuis déjà quelques temps au rythme des récits biographiques s’intéressant aux grandes figures populaires du XXe siècle. Le tout tandis que Ken Scott aura su se révéler de belle façon au public de la belle province deux ans plus tôt en signant le récit du succès surprise
La grande séduction. Inutile de mentionner que de transporter la vie de Maurice Richard au grand écran se voulait un projet autrement plus ambitieux que celui de raconter les déboires de quelques habitants d’un petit village voulant à tout prix travailler. Un défi qu’auront su relever haut la main Scott et Binamé, livrant un vibrant hommage à l’homme comme à l’athlète avec une oeuvre dont les qualités esthétiques et scénaristiques rivalisent certainement avec celles des grandes productions dramatiques hollywoodiennes.
Il sera toutefois clair dès la séquence d’ouverture, présentant l’émeute que la suspension du Rocket avait déclenchée en mars 1955 dans les rues de Montréal, que le film de Binamé portera autant sur les exploits sportifs du hockeyeur que sur le puissant symbole qu’il aura fini par devenir et auquel avait grand besoin de s’identifier les Canadiens français. Dupuis s’avère de nouveau remarquable dans le rôle titre, évoquant parfaitement le caractère réservé de Richard, incapable d’accepter tout le mérite qui lui revient - comme lui fera remarquer un jour Émile « Butch » Bouchard (
Patrice Robitaille) -, lui qui finira néanmoins par prendre sa place afin que ne cessent les iniquités dont auront été victimes ses compatriotes dans la Ligue Nationale de Hockey. Une idée qui sera illustrée d’entrée de jeu par des scènes montrant l’emprise qu’exerçait l’establishment anglophone sur les travailleurs francophones à l’intérieur de leurs usines. La fragilité du corps de Richard deviendra alors la métaphore ultime de cette situation, lui qui devra se battre pour prouver sa valeur aux yeux de tous et pour se faire respecter dans un circuit qui n’aura jamais rien fait pour le protéger. La crainte du succès des Québécois de l’époque sera également illustrée lorsque sa femme Lucille (
Julie LeBreton) hésitera à quitter leur minuscule appartement pour emménager dans une demeure beaucoup plus grande, effrayée à l’idée que cette réussite, à laquelle elle n’était pas encore habituée, ne se révèle que trop éphémère. Le plus remarquable dans ce cas-ci, c’est l’équilibre, voire la symbiose, que Scott sera parvenu à créer entre la carrière de son protagoniste, qui aura été marquée par un combat acharné contre l’injustice, et l’évolution d’une province que les exploits du Rocket auront su inspirer à sortir de sa torpeur.
Si Binamé sera revenu au registre qui aura fait sa renommée avec le
Séraphin de 2002, lui qui s’était éloigné de belle façon des productions d’époque après la série
Blanche avec sa trilogie sur la solitude urbaine qu’il réalisa durant la seconde moitié des années 90, c’est définitivement avec
Maurice Richard que le réalisateur aura su faire ressortir toute l’intelligence et la créativité habitant cette facette de son cinéma. On pense, entre autres, à l’emploi de nombreuses images d’archives illustrant le quotidien de l’époque - dans lesquelles Binamé aura su intégrer ses acteurs - pour faire le pont entre les différentes scènes du film. Les ambitions du cinéaste d’origine belge auront une fois de plus trouvé écho dans la superbe direction photo de Pierre Gill (
Eldorado), dont les couleurs extrêmement vives ressortant de teintes autrement beaucoup plus pâles et vieillottes nous donneront souvent l’impression de contempler une série de toiles en mouvement, en particulier lors des séquences de match. Le montage de Michel Arcand, marqué de plusieurs ralentis parfaitement exécutés, comme la précision et l’utilisation de plans pour le moins inusités lors des scènes de jeu soulignent quant à eux allègrement - en plus d’imprégner d’une sublime touche de poésie - la détermination comme l’immense talent du numéro neuf, permettant du coup à certaines de celles-ci de se hisser parmi les plus gracieuses et stimulantes que le drame sportif nous ait données, toutes disciplines confondues. Les mêmes éloges reviennent à l’équipe responsable de la création artistique, dont les décors et costumes s’avèrent le résultat d’une attention aux détails phénoménale, comme c’est généralement le cas dans les meilleures productions du genre. Mais ce qui impressionne au-delà des qualités techniques, c’est la façon dont chacune de ces subtilités servent ici autant la facture visuelle de Binamé que les écrits de Scott.
Maurice Richard, c’est l’histoire d’une oeuvre formidablement élaborée sur papier, faisant part d’une rigueur exemplaire au niveau de la reconstitution d’époque comme de l’approche de la vie et de la carrière de l’un des grands noms de la petite histoire du Québec. Le film de Charles Binamé remplit d’autant plus son mandat à titre de drame sportif en donnant aux amateurs exactement ce qu’ils espéraient, proposant un récit truffé d’une foule d’observations pertinentes et d’événements historiques suggérant un travail de recherche tout ce qu’il y a de plus exhaustif. Le tout enveloppé d’un regard perçant porté sur une période charnière de l’histoire d’un peuple qui allait bientôt vivre une évolution spectaculaire, mais qui aura d’abord dû apprendre à se tenir debout et à défendre ses intérêts. Une pensée esquissée ici d’une manière tout aussi réfléchie, se reflétant dans la place importante qu’occupe le hockey au sein de la culture québécoise. Scott et Binamé auront donc su orchestrer une production d’un classicisme parfaitement maîtrisé, si ce n’est que pour certains élans trop mélodramatiques émanant occasionnellement de la bande originale autrement superbe, mais définitivement trop présente, de Michel Cusson. Roy Dupuis mène quant à lui une distribution tout à fait convaincante, de laquelle ressort également un
Stephen McHattie incarnant avec fougue un Dick Irvin dont nous devinerons d’emblée le bienfondé des intentions dissimulées sous les méthodes souvent rudes qu’il emploiera pour stimuler son joueur étoile. Le présent effort ne fait évidemment pas dans la dentelle et ne rate jamais une occasion de mettre en valeur ses attributs.
Maurice Richard s’avère néanmoins le grand film que méritait le Rocket, les attributs artistiques du film de Binamé respirant tous l’immensité de l’héritage qu’aura laissé l’homme qu’il met en scène.