Malartic semble s'effacer devant l'objectif de
Simon Plouffe. Son histoire, son vécu, son âme se volatilisent, rasés par la machinerie lourde qui s'affaire à donner « un nouveau souffle » économique à la petite municipalité de l'Abitibi-Témiscamingue. Témoin d'une disparition en devenir, le cinéaste semble vouloir conserver la mémoire de ce lieu qu'il filme tout autant, sinon plus, qu'il « informe », « sensibilise », le spectateur à ce drame dont il rapporte les grandes lignes. Voilà pourquoi son film,
L'or des autres, évite les écueils du documentaire engagé et offre autre chose qu'un simple plaidoyer en faveur, par exemple, d'une nouvelle législation sur la gestion du sous-sol québécois. Cet intérêt pour le vécu des gens, pour « l'humain » derrière ce concept du « citoyen », ancre le documentaire de Plouffe dans un sentiment concret qui dépasse les débats de société et les enjeux théoriques, allant à la rencontre de ces existences qui sont chamboulées par les projets « collectifs » menés sans compassion par le secteur privé.
L'or des autres offre le portrait sensible d'un microcosme qu'une force extérieure s'apprête à altérer de manière définitive, s'intéressant à ce qui sera détruit plus encore qu'aux raisons de cette destruction.
Tout en s'inscrivant dans cette tradition du réalisme social propre au documentaire québécois, le film ne s'y limite pas - explorant une veine plus atmosphérique, ouvertement esthétique, employant des images soigneusement cadrées pour recréer la sensation d'un espace au lieu de s'en tenir à sa description objective. Ce qui intéresse Plouffe, c'est de mettre en scène un milieu - un « habitat naturel » humain -, qu'il confronte par la suite à un profond bouleversement, motivé par des intérêts socioéconomiques dont il révèle le caractère artificiel, irréel, autant que les motivations concrètes. Film sur l'enracinement, sur l'appartenance,
L'or des autres est aussi, inversement, une oeuvre sur l'arrachement, l'envahissement. Les habitants de Malartic, expulsés de ces maisons qu'on leur rachète pour les raser, sont déracinés, dépouillés de leur mémoire et de leur histoire au nom d'un avenir précaire. La compagnie minière qui s'est installée chez eux achète leurs existences, leur silence, leur indifférence : leur ville ne leur appartient plus vraiment et on les expulse maintenant de ces forêts où, autrefois, ils pouvaient se promener librement.
D'une certaine manière, les gens que filme Plouffe habitent déjà les ruines de leur ville, de leurs maisons, décombres de leur histoire personnelle jugée sans valeur parce que dépourvue de valeur marchande. Mais le film, en liant ces petites histoires à la grande, leur restitue leur noblesse : Malartic, c'est Thetford Mines, c'est Asbestos… Et toutes ces villes, sacrifiées en même temps que les souvenirs qu'elles abritent, sont les victimes impuissantes d'une logique capitaliste que le film critique sans que la charge soit trop appuyée, trop manifestement militante. Si
L'or des autres revient sur des lieux communs du documentaire engagé, comme l'audience publique ou la rencontre du comité citoyen, c'est toujours dans la continuité de ce parti pris pour l'individu, cet individu qui ne sait trop quel recours existe pour se faire entendre. Le film, en ce sens, s'avère plutôt pessimiste : on y sent l'homme se buter à une machine trop bien huilée, parfaitement calibrée pour que le dialogue soit en réalité unilatéral. « Ils nous disent que c'est du gré à gré, mais si tu pars pas de ton plein gré tu vas partir malgré… » Ceux qui refusent une entente « à l'amiable » seront, de toute façon, expropriés.
La caméra de Plouffe n'est pas une « caméra au poing », pour reprendre une expression commune. C'est une caméra-témoin, qui tente de sauver quelques souvenirs, quelques témoignages, avant qu'il ne soit trop tard, avant que le « progrès » n'ait fait son oeuvre de raser le passé. Elle capte les murmures que recouvre le grondement des bulldozers, de même que l'image surréaliste d'un homme dont la cours est à la frontière du champ de bataille.
L'or des autres, c'est tout à son honneur, ne cherche pas à dresser un portrait complet de la situation qu'il dévoile. Il la met en scène dans ce qu'elle a d'absurde, de tragique, avec une lucidité qui prend racine dans le quotidien, source même de ce drame qu'il dépeint. Ce refus de l'emportement lyrique, de la charge militante, ancre le discours du cinéaste dans une familiarité émouvante, ébranlante. Face humaine de l'enjeu social, cette proposition documentaire met en relief ce qui est généralement exorcisé dans un tel « débat » : la fragilité des existences que met en péril ce bouleversement.