Lonely Place to Die, A (2011)
Julian Gilbey
L'art de tomber
Par
Mathieu Li-Goyette
Pur produit de l'Écosse, A Lonely Place to Die a pour décors les paysages rocheux du vieux pays ainsi que son fort accent pour donner une couleur plus rude et directe à la langue anglaise. Quatrième long métrage de Julian Gilbey, celui de plus en plus connu comme étant le réalisateur de peu de moyens et de beaucoup d'effets, A Lonely Place to Die est une exception en son genre et dans la pluie toujours plus médiocre d'opus à suspense prenant l'affiche sur nos écrans. Restreint dans ses ambitions formelles, Gilbey compense par une minutie du détail qu'il parvient à retranscrire à l'écran par une attention particulière aux dangers et plaisirs de l'escalade en plein air. Ses grands plans nous attrapent le coeur et ses plans larges nous l'arrachent : le film donne le vertige comme peu y seront parvenus et, par une brillante utilisation des plans subjectifs, nous met sur le qui-vive dès la première séquence. Chaque faux pas, chaque instant d'égarement, peut signifier une chute impardonnable vers un sol de roches. Les corps tombent si rapidement et avec tant de fracas que l'on entend les os se briser et le sang être expulsé des orifices de la victime.
La mort, dans A Lonely Place to Die, se vit effectivement en solitaire. Quelque part là-haut dans les montagnes, des gens meurent sans raison et nous, cloué au bout de notre siège, attendons avec impatience le premier moment de répit. Un moment qui, en dehors de quelques pauses servant à développer rapidement et efficacement des personnages dont la faute est de survivre à l'écran si peu longtemps (certains sont si intéressants qu'on aurait souhaité que Gilbey ne les tue pas systématiquement), impose une tension latente. Mais non, le cinéaste et son film sont impitoyables. La chute, longue de cent minutes, satisfera même les plus exigeants amateurs de « survival ».
Accompagnés par une musique aux terminaisons dramatiques plutôt qu'une trame pop (à la manière des slashers et autres thrillers contemporains), le film de Gilbey se démarque d'abord par son style élégant et épuré n'abusant jamais des caméras chancelantes ou des effets d'accélérations si populaires qui, mêlé à une hausse démesurée des contrastes, semblent être aujourd'hui la norme du cinéma de sensations fortes sale et provocateur. A Lonely Place to Die prend d'abord le temps de filmer ses paysages et l'espace immense qui entoure son groupe de vacanciers entraînés à l'escalade. Ils ne craignent pas les plus hauts sommets, font preuve d'une camaraderie réconfortante (et ne glisse pas vers l'habituelle débauche de sexe et d'alcool typique des chalets perdus) et sont bien plus prudents qu'une bande de jeunots. Sorte de version mature et moins sanglante de The Descent, l’oeuvre de Gilbey suit à la lettre les codes du survival et met en scène, étape par étape, notre équipe de protagonistes (menés par la talentueuse Melissa George) vers leur destination ultime de l'autre côté des monts. Sur leur chemin, ils croisent néanmoins un caisson métallique et rouillé enfoui en plein milieu d'une montagne. Un bizarre de tuyau d’échappement laisse deviner une structure plus grosse qu'ils examineront et ouvriront finalement. La surprise les choque : une fillette parlant une langue qui leur est complètement étrangère y était gardée prisonnière. Ils l'extirpent du trou et tentent de revenir vers la civilisation le plus rapidement possible. La course commence.
Contrairement à ce que l'on pourrait d'abord penser, l'enfant n'était pas un appât, mais bien un otage. Au fil du dévoilement de l'intrigue et de l'inclusion dans un montage parallèle, d'abord incompréhensible, d'une équipe d'intervention s'approchant de la localisation du groupe de randonneurs, A Lonely Place to Die se transforme en thriller pur et dur où une histoire de rançon se mêlera à celle de la survie en haute altitude. En effet, un duo de kidnappeurs a enlevé la fille d'un riche caïd de la drogue et exige la somme de six millions d’euros pour sa libération. La poursuite s’approchant de son point culminant, les survivants se tourneront vers un petit village où une fête annuelle tenue en l'honneur de dieux païens annonçant la venue d'une nouvelle saison leur servira de cachette. Se faufilant pendant le défilé, ils parviendront à semer les kidnappeurs distraits au passage par l'arrivée du groupe d'intervention armé. La bataille éclate, les coups de fusil volent pendant que le village, les yeux fixés sur ses danseurs nus crachant le feu, est hypnotisé par un hommage aux temps immémoriaux où l'homme ne faisait qu'un avec la bête et la nature. La référence à la première partie du film est choquante, la sauvagerie des premiers meurtres faisant écho au paganisme qui, en s'y entremêlant, fait de ce coin de pays une terre désolée où la barbarie aurait survécu.
Le soufflé dégonfle précisément ici. Ce qui s'annonçait comme l'un des survivals les plus efficaces des dernières années trouve sa conclusion dans une décevante finale plus classique, honteusement prévisible et aux décisions frôlant la série B. Loin de cet endroit « isolé pour mourir », les protagonistes pris en chasse à travers le défilé sont tout à fait déjà vus et ennuyeux. Terminé les chutes d'une violence inouïe, terminée ces moments de tension où, suspendu au-dessus du vide, un seul point d'accroche, un seul orteil semblait séparer l'alpiniste d'une mort certaine. D'une escalade périlleuse, nous sommes passés au fusil à pompe. A Lonely Place to Die perd de sa raison d'être plus il s'approche de sa fin et, des vastes paysages ensoleillés dissimulant une menace inconnue, il arrive dans une ville trop lugubre avec des antagonistes trop enragés. L'exceptionnel redevient normal et ne laisse enfin derrière que ses magnifiques plans, sa manière de filmer la nature et la confusion de ses personnages, belle et prenante. Rares sont de telles chutes.
Critique publiée le 25 juillet 2011.