La vie devant soi, ou presque...
Par
Jean-François Vandeuren
Malgré son très jeune âge, Chanda, l’héroïne - et le mot est faible - du présent Life, Above All d’Oliver Schmitz, est déjà loin d’avoir la vie facile. Celle-ci doit ainsi composer sur une base journalière avec le devoir et la pression d’être une élève aussi studieuse que possible afin qu’elle et sa famille puissent un jour aspirer à un avenir plus prometteur, et ce, même si Chanda est continuellement confrontée à la mort et à la déchéance des individus qui l’entourent. Un constant rappel de cette réalité dont elle doit à tout prix s’éloigner, et qui commencera à peser particulièrement lourd sur la conscience de cette dernière. Sa soeur âgée de quelques mois vient tout juste de rendre l’âme. Son beau-père s’entête à toujours partir avec l’argent de la famille pour aller boire un coup en compagnie d’autres femmes. Devant faire face à autant d’épreuves, sa mère verra son état de santé se détériorer considérablement, souffrant de symptômes que Chanda soupçonnera de plus en plus d’être ceux du sida. Comme si ce n’était pas suffisant, la meilleure amie de la jeune fille aura récemment perdu ses parents, en plus d’être soupçonnée par les gens du village de vendre son corps aux camionneurs dont l’itinéraire les amène à passer par la région. Bref, la situation n’a rien de réjouissant et plongerait assurément le premier venu dans un état de profonde déprime s’il devait un jour faire face à autant de malheurs en aussi peu de temps. Imaginez maintenant ce qu’il en est lorsque la personne concernée sort à peine de l’enfance…
Nous pourrions évidemment reprocher à Schmitz de tourner le fer dans la plaie de façon quelque peu abusive alors qu’il ne semble pas se passer une minute dans Life, Above All sans que la situation de son protagoniste ne s’envenime davantage. Le film viendra d’ailleurs à peine de débuter que la mère de Chanda entamera déjà un chant funèbre comme si le sort en avait déjà été jeté. Mais si Schmitz s’attaque ici à des problèmes que nous associons depuis trop longtemps au continent africain - le virus du sida, la mortalité infantile, les nombreuses failles dans le système de santé, etc. -, le cinéaste ne commet jamais l’erreur d’aborder ceux-ci d’une manière exagérément mélodramatique qui aurait pu facilement sombrer dans le misérabilisme, comme c’est souvent le cas dans des productions s’aventurant dans cette région du globe pour en révéler la détresse, mais en ne s’en tenant qu’à un point de vue strictement occidental. Le réalisateur dirige plutôt son regard vers l’attitude générale d’une population qui est visiblement en train d’hypothéquer son évolution de même que sa dignité en refusant de composer avec la malchance et les erreurs du passé. Le tout en ne faisant aucun effort pour éviter que celles-ci ne se reproduisent et ne menacent l’avenir de la nouvelle génération comme de la prochaine. Les commérages et les jugements hâtifs des voisins de Chanda mèneront ainsi plus souvent qu’autrement à des réactions barbares et inhumaines plutôt qu’à la compassion. On pense, entre autres, au refus des autorités de venir en aide à sa jeune amie étant donnée la nature honteuse des gestes l’ayant placée dans cette position.
La situation demeure évidemment toujours quelque peu épineuse lorsque vient le temps de porter un regard critique sur les agissements d’un peuple dont certains des plus grands drames et des plus grandes frayeurs se veulent le résultat d’actions étrangères. À cet effet, l’un des accomplissements les plus notables de Life, Above All s’avère justement cette volonté de plonger au coeur d’un tel environnement en soulignant que la population africaine doit, certes, toujours composer avec les conséquences de ces fléaux tout en ayant l’audace de diriger unilatéralement son regard sur celle-ci afin de tenter de la secouer par l’entremise de la détermination et de la bienveillance de Chanda - et non pas d’une source curatrice provenant de l’extérieur, comme c’est souvent la coutume. Schmitz fait ainsi preuve d’autant de sensibilité que d’empathie, n’incitant jamais le spectateur à prendre ses personnages en pitié, mais n’hésitant pas non plus à durcir le ton lorsqu’il le juge nécessaire. Le cinéaste d’origine sud-africaine fait preuve de tout autant de perspicacité au niveau de la mise en scène en proposant une facture visuelle laissée à l’état brut cherchant à présenter l’univers du film de la manière la plus naturelle qui soit, et ce, dans la beauté comme dans la sévérité de ses paysages et de ses événements. Le tout en se gardant bien d’étouffer pareille initiative de séquences inutilement larmoyantes. Life, Above All s’attaque ainsi à la désintégration d’une réalité que son maître d’oeuvre dépeint dans ses détails les plus banals comme dans ses plus révoltants en parvenant à conserver une homogénéité pour le moins surprenante dans le traitement de ces deux opposés.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, cette adaptation du roman Chanda’s Secret d’Allan Stratton n’a rien d’une oeuvre pessimiste, même si celle-ci ne s’impose pas non plus par son optimisme débordant. Pour le meilleur et pour le pire, Oliver Schmitz aura privilégié ici une approche tout simplement réaliste, soulignant l’abondance de problèmes particulièrement graves avec lesquels doivent composer les individus qu’il porte à l’écran en insistant sur le fait que rien n’est encore perdu. Une pensée que le réalisateur appuiera en soulignant abondamment le courage et la détermination de Chanda, campée avec toute la conviction et la vulnérabilité requises par la jeune Khomotso Manyaka. Schmitz terminera d’ailleurs son film sur une superbe image d’unité alors que le quartier chantera en choeur la chanson entonnée au départ par la mère de la jeune fille, ramenant la dignité et la raison chez ces hommes et ses femmes qui, quelques instants auparavant, s’étaient rassemblés devant la demeure de la mourante en ayant tous l’intention de lui lancer la première pierre. Car ce que représente le personnage de Chanda n’est ni plus ni moins que le futur d’une région qui, si elle refuse de se serrer les coudes et de veiller les uns sur les autres, ne pourra voir que l’histoire se répéter de nouveau. Un changement d’attitude qui pourrait d’autant plus lui permettre de ne plus se faire rouler par l’Occident - comme en témoignera une visite chez un médecin local qui tentera d’exploiter le manque d’éducation des plus âgés pour le bien des compagnies pharmaceutiques. Ainsi, s’il sacrifie parfois la consistance de son scénario au profit de son discours, les grandes convictions de Life, Above All en font certainement une oeuvre qui mérite d’être explorée.
Critique publiée le 7 décembre 2011.