DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Another Earth (2011)
Mike Cahill

Nouveau monde?

Par Élodie François
Une nouvelle étoile est apparue dans le ciel, bleue, brillante, réconfortante. On ne parle que de cela à la télévision et à la radio. Rhonda est fascinée. Il faut dire que  la jeune fille est passionnée d'astronomie. Ce soir-là, elle passe la tête à travers la fenêtre de sa voiture pour mieux voir. Un peu plus loin sur la route, un véhicule est arrêté au croisement. Rhonda ne le voit pas. Lorsqu'elle sort de prison quatre ans plus tard, l'étoile s'est rapprochée. Cette étoile, en vérité, c'est la nouvelle terre. Baptisée Earth 2, elle devient rapidement le centre de toutes les questions, l'objet de tous les fantasmes. Et s'il y avait, là-haut, la possibilité de vivre ce que je n'ai pas vécu ici bas?

Projeté pour la première fois à la dernière édition du festival de Sundance, Another Earth est tout sauf ce que l'on pourrait imaginer. Survolté dans les premiers plans, léger comme l'air dans les séquences suivantes malgré l'incommensurable poids des remords qui rongent son personnage principal, Another Earth n'est pas un récit de science-fiction traditionnel, car le seul territoire que l'on explore est celui de l'identité. Rhonda n'a que dix-sept ans lorsqu’elle tue involontairement la femme enceinte d'un brillant compositeur et son fils. Incapable de reprendre une vie normale, la jeune femme déambule du grenier familial où elle a installé sa chambre, à l'école où elle est employée comme technicienne de surface, soit comme femme de ménage. Elle préfère la compagnie de son collègue, un vieil indien aux mains calleuses que l'ouvrage a usé jusqu'à la corde, à celle de ses anciens amis qui, on s'en doute, n'ont jamais manifesté leur soutien pendant sa longue incarcération. Elle ne parle à personne, même pas à ses proches. Pour elle, ils sont déjà loin. Pour s'en sortir il faudrait qu'elle gagne le concours auquel elle a tant hésité à s'inscrire : gagnez votre place dans l'expédition en direction d’Earth 2. Mais depuis l'accident, elle ne pense qu'à une chose : demander le pardon de l'homme que son irresponsabilité a brisé.

Il est difficile de trouver une telle finesse dans le cinéma de genre et, plus particulièrement, dans le cinéma de science-fiction que l'industrie, avec ses budgets démesurés, son numérique et ses obligations narratives a contaminé. En cela, Another Earth rappelle cet autre petit joyau que le festival de Sundance (puis Fantasia) avait eu l'intuition de dénicher en 2009 : The Clone Returns Home, sci-fi minimaliste, introspective et méditative qu'un japonais avait eu le culot de présenter à Wim Wenders dans sa recherche désespérée de financement. Pour son premier long métrage de fiction, Mike Cahill conserve ce sens délicat du documentaire qu'il a eu l'occasion d'expérimenter dans ses films précédents. Les gros plans caressent les sentiments du personnage sans jamais les heurter et saisissent dans la lumière blafarde des néons les seuls moments de réelle complicité que la jeune femme aura avec ses congénères. À une époque où le voyeurisme culmine, rares sont les films qui se rapprochent - physiquement - de leur sujet sans en violer l'intimité. Ici, Rhonda ne fera rien qu'elle ne pourrait faire en public et, aussi présente soit-elle à l'écran, le spectateur ne sera jamais confronté à cette incommodante sensation qu'est celle de transgresser les limites du cercle privé.

Mais le mérite ne revient pas seulement à la caméra de Cahill. L'interprétation de Brit Marling (que peu d'objectif ont encore eu la chance de voir) est criante de vérité et n'est pas sans rappeler le jeune temps d'une Meryl Streep, dont la beauté naturelle se dévoilait au fil des cadres. Mais c'est avant tout la simplicité et l'honnêteté de son jeu qui transcendent un personnage dont le salut repose sur la terrible confession qu'il s'est promis de faire. Brave, Rhonda se rend au domicile de John Burroughs dans cet unique but, mais est rapidement rattrapée par la peur et la culpabilité. Toujours vêtue de sa blouse de travail masquant les vestiges de cette adolescence perdue, elle lui proposera des services ménagers que le compositeur, accablé par de terribles maux de tête (séquelles du coma dans lequel l'accident l'avait plongé) et incapable de se remettre de la perte de sa famille, finira par accepter. En rangeant son logis, ce sont les pensées de John que Rhonda rafraîchie, époussetant sa passion pour la musique et son intérêt pour l'astronomie à mesure que les pièces se vident de la crasse et de la colère de celui qui les hante. Le silence finira par se rompre et les esprits par se toucher. Toutefois, il faudra du temps avant de trouver le courage de dire à cet homme que la femme en qui il accorde aujourd'hui toute confiance est responsable de son calvaire. Récit d'un drame plus que tout, Another Earth s’interroge sur une morale essentielle et nous rappelle que, dans de telles circonstances, il n'y a pas de coupable, mais seulement des victimes et que le pardon des uns est le repos des autres.

Métaphorique, le voyage vers Earth 2 que Rhonda gagnera avec mérite n'est pas le but ultime de cette histoire. En outre, l'expédition est moins une découverte de l'inconnu que de l'exploration du vécu. Car si la ressemblance entre la Terre et sa jumelle est si frappante, c'est parce que cette nouvelle planète n'est autre que le reflet de la nôtre. Monde parallèle, il y a sur Earth 2 un double de chaque âme peuplant la Terre, de chaque histoire, à quelques différences près. Là-haut subsiste la possibilité de voir s'accomplir ce qui ne l'a pas été ici ou de voir se poursuivre sans accroc la vie que nous avions si ardemment construite. Parce que le bonheur de Rhonda dépend de celui de John, elle lui cédera sa place à bord dans l'espoir qu'il existe, quelque part, une seconde chance.
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Critique publiée le 4 août 2011.