DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Ilsa: She Wolf of the SS (1975)
Don Edmonds

Heil Ilsa!

Par Mathieu Li-Goyette
Ilsa, la louve des SS. Ilsa, la terreur sexuelle du camp numéro 9. Ilsa, la tueuse. Celle qui torture pour tester l'endurance des corps et qui éreinte les plus rebelles jusqu'à ce qu'ils s'effondrent dans leur sang et leur bave. Elle fait bouillir une femme, insère des jouets sexuels électrisés dans une autre et fait imploser la tête d'une prisonnière dans une chambre à pression. À côté de ces tortures, celle de la jeune demoiselle suspendue par le cou et n'évitant la pendaison que par son équilibre éphémère sur un bloc de glace pendant que les officiers nazis sont attablés fait figure de mort rapide; Ilsa souhaite épater l'envoyé d'Himmler et lui servira donc un buffet qu'ils dégusteront alors que la victime de la louve SS mourra d’asphyxie sous leurs yeux. Ilsa: She Wolf of the SS est l’un des films les plus cruels qui soit, l’un de ces ramassis d'images dont le visionnement même suffit à donner des maux d'estomac et à remettre en question la plausibilité de ce que l'on regarde.

Personne n'a pu faire ce film, se dit-on. Personne n'a pu faire de l'holocauste un produit à mi-chemin entre l'horreur et la pornographie. Personne. Et bien si, Don Edmonds l'a fait. Et d'autres (André Link, John Dunning et David F. Friedman) l'ont aidé. À la suite du succès de Love Camp 7 (1969), voilà qu'une petite production canadienne se met en marche avec comme tête d'affiche, le mannequin, vedette de « sexploitation » et pin-up Dyanne Thorne. Et c'est ainsi que Ilsa: She Wolf of the SS, entame sa longue et troublante histoire.

Produit d'un autre temps, le nanar d'Edmonds ne se prend pas au sérieux. Preuve en est, son producteur Friedman est aussi le premier producteur d'Herschell Gordon Lewis (parrain du gore et amuseur public ayant compris que la violence, au cinéma, pouvait être drôle sous certaines conditions). En fait, Ilsa est absurde à un point tel qu'il nous implore d'en rire et non d'en pleurer. Dans le cas contraire, il serait probablement le porte-étendard de l'un des genres les plus répréhensibles du cinéma, celui qui, pour faire fluctuer les salaires de ses techniciens et de son celluloïd, a voulu tirer profit de la mémoire de la Shoah. Et pourtant, l'écriteau qui précède le film (signé par un faux nom inventé par le producteur qui voulut à l'époque se séparer du monstre qu'il venait de mettre au monde) insiste sur le massacre des Juifs et sur l'importance de se souvenir des atrocités dans l'espoir qu'elles ne se reproduisent jamais.

Mauvaise blague, alibi pour le pire à venir, il faut voir ensuite ce plan méticuleusement calculé présenter tranquillement une chambre richement décorée. Nous devinons une fesse féminine bien ferme dans un reflet du miroir. Un homme musclé et une femme plantureuse font l'amour. Elle crie. Crie encore. Elle s'habille et revient vers son amant. La caméra monte, s'arrête sur son coude. Voilà le brassard nazi qui inonde le cadre par son rouge pompier (plus rouge qu'il ne devait l'être, donc plus un costume qu'un réel vestige historique). La voilà notre Ilsa, louve des SS. Insatisfaite du « rendement » de son homme, elle le castrera, accompagnée de ses succubes de service, des lieutenantes prenant un curieux plaisir à torturer leurs victimes les seins à l'air. Les corps se raidissent. Le sang gicle. Le fouet se dandine tout comme les poitrines. Voilà un peu ce que l'on retient du « nazisploitation » en général quand pourtant, Ilsa: She Wolf of the SS, a tellement plus à offrir.

Film terrible et sans pitié, il est d'abord l'histoire (et non un film à sketchs) de la quête féministe d'Ilsa. En effet, la perverse femme SS cherche à prouver que le corps de la femme peut endurer de plus incroyables douleurs que le corps de l'homme. Elle cherche donc un cobaye pour tester sa théorie et convaincre le Troisième Reich d'entamer au plus vite la conscription de forces du sexe féminin (nous sommes en 1945 et le temps presse pour Hitler et ses armées). À l'opposé, Ilsa fait la rencontre d'un étalon américain, un homme « inépuisable » qui, de l'air le plus sérieux, expliquera ce qui suit à son voisin de cellule : « Vois-tu, j'ai découvert depuis ma maturité que je suis infatigable. En d'autres mots, on pourrait dire que je suis une machine au lit ». Ment-il?

Évidemment non, cet homme ne ment pas et livrera bel et bien la marchandise. Capable, contre toute attente, de satisfaire les deux lieutenantes suivies de près par la commandante elle-même, l'Américain deviendra le talon d'Achille du camp de concentration. Il coordonnera la fuite de ses congénères pour ensuite faire marcher sa maîtresse dans un vilain jeu sadomasochiste où, ligotée, elle sera incapable de sonner l'alarme. Comble de l'ironie, prisonniers et Juifs triomphent alors des Allemands pendant qu'un détachement SS rase le tout (et abat Ilsa) pour faire taire les preuves et dissimuler les excentricités sexuelles de la louve.

Curieusement, Ilsa: She Wolf of the SS n'est pas un mauvais film. Pas tout à fait. Parce que le cinéma d'exploitation des années 70 est tourné sur de la pellicule 35mm et est le fruit de techniciens (relativement) talentueux, quelques « beaux » plans se glissent dans l'ensemble (contrairement à un certain volet de la production indépendante d'aujourd'hui qui abuse d'une violence extrême pour pallier à des moyens de tournage de plus en plus dérisoires). Edmonds est tout à fait conscient de l'absurdité du projet et se joue justement de cet instant d'euphorie macabre. Le hors-champ y tient une place importante tout comme la musique et les cris fréquents qui, sans jamais laisser libre cours à des plans trop crus ou à des images pornographiques, évitent au film de tomber dans le cinéma pour adultes ou dans le « torture-porn » pur et dur. Donnant autant qu'il ne reprend, excitant autant qu'il désire dégoutter le spectateur, Ilsa est révélateur d'une relation particulière que nous pouvons entretenir avec l'image.

D'une part fasciné par cet ovni (qui n'est que le plus grand arbre d'une petite forêt d'autres opus du genre), il y a de quoi à être surpris par l'équilibre de l’oeuvre sachant si bien alterner entre l'horreur et les ébats, le sang et les seins. Inspiré par les crimes d'Ilse Koch, la sorcière de Buchenwald, le film d'Edmonds possède en lui une curieuse aura historique, l'impression que le sujet du film n'est pas tant de voir des nazis et des femmes malmenées, mais bien d'en apprendre un peu plus sur une époque où, précisément, ce type de films à pu être tourné. Complètement dément, absolument terrifiant, Ilsa: She Wolf of the SS est un film à (re)découvrir. Que vous soyez doté d'un coeur sensible ou non, d'une pudeur ou non, il y a des moments où il faut se salir les mains, où, comme lorsque l'on s'exerce à une discipline, il faut tenter le tout pour le tout pour passer à un autre niveau, une nouvelle étape. Dans le cinéma d'exploitation, la poitrine de Dyanne Thorne ainsi que ses mille sévices représentent peut-être la meilleure occasion de le faire et de regarder là où vous n'auriez jamais pensé aller.
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Critique publiée le 22 juillet 2011.