Mission: Impossible - Ghost Protocol (2011)
Brad Bird
Les valeurs sûres
Par
Jean-François Vandeuren
Tom Cruise avait jadis exprimé le désir que chaque réalisateur qui prendrait la barre de la franchise Mission: Impossible devrait être en mesure - évidemment - d'offrir une nouvelle forme d’intrigue au public, mais également de proposer sa propre vision de l’agent Ethan Hunt, auquel l’acteur et producteur prête ses traits à intervalles réguliers depuis maintenant quinze ans. Une telle affirmation aura, certes, pu servir à expliquer, voire à tenter d’excuser, le changement de direction pour le moins radical qu’aura entrepris la série sous la tutelle de John Woo après la première incarnation tout à fait remarquable qu’avait orchestrée Brian De Palma. Mais elle demeure également l’expression d’une volonté de ne pas faire du surplace, ce qui est on ne peut plus louable dans le paysage hollywoodien actuel. L’un des derniers bastions de la star aura bien retrouvé un peu de son lustre d’antan grâce à la contribution de J.J. Abrams sans que celui-ci ne parvienne toutefois à lui conférer cette densité qui habitait ce fameux premier épisode. Bien qu’Abrams revienne ici à titre de producteur en compagnie des scénaristes Josh Appelbaum et Bruce Geller, avec qui il avait déjà collaboré à la télévision, la particularité de ce Ghost Protocol se situe une fois de plus au niveau du choix de son réalisateur. Brad Bird, l’homme derrière certains des films d’animation américains les plus acclamés des dernières années, tels The Iron Giant, The Incredibles et Ratatouille, fait ici ses débuts à la barre d’un projet se déroulant dans un environnement réel. Il s’agit certainement d’une preuve d’audace de la part d’une équipe de production qui avait visiblement le goût de réaffirmer cet attrait pour la « nouveauté » et ce désir de prendre quelques « risques ».
Ce n’est évidemment pas au niveau de la prémisse que nous retrouvons les marques d’une telle évolution alors que l’intrigue de Ghost Protocol tourne en soi autour d’éléments que nous avons depuis longtemps l’habitude de retrouver dans le récit d’espionnage. Il sera ainsi de nouveau question d’un complot visant à pousser les puissances russe et américaine à se détruire l’une et l’autre. Au milieu de cette tentative d’escalade sans précédent, un scientifique aux idées, disons, plutôt controversées, croyant que la fin du monde aurait probablement beaucoup plus d’effets positifs que négatifs sur le cours des choses. Bien déterminé à faire de son hypothèse une réalité, l’antagoniste réussira à mettre la main sur une série de codes validant la mise à feu de missiles nucléaires russes. Afin de pouvoir exécuter son plan à l’abri des regards, notre ennemi public dirigera l’attention des autorités vers l’équipe d’Ethan en faisant passer la destruction du Kremlin sur le dos de l’espion et de son équipe. Ces derniers devront dès lors faire tout ce qui est en leur pouvoir pour prouver leur innocence et déjouer les combines de ce fou furieux. Une journée bien tranquille au bureau, quoi! Le parcours sera évidemment des plus ardus et amènera le quatuor à jouer autant de finesse que de force, à accomplir des prouesses inimaginables en un temps record et à user d’un éventail de gadgets tous plus sophistiqués les uns que les autres. Si la recette demeure ici somme toute assez simple, le traitement des plus enjoués de Bird porte néanmoins rapidement ses fruits, imposant à la fois une ambiance plus décontractée n’étant pas sans rappeler celle du Ocean’s Eleven de Soderbergh tout en rehaussant le suspense entourant l’urgence de sa mise en situation d’une manière on ne peut plus enlevante.
Le réalisateur tire principalement son épingle du jeu dans la façon extrêmement dynamique dont il introduit et orchestre ses impressionnantes séquences d’action, passant par un découpage technique aussi précis que diablement efficace et un montage tout aussi rythmé évitant toujours la surenchère et élevant l’ensemble vers des sommets souvent vertigineux - ce sera particulièrement le cas de le dire lors d’une séquence d’infiltration pour le moins mémorable. Encore là, Bird ne s’impose pas tant par l’originalité de sa démarche plus que par la grande dextérité avec il laquelle il mène l’entreprise à bon port. Ghost Protocol laisse d’ailleurs paraître à cet effet une volonté totalement assumée de jouer davantage dans les plates-bandes de l’agent 007 en proposant un voyage autour du monde - dont les principales escales seront rien de moins que Dubaï et Bombay - en s’affairant à en relever continuellement l’exotisme tout en injectant au portrait une bonne dose de luxe. Le tout ressort également de l’importance accrue qui est accordée cette fois-ci à l’utilisation de technologies d’avant-garde dans l’accomplissement de la mission, nous donnant d’ailleurs l’impression d’avoir affaire à une campagne publicitaire assez peu subtile pour la vaste gamme des produits Apple. S’il s’agit d’une franchise ayant, certes, des visées principalement commerciales, la formule Mission: Impossible n’aura probablement jamais été appliquée dans le but de rejoindre un aussi large public que dans Ghost Protocol. Et si les machinations de Bird et ses acolytes se situent encore à des miles de celles beaucoup plus cérébrales de l’opus de De Palma, la simplicité du présent exercice a néanmoins le mérite de n’être jamais une entrave à l’intelligence de ses méthodes et son goût pour le spectaculaire qui touche plus souvent la cible qu’il ne la rate.
Là où Ghost Protocol va toutefois dans la direction opposée de sa contrepartie britannique, c’est dans la manière dont il fait continuellement l’apologie du travail d’équipe plutôt que de placer la réussite inévitable de ses héros sur les épaules - aussi costaudes soient-elles - d’un seul individu. Les séquences les plus mouvementées du film se dérouleront d’ailleurs à plusieurs endroits en même temps afin d’appuyer cette idée et souligner l’impossibilité qu’un agent puisse agir seul dans de telles circonstances. Un concept qui va également à l’encontre d’un premier film dans lequel Ethan Hunt devait s’entourer de beaucoup plus d’ennemis que de gens en qui il pouvait véritablement avoir confiance pour arriver à ses fins. Et la production aura définitivement su assembler un casting de choix pour rendre les choses distrayantes à souhait. Tom Cruise défend ainsi avec toujours autant d’assurance son rôle de leader tandis que Paula Patton campe celui de la femme forte avec fougue, que Simon Pegg joue les comiques de service comme il sait si bien le faire et que Jeremy Renner ajoute à sa filmographie un autre rôle de soutien défendant avec conviction les valeurs de bravoure, d’honneur, d’intégrité et de détermination. Brad Bird et son équipe ne réinventent donc pas la roue avec Ghost Protocol, mais parviennent néanmoins à tirer le maximum de tous les éléments à leur disposition pour offrir une intrigue bien ficelée, et surtout bien dosée entre ses séquences de développement et d’action, entre son ton plus sérieux et ses diverses pointes d’humour, pour en faire l’épisode le plus convaincant de la série depuis celui de 1996. Comme le criera avec vigueur Ethan Hunt dans un élan qui sera judicieusement tourné en dérision dès la scène suivante : « mission accomplie! »
Critique publiée le 16 décembre 2011.