La désaxée
Par
Mathieu Li-Goyette
Une voiture perce les plaines enneigées du Dakota - non, du Jura du nord de la France. À son bord, James Ellroy enquête pour son prochain polar - non, David Rousseau. Pendant qu'il se cherche un sujet, Marilyn Monroe est retrouvée morte, un flacon de somnifères à la main - non, Candice Lecoeur, starlette locale, est retrouvée morte dans la neige. En flashback, le corps nous raconte l'épopée d'Ellroy dans le dernier film de Billy Wider - non, c'est plutôt le deuxième film de Gérald Hustache-Mathieu portant sur le parcours périlleux de Rousseau (l'excellent Jean-Paul Rouve) sur les traces de la blonde assassinée.
Poupoupidou, jusque dans son titre référentiel, emprunte à Marilyn son ombre, mais pas sa silhouette. Sophie Quinton incarne avec grâce Candice, anciennement Martine, une jeune pompiste française recrutée pour son corps dans une agence de photo et de publicité. Elle se lie d'amitié avec les hautes instances politiques, couche avec le président du comté et son frère, lui chante « Happy birthday Mr. President » et périt dans un complot en réponse au chantage possible d'un corps idéalisé qui, un jour, sous le poids de son attrait public, décida de se révolter et de faire connaître au monde son vrai visage. Or, lorsqu'on devient une star, nous dit Hustache-Mathieu, nous entrons dans un genre de mafia du showbiz, un endroit dont il est impossible de s’enfuir tellement notre célébrité, face aux hommes les plus influents, a fait ouvrir maints coeurs et secrets. Elle en deviendra folle, dépendante et désaxée comme l'était les désaxés, les « misfits » Gable, Clift et Monroe du film de Huston, d'autres vedettes aux visages double. Martine y plonge et en meurt; c'est l'écrivain français retraçant ses pas qui en fera à son tour une obsession. Obsession du récit parfait, du récit qui se joue de l'Histoire comme il joue avec elle, la bombe sexuelle qu'il explore dans tous les recoins de son intimité laisse d'abord apparaître une personne perturbée, comme avalée par sa propre image.
Dès le générique, où Candice se drape de tissus évanescents que Hustache-Mathieu capte comme autant de pelures transparentes nous faisant lentement découvrir avec une limpidité curieuse les formes du corps féminin, une relation privilégiée s'installe entre l'actrice et le spectateur. Contrairement aux héros de Double Indemnity et de Sunset Blvd., des personnages virils qui ne nécessitent pas l'attention délicate d'un cinéaste amoureux, Poupoupidou nous met d'emblée dans une position délicate. De tout le film, nous sommes les seuls à pouvoir apercevoir Candice en vie. Les autres ont disparu, sont morts ou se sont tus. Nous assistons à la reconstruction de sa vie par un écrivain fantasmant une image et sa déconstruction par l'écrit tandis que nous, par l'image, nous voyons les choses telles qu'elles devaient l'être. Mais ça, même Hustache-Mathieu ne peut nous le garantir.
Parce que son deuxième film est situé dans un art référentiel de plus en plus maîtrisé par-ci et par-là sur le globe, l'ombre de Marilyn et des Misfits (d'où une scène de Poupoupidou est complètement calquée en hommage à l'unique rôle si humain de Monroe) englobe le film et l'empêche de s'envoler comme on l'aurait souhaité. C'est dommage, car le jeune cinéaste a décidément de meilleurs jours devant lui, des films où ses personnages ne joueront pas strictement à être autre, des films où sa trame narrative et certains de ses plans ne seront pas des citations admiratives, mais bien des traits clairs d'une histoire qui lui est propre; en cette ère de l'image envahissante, l'histoire d'un homme qui aima des films a le dangereux pari de blaser le spectateur au fil des scènes alors que son idée, son concept, brillamment réfléchi et exécuté, nous fait espérer bien plus pour le metteur en scène.
C'est qu'en parlant de cette sempiternelle admiration française de l'Amérique (le policier du coin étudie pour faire partie de la Gendarmerie Royale du Canada, le président du comté et son frère rappellent John et Bobby Kennedy, le héros fait des références directes au polar américain, la structure empruntée au film noir classique, les décors « américanisés » et les couleurs jamais trop loin du noir et blanc de l'époque citée, une bande sonore strictement anglo-saxonne, etc.) que Hustache-Mathieu ne parvient ni tout à fait à la critiquer et à définir, à lui comme à la France qu'il filme, une identité intègre, ni tout à fait à l'intégrer. Tout comme il fait moins froid ici que dans le Fargo des Coen, tout est moins baroque que chez Melville, mois lyrique dans sa tragédie que chez Clément et la constante impression d'avoir affaire à un réalisateur qui a peut-être sauté une étape est sous-entendu lors des moments les plus douteux. Dans le froid, la matière iconographique semble avoir glissé sur le squelette idéologique - l'idéologie n'ayant que peu d'intérêt lorsqu'on lui soutire ses icônes communicantes. En effet, dans l'entre-deux d'une critique et d'une identification double non pas à l'Amérique, mais à une France qui rêve d'Amérique, Poupoupidou ne peut régler son problème, malgré ses grandes interprétations et sa mise en scène léchée. Ne s'appropriant rien, en laissant tout aux Américains et en laissant ses personnages dépassés par le film légendaire qui n'a jamais existé sur le scandale de Monroe et Kennedy, l'imaginaire collectif l'emporte, contre le gré de l’oeuvre elle-même, sur le film. Voilà pourquoi, lorsque nous l'avons rencontré en entrevue, Gérald Hustache-Mathieu avait bien raison de parler de complexes, car c'est le plus grand des complexes du cinéma contemporain que de raconter une histoire ancrée dans un genre né hollywoodien. Certains auteurs ne tentent jamais leur chance. D'autres y échouent. Hustache-Mathieu en a fait un film, un film-thérapie que l'on regardera peut-être plus tard comme le film mineur d'une grande carrière.
Ce n'est donc pas la faute du réalisateur, ni de ses habiletés visiblement présentes. Mais à vouloir réveiller les titans, il ne faut pas s'attendre à en ressortir indemne, ni à réinventer ce qu'ils incarnent déjà ou à insérer les particularités françaises à la formule hollywoodienne. Car au final, c'est le mythe qui l'emporte, et qui emporte avec lui tout ce qui importe.
Critique publiée le 16 septembre 2011.
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