DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Like Crazy (2011)
Drake Doremus

Les bornes de l'amour inconditionnel

Par Laurence H. Collin
Il y aura d’abord jeux de regards, sourires en coin cadrés serrés, puis un premier contact farouche. De l’ouverture jusqu’à sa promesse d’amour initiale, ce Like Crazy du relatif nouveau venu Drake Doremus porte ses intentions comme un badge; les sensibilités de l’auteur-réalisateur s’affichent comme ouvertement sentimentales, et non cérébrales. Il est donc approprié que la vocation de son cinéma soit d’embrasser les sensations d’un moment en temps réel, s’abstenant de les annoter, de les doubler d’un autre niveau de lecture. Ayant oeuvré à partir d’un scénario d’une cinquantaine de pages pour laisser place à l’improvisation, le mandat de Doremus se résume donc à rendre sa caméra discrète alors qu’elle pénètre l’intimité d’un couple de jeunes adultes. Flottante sans être nerveuse, caressante sans être esthétisante, sa technique porte sur ses épaules un poids important de la réussite modeste qu’est la première partie de Like Crazy.

On ressent donc un certain malaise à pointer du doigt (surtout envers un projet cousu sans le moindre fil de mauvaise foi) une certaine insuffisance que la mise en scène échoue à dissimuler. Car si l’énergie qui anime Like Crazy est aussi naturelle que décontractée, Doremus néglige assez gravement d’insuffler personnalité ou dissension dans son portrait. Il en résulte une oeuvre qui, même si manifestement régie par des sentiments véritables plutôt que par le gars des vues, paraît ultimement trop beige pour mériter ses lauriers.

Le coup de foudre sera instantané pour Anna (Felicity Jones), étudiante anglaise à l’étranger, et Jacob (Anton Yelchin), architecte en devenir. À peine finiront-ils leur premier café ensemble que ceux-ci partageront l’une de ces adorables séquences de montage d’activités réservées aux tourtereaux (autos tamponneuses, grasses matinées au lit, promenades sur la plage, etc. - pour être franc, son déroulement est moins pénible que je ne lui en donne l’air). Sans aucun doute, c’est l’amour avec un grand A. Seul hic : en ayant voulu passer l’été aux côtés de son beau, Anna a malheureusement violé les conditions de séjour de son visa étudiant. Systématiquement confinés au sol britannique, elle et Jacob tenteront donc par tous les moyens de faire brûler leur flamme malgré les contraintes juridiques, la distance géographique et le changement perpétuel de leurs quotidiens respectifs.

L’un des aspects les plus intéressants de Like Crazy, du moins, d’un point de vue conceptuel, se retrouve dans cette forme libre inusitée que prend le récit. Doremus a vraisemblablement cherché à poser son regard sur deux véritables êtres vivant leur vie, évitant de les rendre prisonniers du schéma consensuel de la romance en quatre actes. Séparés, puis réunis à des intervalles irréguliers et sans quête commune au-delà de la décision arbitraire des autorités quant au visa de résidence d’Anna, l’histoire du couple en question ne possède pas de ligne d’arrivée prédéfinie. Like Crazy s’apparente donc moins au drame romantique qu’au récit d'apprentissage que l’on pourrait le croire. Cette belle, ambitieuse et passionnée jeunesse de Doremus se permettant naïvement de croire que l’amour vaincra tout en prendra donc pour son rhume. Les sacrifices d’un train de vie adulte ne sont pas optionnels, et leur choix doit être fait prudemment - même dans la déraison de l’amour fou. Dans le volet « leçons de vie », Doremus joue subtilement ses cartes là où un nombre incalculable de scénaristes se sont enfoncés en voulant rendre le progrès intérieur de leurs personnages trop littéral.

Suivant tel critère, il est aussi tout à son honneur de nous avoir épargné quelques-uns des plus regrettables clichés étampés « coming of age » (la confrontation d’aspirations avec les parents, le réveil existentiel soudain, une fin porteuse de changements grosse comme ça, etc.). La volonté ferme du cinéaste d’éviter les tours de passe-passe narratifs hollywoodiens est palpable. Mais outre son acuité d’observation, Like Crazy ne présente rien de bien mieux pour rendre honneur à sa quasi absence de manipulation - et par « rien de bien mieux », je tiens ici à dire « rien ». Anna et Jacob, à défaut de paraître réellement amourachés l’un de l’autre, ne paraissent jamais assez spécifiques ou complexes. Leurs entourages et occupations respectives (il faudra m’expliquer comment un poste de « blogueuse » paie le loyer d’un appartement tout droit sorti du catalogue Habitat) restent désespérément vagues aux yeux du spectateur. Ultimement, le peu de relief rend difficile de voir en ces deux figures autre chose que tout simplement « le gars » et « la fille » du couple.

La distribution ne fait pas de magie avec le problème. Aussi généreux et spontanés soient Jones et Yelchin (certainement le couple le plus fabuleusement télégénique du cinéma indépendant depuis le Tom et la Summer de (500) Days of Summer), le rapport qu’ils partagent à l’écran ne parvient guère à occuper tous les creux du scénario. Non pas que les acteurs ne possèdent la complicité nécessaire pour rendre leur amour crédible, mais la façon dont ceux-ci choisissent d’habiter Anna et Jacob ne peut que se vanter d’être en concordance avec les hauts et les bas du scénario. Exception faite peut-être de deux ou trois scènes dans lesquelles Jones transporte l’auditeur vers les nuances infinies du non-dit, les performances se montrent aussi sages et linéaires que le reste de l’ensemble. Dans le rôle ingrat de « l’autre fille » convoitant un coeur qui battra toujours pour une autre, Jennifer Lawrence fait toutefois bonne figure.

Il arrive que certaines histoires d’amour gagnent en résonance, car les personnages concernés ne sont pas tout à fait des êtres entiers; n’est-il pas ainsi plus facile pour un spectateur de rattacher son propre bagage émotionnel aux représentations à l’écran? Pour toutes ses petites vertus, Like Crazy représente néanmoins une démonstration accidentelle des dangers inhérents d’une telle approche. Désincarnés au possible, Anna et Jacob ne laissent pas imaginer grands secrets, même lorsque leur liaison s’obscurcit. Cette image sur laquelle Doremus clôt son récit a beau renfermer une puissante charge implicite, elle vient d’abord mettre en évidence le fait que beaucoup de ce qui a précédé ne ferait pas le poids contre. Je m’étais juré de ne pas avoir recours aux dix mille jeux de mots stupidement évidents que le titre de l’oeuvre suggère, mais après les 90 minutes évanescentes de Like Crazy, force est d’admettre que l’on n’aura savouré qu’un petit arrière-goût de cette folie enivrante.
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Critique publiée le 14 novembre 2011.