DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Horrible Bosses (2011)
Seth Gordon

Connard, idiots, salopes & trou-de-cul

Par Maxime Monast
Êtes-vous déçus lorsque la comédie que vous attendiez depuis que vous avez vu la bande-annonce est plus ou moins drôle? Vous exclamez-vous en dédain? Ou vous cachez-vous plutôt paisiblement derrière votre écran? Que vous soyez l’une ou l’autre de ces personnes, vous n’êtes pas seuls. Ne vous inquiétez pas. Respirez. Grossièrement, à moins d’être un robot, vos attentes et votre expérience peuvent être une aventure complètement différente. Un conseil : laissez-vous aller et n’y pensez pas trop.

Horrible Bosses de Seth Gordon occupe une place médiane dans la grande famille des comédies américaines. Fondamentalement, elle s’inscrit dans le même mouvement que celui de réalisateurs tels Kevin Smith, Todd Phillips et Judd Apatow, qui ont su ramener à la vie les « raunchy comedies » des années 80. Le but de l’exercice est de produire un divertissement osé et dérangeant pour les jeunes adultes. On expose le genre à toutes ses possibilités en s’imposant une classification plus haute (réservé aux dix-sept ans et plus).

À partir d’une telle classification, comment peut-t-on mesurer l’effet d’une comédie? Est-ce par le nombre de fois où nous avons ri? Par notre bonne humeur suite à son visionnement? Par les répliques que nous avons déjà mémorisées à la sortie de la salle? Il est peut-être inutile de faire l’exercice - la comédie a longtemps été considérée comme un genre facile et sans intérêt académique - puisque le but ultime du créneau est de divertir son public de la manière la plus naturelle qui soit.

Divertir demeure un objectif noble. Si vous savez comment faire rire le public, vous avez un talent qu’il ne faut point gaspiller. Il me paraît plus difficile de faire rire une salle que de la faire pleurer, la négativité et l’empathie me venant plus simplement. Mais ce deuxième film de fiction du documentariste connu pour The King of Kong et Freakonomics s'avère au final une version beaucoup plus chaste de tous ces fameux exemples qui peuvent nous passer par la tête. Gordon privilégie ici une méthode plus raffinée pour plaire à un plus large public, mais en décevra aussi plusieurs par la même occasion.

La simple prémisse de Horrible Bosses prouve l'efficacité du genre : trois amis (Jason Bateman, Jason Sudeikis et Charlie Day) veulent tuer leurs patrons désagréables (Kevin Spacey, Colin Farrell et Jennifer Aniston). Une idée qui sent le déjà-vu, mais qui regorge de possibilités (notamment en terrain comique). On constate très vite que le film, même s’il s’affiche comme une comédie noire, ne joue pas vraiment avec un modèle hégémonique. Que ce soit Election d’Alexander Payne ou bien Harold & Maude d’Hal Ashby, le genre s’amuse d’ordinaire en manipulant des conventions pour en tirer des rires à des moments qui ne doivent pas nécessairement être drôles. « Comédie douce-amère » n’est pas la formulation parfaite. « Fourre-tout » est peut-être une simplification adéquate. Le but est de faire rire avec des situations préoccupantes en incitant une réflexion sur la sévérité du sujet et son côté satirique. Le présent effort ne résonne toutefois pas aussi fort que nous l’aurions espéré. Il y a des meurtres, de la drogue, des obscénités, mais ils sont articulés de telle manière que leur impact est minime au bout du compte. Bref, tuer son patron est une pensée légitime, surtout s’il est un connard. Par contre, passer à l’action est une tout autre paire de manche.

En faire sa prémisse n’est donc pas nécessairement osé. Banal puisque fantasmé, le plan devient audacieux lorsque l'action se met finalement en marche. Cela dit, ce n'est pas non plus dans cette mise en scène du complot que Horrible Bosses parvient à devenir intéressant. Pour clarifier, l'oeuvre s’affiche comme le rêve de tous les employés désabusés, désillusionnés et dérangés. Ici, ces derniers décident de passer à l’action étant donné leur situation précaire. Ils sont piégés par les menaces de leurs patrons et une récession économique rendant les emplois rares (leur ami Kenny en est l’exemple parfaite). Mais Gordon n’arrive malheureusement pas à choquer ou à stimuler son auditoire pour nous faire croire que ses personnages veulent vraiment en finir avec leurs patrons. Le seul « vrai de vrai » se trouve à être le personnage interprété par Kevin Spacey, qui ressuscite ici son personnage de Buddy Ackerman qu’il interprétait dans Swimming with Sharks. Ses pulsions pathologiques sont claires et il les pousse au maximum. Il est vrai que les autres patrons présentent leur côté obscur : Aniston joue la nymphomane tandis que Farrell n’atteint pas son plein potentiel tellement ses apparitions effacées frôlent la figuration.

Et quoi penser de nos trois tueurs en herbe? Chacun joue ici son rôle de manière typique. Jason Bateman (Arrested Development), Jason Sudeikis (Saturday Night Live) et Charlie Day (It’s Always Sunny in Philadelphia) ne changent aucunement d’habits. Calquant les personnages qui les ont rendus célèbres, ils parviennent à nous convaincre de l'efficacité du sceau télévisuel qu'ils transportent au grand écran. Du type névrosé au bouffon en passant par l'abruti, ils représentent ces archétypes de la télévision américaine (remplaçables à tout moment par une nouvelle génération de jeunes têtes encore inconnues). Mais cette attention portée au public de ces émissions cultes est à double tranchant : l'humour de Horrible Bosses dépend énormément de la connaissance et de la confiance que le spectateur leur accorde pour le divertir. Dans le cas présent, tous les éléments y sont et très vite, malgré quelques pépins en début de parcours, l’expérience se révèle des plus agréables.

Mais c'est justement lorsque l'on se fit à ses instincts que la bonne comédie « facile » de l'été ne déçoit pas. Informez-vous, observez de quel humour il sera question et vous ne serez ni déçus ni surpris. Choix délibéré, sans vraiment l'être, du spectateur en quête de rires, Horrible Bosses et ses sept grosses têtes d'affiche est la façon la plus simple et efficace de prendre le pouls de la culture comique états-unienne. Et c'est pour ces raisons que le dernier film de Seth Gordon n'aura probablement pas de difficulté à se tailler une place, financièrement parlant, parmi les divertissements inoffensifs des derniers mois.
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Critique publiée le 2 août 2011.