L'encre des morts
Par
Mathieu Li-Goyette
Fidèle apprenti de Romero et en partie responsable de la série Tales from the Darkside et Tales from the Crypt, les antécédents de John Harrison trahissent ses influences et incombent le cinéaste à faire de son Book of Blood un film à la hauteur des attentes démesurées que représente ce premier et dernier segment de la saga homonyme de l’écrivain anglais Clive Barker. Basé strictement sur les nouvelles Book of Blood et On Jerusalem Street, le dernier film de Harrison aborde une histoire d’esprits des plus morbides et qui aura value à Barker sa consécration au sein d’un premier palmarès de la littérature fantastique aussitôt encensée par la critique et Stephen King. Si la nouvelle principale s’étendait à peine sur une douzaine de pages, l’œuvre de Harrison a pourtant le défi bien plus relevé que d’exercer sur son propre médium la même remise en question qui pousse Barker à faire de la littérature en soi l’ennemi de son propre lectorat. « Les morts ont des histoires et il faut les écouter » est le crédo de cette expérience tentant de tisser un pont entre notre monde et l’au-delà à l’aide d’un jeune prodige charlatan qui sera la proie d’un cri du cœur venant de ces fantômes et gravera à vif et par milliers de minuscules écritures dans la peau du jeune McNeal.
Livre de sang maudit et vivant, en débutant sa collection de contes de la sorte, Barker établissait une thématique récurrente par rapport à la valeur de l’écriture, de la descendance et des secrets cachés dans des pages immémoriales rejoignant à la fois l’abime lovecraftienne et la distinction de la littérature victorienne. Bref, alors que l’écrivain consacre son livre comme l’objet même d’une communication avec un monde peuplé par des visions d’horreurs par le biais d’une distanciation, Harrison se retrouve avec le défi tout cinématographique d’apposer à la pellicule la même teinte de damnation. Parallèlement, à la manière de l’auteur, l’éveil des morts s’avère symboliquement relié à l’éveil du désir de la professeur de parapsychologie envers son étudiant surdoué. Une relation interdite qui se développe sous les yeux d’un tierce personnage jaloux, un comportement exhibitionniste de la part de l’étudiant et les rêves sans cesse fantasmés par Mary convoquent ensemble un appel à la perversité et au réveil des forces et des histoires qui ne doivent jamais s’aventurer du côté des vivants. Pratiquement tourné en vase clos avec ses trois protagonistes, Book of Blood est une scénette d’horreur où l’espace bien cartographié par le cinéaste sert rapidement de stratégie narrative en explicitant la tension du triangle amoureux.
Servi par une photographie bien glauque, l’aspect atmosphérique (au sens pictural du terme) de la demeure hantée sert de rideau de théâtre aux apparitions spontanées des cobayes qui s’effraient mutuellement. De l’ombre à la pénombre à la lumière tamisée, les sombres recoins de la maison sont garants d’un obscène irregardable qui scelle le passé terrible de l’endroit et de ses habitants en quelque part au royaume des morts. Comme chez Tourneur (dont le cinéaste avoue lui même la pérennité), le son hors-champ représente toujours le meilleur outillage pour tirer profit du pouvoir de la suggestion alors que comme chez Wise, deux degrés de terreurs se chevauchent à l’avantage d’un effroi exercé subitement entre les personnages (où l’ombre « matérielle » de leur comparse provoque la peur) et d’une violence explicite à même les corps de ceux-ci (où la conception « abstraite » des esprits se matérialise avec véhémence sur des êtres bien concrets). Si le paysage des morts conçu par Barker lui-même (à lire dans l’entrevue que nous avons conduit avec John Harrison ici) brise quelque peu le momentum atteint par l’ultime sacrifice de McNeal aux morts, l’efficacité visuelle avec laquelle la scène est abordée parvient toutefois à contourner les évidentes limites budgétaires du film pour illustrer le carrefour des morts où chacun sort des entrailles de ce monde parallèle pour divulguer son histoire sur le corps de McNeal. Ces histoires racontent celles du Midnight Meat Train de Kitamura, du récent Dread de Diblasi et assurément des autres adaptations de Barker à venir.
Porte d’entrée vers une nouvelle vague dans le cinéma d’horreur indépendant ou simple tendance vers un cinéma gore différemment interprété, il en reste que l’adaptation de Book of Blood reste strictement fidèle à l’esprit disjoncté de l’écrivain. Visiblement au service du manuscrit original, Harrison a su façonner un récit élégant qui ne manque pas de verve et auquel la réalisation classique assurée permet facilement de capter l'essentiel de la nouvelle originale. Laboratoire où les pêchés de la tentation sont les plus transgressés (et toujours les plus punis selon l’auteur puisqu’aussi les plus tentant), Book of Blood a le défaut de peut-être nécessiter la lecture a priori de la courte histoire ou du moins la faculté de désamorcer cette attente sur laquelle se base la vente du film d’horreur moderne. De façon beaucoup plus intéressante un drame de mœurs aux finalités démesurées, il y a dans ce dernier film de Harrison une impression de le vieille école du cinéma fantastique des années 60 et 70 qui fait plaisir à retrouver alors que l’esthétique de convenance réduit à petit feu l’intérêt du film d’horreur souvent épargné et toujours blotti dans sa cachette du cinéma de divertissement. Book of Blood rappelle qu’il y avait bien une époque où la simplicité d’une narration bien maîtrisée et l’écriture de personnages plausibles servaient le film et son spectateur. L’aspect pornographique qu’entreprend trop souvent ce genre chéri s’avère aujourd’hui le vendeur par excellence d’une industrie des corps souillés où la tentative cependant louable de Harrison à la précision, la méthode et la fidélité du scribe à retranscrire des caractères finement peaufinés sur un canevas d'épiderme trouvera le temps bien long entourée du gribouillis incessant du reste de la production. Dommage, mais le mal sera nécessaire si l'on veut un jour encore pouvoir rêver du cinéma d'horreur à l'extérieur des préceptes du cliché et de la recette banquable.
Critique publiée le 17 juillet 2009.