Suite au succès surprise de
La grande séduction, le scénariste Ken Scott est rapidement devenu une sorte de célébrité parmi ses pairs, étant dès lors facilement reconnu dans un marché où le public a pourtant de la difficulté à mettre un visage sur la grande majorité de ses réalisateurs. Plutôt que de s’asseoir sur ses lauriers, Scott aura su prouver par la suite qu’il ne manquait pas d’ambition, acceptant - et remportant haut la main - le pari difficile de porter la vie de l’une des plus grandes idoles de la belle province au grand écran en signant le scénario du
Maurice Richard de Charles Binamé. S’il aura frappé un mur par la suite avec le très malhabile
Guide de la petite vengeance en plus de ne pas faire l’unanimité avec
Les doigts croches, son premier essai à la réalisation, ces deux productions réaffirmaient néanmoins une volonté de sortir des canevas habituels du cinéma populaire québécois, ou du moins, de les approcher sous un angle quelque peu différent. Une tangente que le cinéaste adopte une fois de plus ici, épaulé par l’humoriste Martin Petit à l’écriture, en abordant d’une manière pour le moins inusitée les thématiques très populaires, pour ne pas dire surexploitées, de la famille, de la figure du parent absent et de ces hommes demeurant d’éternels adolescents. Le cas exploré ici est celui de David Wozniak (Patrick Huard), un livreur de viandes endetté jusqu’au cou oeuvrant pour la boucherie familiale qui, dans les années 80, aura fait une quantité astronomique de dons de sperme sous le pseudonyme assez peu subtil de Starbuck. Vingt ans plus tard, David découvrira que, suite à une erreur de la clinique de fertilité, il est à présent le père biologique de 533 enfants, dont 142 ayant décidé d’entreprendre des démarches afin de faire invalider la clause d’anonymat protégeant son identité.
Cet élément déclencheur pour le moins farfelu, qui finira par devenir étonnamment engageant, sera évidemment l’occasion pour David de mettre de l’ordre dans sa vie, de prendre ses responsabilités et d’enfin passer à l’âge adulte. D’abord peu enchanté par cette révélation, l’homme cherchera finalement à connaître au hasard quelques-uns de ses rejetons, toujours sous le couvert de l’anonymat. Les deux scénaristes enchaîneront alors d’une manière à la fois habile et on ne peut plus enjouée les séquences où Starbuck veillera sur ses progénitures en leur venant en aide de différentes façons, tel un super-héros - d'ailleurs vêtu au départ d’un chandail à l’effigie des Avengers ou de Green Lantern -, ou plutôt un ange gardien selon l’appellation par laquelle se définira lui-même le principal concerné. Le duo se montrera tout aussi perspicace dans la manière dont il érigera le portrait de ces individus, certes, bien différents les uns des autres, ayant tous leurs problèmes comme leurs particularités, présentant avec sensibilité ce groupe des plus hétéroclites dont les membres seront unis par la force des choses comme de véritables frères et soeurs, au point de prendre parfois les traits d’une seule et même entité. Une démonstration aussi significative de solidarité et d’affection jouera du coup un rôle primordial dans l’évolution du protagoniste, lui qui verra son existence déjà passablement compliquée prendre des proportions tout ce qu’il y a de plus démesurées. En plus de son boulot, qu’il exécute d’assez piètre façon, ses problèmes d’argent et l’arrivée prochaine d’un enfant (légitime) issue d’une relation avec une femme (Julie Le Breton) pour qui il fera des pieds et des mains afin de prouver qu’il peut réussir sa vie, David sera confronté à une tempête médiatique qui se créera progressivement autour de son histoire et qui entraînera par la même occasion une vague de commentaires pas toujours très élogieux à son sujet.
Une telle situation plongera évidemment le personnage principal dans un profond dilemme moral et éthique, entre son désir de révéler son identité à « ses » enfants et celui de suivre les conseils de son avocat (Antoine Bertrand) et d’intenter une contre-poursuite afin de pouvoir régler ses dettes et ainsi mettre un terme aux visites périodiques de malabars qui aimeraient visiblement récupérer leur dû. Cette accumulation de sous-intrigues est fort heureusement gérée avec fougue et perspicacité par Scott et Petit, qui alimentent allègrement l’ensemble en récupérant d’une manière plus qu’inspirée nombre de concepts éculés tout en lui assurant une efficacité comique et dramatique des plus entraînantes, évitant du coup le piège de la caricature dont souffre encore aujourd’hui une trop grande quantité de comédies « made in Québec ». Une réussite qui s’explique une fois de plus par l’intelligence de l’écriture et cette touche particulière du cinéma de Ken Scott lui permettant de bâtir un récit autour d’images fortes et d’idées déployées avec autant de finesse qu’elles peuvent être soulignées à gros traits. Scott et Petit auront d’ailleurs su s’entourer d’une équipe idéale pour mener leur projet à bon port, profitant du travail de premier ordre de Pierre Gill (
Maurice Richard) à la direction photo tout comme de celui d’Yvann Thibaudeau au montage, qui appuie avec tout autant de verve chacune des deux tangentes de l’oeuvre, et d’une trame sonore qui, même si elle s’avère parfois trop présente, comme c’est souvent le cas dans ce genre d’entreprises, ne devient jamais envahissante. Certes,
Starbuck demeure un film populaire destiné à un très vaste auditoire. Des qualificatifs qui se révèlent ici synonymes d’une vision ambitieuse et d’un professionnalisme des plus réjouissants dans l’élaboration comme dans la livraison d’un concept apte à rivaliser avec les productions équivalentes issues d’autres marchés nationaux, et ce, autant d’un point de vue esthétique que scénaristique.
Starbuck est donc l’histoire d’un divertissement dosant ses éléments de façon exemplaire, n’y allant jamais de dialogues trop encombrants tout en ne se permettant que quelques moments plus cabotins ou mélodramatiques - qui fonctionnent encore là étonnamment bien. Le présent exercice réserve aussi plusieurs moments dramatiques d’une force inouïe, tirant profit de tout son arsenal visuel sans que le tout ne semble jamais forcé ou simplement artificiel. Un tel succès repose évidemment en grande partie sur la qualité des interprètes, qui donnent eux aussi un souffle qui leur est propre à des personnages souvent très typés. C’est le cas notamment de Patrick Huard, qui excelle ici autant, sinon plus, dans son jeu dramatique que dans ses obligations comiques, ajoutant ainsi une bonne dose de nuances à son personnage de sympathique perdant. L’initiative marque d’une certaine façon un virage à 180 degrés par rapport à certaines productions récentes alors que Scott et Petit nous présentent tout au long du film divers exemples de parents élevant seuls leurs enfants et de progénitures semblant errer seul dans le monde - à la recherche de leurs origines, une fois de plus - pour finalement terminer leur course sur la naissance d’une famille unie. Le même constat s’applique également au niveau de la forme alors que
Starbuck présente un style résolument moderne là où plusieurs productions québécoises des dernières années défendaient une facture esthétique parfois complètement dépassée, tel le récent
Le sens de l’humour d’Émile Gaudreault.
Starbuck s’impose ainsi d’une certaine façon comme une première véritable tentative de suivre ce qui se fait depuis déjà quelques années aux États-Unis en termes de comédies pour adultes, Scott et Petit n’osant évidemment pas encore jouer la carte de la vulgarité excessive, mais ayant au moins le mérite de faire les choses à leur manière plutôt que de copier bêtement ce qui s’est fait par le passé. C’est un début.