Tuesday, After Christmas (2010)
Radu Muntean
Le temps de se quitter
Par
Guilhem Caillard
Voilà plus d'une dizaine d'années que nous est rabâché le phénomène de la « nouvelle vague roumaine ». Le cinéaste Radu Muntean, qui tourne depuis 2002 et dont il s'agit ici du quatrième long métrage, est reconnu par beaucoup comme faisant partie des principaux représentants de la tendance. Tendance en particulier traversée par une volonté incisive de se coller au quotidien avec sobriété, et un désir de réalisme souvent - et facilement - entrevu par certains analystes tel le contrecoup aux traumatismes et mensonges des années Ceauşescu. Abordé sur la question en 2010 à Cannes (Un certain regard), Muntean avait justement tenu à prendre ses distances : Mardi, après Noël est avant tout l'observation simple et neutre d'un déchirement personnel vécu dans la sphère familiale. C'est l'histoire intime d'une séparation.
Radu Muntean part d'un fait acquis : si ce n'est d'expérience, chacun se fait une image plutôt claire des étapes traversées par deux êtres décidant de se quitter. Il s'agit dès lors de retravailler cette perception schématique, d'en proposer un précis de décomposition, oserait-on dire un inventaire des ressentis de celui qui a pris la difficile décision de partir. Celui-là, c’est Paul (Mimi Brănescu), quadragénaire, bien installé en père de famille, pris dès le fait accompli - Mardi, après Noël s'ouvre sur une longue scène d’adultère. Durant toute la durée du film, l'ouverture laissera un souvenir amer, s'agissant des seuls instants où le personnage est présenté dans un moment de bonheur et de liberté, alors qu'il se prélasse avec la superbe Raluca (Maria Popistasu). À aucun instant la situation d'adultère est évoquée : ce nouveau couple nous est donné à voir dans son unité, sa bonne entente, ses sentiments d'amour partagés. Seulement voilà, Raluca est la maîtresse, celle qui plus tard dira : « Si seulement nous nous étions rencontrés dix ans auparavant... » Car Paul doit retourner auprès de sa femme.
Le film, qui aurait pu partir du côté de Raluca - son attente, ses angoisses, ses sentiments de rejet, les missives de sa mère qui désapprouve - ne fait que l'effleurer, tout en souplesse, et s'attache au chemin parcouru par Paul, scindé en deux parties. Distinction radicale, comme on pouvait s'y attendre, permise par la révélation de l'adultère à l'épouse. Il y a donc tout ce qui se passe avant, puis les décisions prises ensuite. Et si les trois premiers quarts du récit semblent renfermer tout ce que nous pouvions attendre d'intensité dramatique, c'est parce qu'ils jouent sur cette période instable où l'amant, certain de sentiments bien établis (Paul et Raluca se sont rencontrés en juillet; le film se déroule peu de temps avant Noël), réalise qu'il est temps de prendre une décision le poussant à quitter sa femme.
Mardi, après Noël traverse une crise de conscience dont l'illustration ne saurait omettre tous les gestes réflexifs réalisés par Paul. Le tour de force est que cette observation exclue les signes annonciateurs remarqués par l'épouse qui n'est pas dupe des changements de comportement de son mari : ce n'est pas le sujet. Muntean s'attache à la manière dont Paul ouvre et referme les portes, pose les clés de l'appartement familial sur la table d'entrée, répond aux questions, assume tant bien que mal les gestes quotidiens. Sans pour autant tomber dans le désintérêt le plus complet, Paul se détache, et la caméra privilégie la part d'évasion dans son regard lorsque sa femme l'entraîne dans un supermarché pour préparer les courses de Noël, ou réclame un massage des pieds. Paul marche en léger retrait, conduit le véhicule familial sans jamais parvenir à chasser Raluca de ses pensées.
Vertiges de l'hésitation, la route est d'autant plus longue : les mariés ont une fille. Radu Muntean, qui se révèle ici maître dans la direction d'acteur, atteint l’apothéose d'un tel système au cours d'une scène de repas au restaurant. Un couple d'amis lance une invitation à participer au réveillon de la nouvelle année, loin de la capitale. La femme de Paul répond qu'une telle chose n'est pas vraiment possible, puisqu'il y a leur fille; en coeur, ils ajoutent tous deux : « c'est compliqué ». À cette différence près que les mots de Paul trahissent une immense lassitude et, plus encore, le ressenti d'un véritable fardeau.
Malgré tout, comme pour prolonger la saveur des derniers instants de bonheurs partagés, les parents jouent le jeu devant leur fille qui croit encore au Père-Noël : rituels familiaux sacrés, le repas du réveillon et l'ouverture des cadeaux sont préservés, mais plus pour longtemps encore. Dans toute cette grave intimité, jamais Radu Muntean n'aura laissé transparaître le moindre mouvement de caméra. Tout demeure fixe, peut-être trop parfois, mais toujours dans le souci viscéral d'un profond respect envers son personnage principal, et sa décision.
Critique publiée le 20 décembre 2011.