Le cinéma commercial est de plus en plus une affaire de suites et de remakes, voire l’exploitation d’idées ayant déjà été abondamment manipulées comme de celles provenant d’autres médiums. La question de l’adaptation littéraire ne date évidemment pas d’hier. Mais plusieurs interrogations nous viennent tout de même en tête lorsqu’une seconde lecture d’un même ouvrage est réalisée à peine deux ans après la première. La situation du présent
The Girl with the Dragon Tattoo semblera également vouloir faire écho au départ à ce vieux réflexe des studios hollywoodiens de reproduire automatiquement un opus dans leur langue avec leurs vedettes tout en l’imprégnant de leur culture pour ensuite la livrer à ce vaste auditoire nord-américain généralement peu friand de sous-titrage. Il s’agit d’un cas d’autant plus particulier ici alors que la première adaptation du bestseller de l’auteur suédois Stieg Larsson proposée par Niels Arden Oplev en 2009 était loin d’être réussie, elle qui souffrait de sérieux problèmes, et ce, autant au niveau de la mise en scène que de l’écriture et de l’interprétation. Un nouveau long métrage était ainsi l’occasion de remettre certaines pendules à l’heure pour une intrigue ayant connu un succès international foudroyant et qui, sans être révolutionnaire, possédait néanmoins tous les éléments nécessaires pour devenir un suspense des plus enlevants à l’écran. Et David Fincher était définitivement le cinéaste tout désigné pour rendre justice à un récit aussi sombre et sadique. Premier constat émanant de cette nouvelle mouture : malgré l’emploi de la langue de Shakespeare, les maîtres d’oeuvre auront eu la clairvoyance de ne pas sortir l’histoire de son contexte d’origine - il aurait d’ailleurs été assez difficile de faire autrement étant donné le passé historique et politique du pays sur lequel revient continuellement le roman de Larsson.
Nous retrouvons donc une fois de plus le journaliste Mikael Blomkvist (Daniel Craig) alors que la crédibilité de ce dernier vient tout juste d’en prendre un coup, lui qui n’aura pu soutenir les allégations qu’il avait faites dans un virulent article contre l’homme d’affaires Hans-Erik Wennerström. Compte tenu de son parcours professionnel autrement plus qu’enviable et du fait qu’il serait mieux pour lui de s’éloigner pendant un certain temps de la vie public comme de ses responsabilités à la barre du magazine économique Millennium, Mikael sera approché par Henrik Vanger (Christopher Plummer), l’ancien PDG à la retraite du groupe Vanger, qui lui demandera de tenter d’élucider un mystère vieux de plus de quatre décennies. Sous le prétexte qu’il a été engagé pour rédiger la biographie du principal intéressé, Mikael s’installera dans la région froide et isolée d’Hedestad pour essayer de faire la lumière sur la disparition d’Harriet Vanger, qu’Henrik croit avoir été assassinée par l’un des membres de sa sinistre famille. Croyant fermement qu’un tel crime ne pourra jamais être résolu après toutes ces années, Blomkvist acceptera tout de même de se pencher sur l’affaire en raison des rémunérations plus que généreuses, et le fait que son nouvel employeur dira posséder des informations qui lui permettraient de gagner son combat contre Wennerström. À la suite d’une première percée lui ayant permis d’apporter de nouveaux éléments à l’enquête, Blomkvist requerra les services de Lisbeth Salander (Rooney Mara), une experte dans le domaine de la recherche d’informations au passé plus que chaotique et à l’allure pour le moins particulière. Le dossier arrivera à point pour la jeune femme, qui avait elle aussi grand besoin d’un changement d’air, ayant été récemment violée par son tuteur. Un acte auquel Lisbeth n’aura d’ailleurs pas perdu de temps à répliquer.
La particularité première de
The Girl with the Dragon Tattoo demeure la façon dont sa trame narrative fut savamment divisée en deux pistes destinées à se croiser assez tardivement dans le récit, l’une servant à dresser un portrait limpide des incidents ayant entouré la disparition d’Harriet, l’autre à nous introduire à la vie tumultueuse de Lisbeth. Ce ne sera que lorsque les deux protagonistes seront finalement réunis que l’enquête prendra véritablement son envol et débouchera sur la découverte d’un lien unissant les meurtres de diverses femmes survenus bien avant la disparition de la jeune Vanger. Le présent exercice nous ramènera du coup au remarquable
Zodiac de 2007 de par cette obsession qu’entretiendront les personnages pour cette enquête irrésolue, mais également par la manière dont Fincher aura su approfondir et rendre extrêmement effective cette façon d’illustrer la progression de ses principaux personnages, laquelle ne s’avère jamais trop verbeuse.
Se7en nous viendra également en tête vue la noirceur des événements visités et l’importance accordée à la rencontre de ce duo classique du film policier, de ces deux êtres que tout semblera vouloir séparer au départ, mais qui finiront malgré tout par former une paire incomparable. Le développement de la relation affective entre les deux acolytes semblera alors vouloir remettre sur pied une Lisbeth qui aura elle aussi goûté à la médecine de ces « hommes qui n’aimaient pas les femmes », ce qui rendra la dernière séquence d’autant plus déchirante. Sur le plan esthétique, le cinéaste américain continue de peaufiner sa signature à la fois classique et résolument moderne, mais surtout d’une grande précision, tandis que la sublime direction photo aux inévitables teintes de brun et de bleu de son fidèle complice Jeff Cronenwerth confère à l’ensemble ses accents gothiques tout en relevant comme nul autre la froideur et la tension émanant de ses images.
David Fincher aura également déniché les partenaires idéals en Trent Reznor et Atticus Ross (oscarisés pour leur excellent travail sur la bande originale de
The Social Network) pour orchestrer des pièces musicales dont les ambiances lugubres et les subtils accents de violence - rappelant davantage ici les sonorités de Nine Inch Nails - appuient à la perfection les élans du réalisateur. Comme il l’avait fait avec
Fight Club, Fincher, épaulé cette fois-ci à la scénarisation par Steven Zaillian (
Moneyball), signe une adaptation beaucoup plus fidèle aux écrits de Stieg Larsson que ne pouvait l’être celle de 2009, réussissant même bien souvent à surpasser le matériel d’origine d’une bonne tête. À l’opposé total de l’opus de Niels Arden Oplev, Zaillian aura ainsi su effectuer des choix d’adaptation plus que convaincants pour rendre l’ensemble fonctionnel sur pellicule, mais sera surtout parvenu à faire preuve d’une rare patience et d’une attention allant de pair avec celles de Fincher pour permettre au présent exercice d’afficher ses racines littéraires à l’écran. Le montage très expressif de Kirk Baxter et Angus Wall impose pour sa part une rythmique posée et soutenue permettant aux quelques 158 minutes sur lesquelles s’étale
The Girl with the Dragon Tattoo de se dérouler sans que ne se glissent aucun temps mort ou que la sauce ne semble s’étirer inutilement. De leur côté, Daniel Craig et Rooney Mara mènent une distribution exemplaire en affichant une complicité aussi étrange que vivifiante, cette dernière rendant à la perfection le caractère très dur, voire même inatteignable, de Lisbeth Salander tout en rendant celle-ci aussi attachante que fascinante. Au-delà d’une adaptation diablement réussie,
The Girl with the Dragon Tattoo se révèle surtout une oeuvre présentant des qualités de production absolument colossales. La norme pour un cinéaste aussi méticuleux et méthodique que David Fincher.