De tous les héros issus de l’univers Marvel Comics qui étaient destinés à effectuer un jour ou l’autre un premier - ou un nouveau - passage au grand écran, Captain America était sans doute le plus susceptible de poser problème aux yeux des amateurs comme des cinéphiles étant juste assez familiers avec le personnage. Non pas que la mythologie entourant l’ascension de Steve Rogers soit indigne d’un tel traitement, bien au contraire, mais disons simplement qu’avec les excès de patriotisme souvent indigestes affligeant déjà une bonne partie des gros canons hollywoodiens, il n’était pas insensé de s’attendre à ce que les choses prennent une tournure pour le moins démesurée - pour ne pas dire carrément ridicule - dans le cas présent. Afin de plonger le public dans le doute encore davantage, la barre du projet fut confiée à
Joe Johnston, dont les récents
The Wolfman,
Hidalgo et
Jurassic Park III avaient été tout sauf des spectacles réellement concluants. Il s’agit d’un choix de metteur en scène d’autant plus étrange considérant la façon dont le géant de la bande dessinée sélectionne désormais les artisans auxquels il désire confier les commandes de ses plus illustres franchises. Et pourtant, appuyé par le travail étonnamment inspiré des scénaristes Christopher Markus et Stephen McFeely (qui, eux-mêmes, n’avaient pas spécialement fait d’étincelles ces dernières années avec leur travail sur les différents volets de la série
The Chronicles of Narnia), Johnston livre allègrement la marchandise avec
Captain America: The First Avenger. Le réalisateur signe même une production dont l’envergure n’a d’égale que la qualité de ses idées et de sa mise en scène, permettant au présent opus de se hisser sans aucune difficulté parmi les efforts les plus consistants à avoir offert un petit rôle à ce bon vieux Stan Lee au cours de la dernière décennie.
Après que Hulk, Iron Man et Thor aient tous effectué leur tour de piste, il ne restait plus qu’à Captain America de (re)faire son entrée au cinéma en vue de la sortie de la mégaproduction
The Avengers, devant tous les réunir à l’intérieur d’un seul et même film. En 1942, tandis que la Deuxième Guerre mondiale fait rage sur le continent européen, nous serons introduits à Steve Rogers (Chris Evans), un jeune homme de Brooklyn bien déterminé à joindre les rangs de l’armée américaine afin d’effectuer son devoir de citoyen en allant combattre le régime nazi. Le seul problème, c’est que ce dernier a la peau sur les os en plus d’être affligé par une liste de problèmes de santé pour le moins exhaustive. Toute la bonne volonté de Rogers attirera toutefois l’attention d’un scientifique (Stanley Tucci), qui lui offrira de participer à un programme spécial de l’état. Après avoir prouvé aux plus sceptiques qu’il avait effectivement toutes les qualités requises pour une telle initiative, Rogers sera soumis à une expérience qui fera de lui un surhomme, et l’emblème avec lequel le gouvernement américain tentera de rallier sa population et de motiver les efforts de guerre : Captain America. Mais le pays de l’Oncle Sam sera vite aux prises avec une menace beaucoup plus grande que les forces allemandes alors que Johann Schmidt (Red Skull, Hugo Weaving), un spécialiste de l’occulte oeuvrant pour le régime hitlérien ayant goûté à la même médecine que Rogers, mettra la main sur un artéfact et une technologie qui lui permettrait de prendre à lui seul le contrôle de la planète. Captain America devra alors retrousser ses manches et devenir plus qu’un symbole aux yeux de ses confrères soldats. Il devra à présent prêcher par l’exemple et accomplir une série d’actes héroïques afin de déjouer les plans de ce nouvel ennemi.
La bonne nouvelle, c’est que le Joe Johnston que nous retrouvons ici est le même qui nous avait offert
The Rocketeer en 1991. Et comme il y a vingt ans, le réalisateur situe habilement son film entre la reconstitution d’époque suffisamment convaincante et l’attrait d’éléments technologiques semblant sortir d’un futur beaucoup plus éloigné. Si la réalisation de Johnston tire parfaitement profit de cette fusion entre la modernité de son attirail et la forme beaucoup plus classique de sa mise en scène, cet effet rétro émane également de la façon dont il cadence le rythme de son film, prenant tout le temps nécessaire pour faire progresser le récit dans son ensemble tout comme pour installer une séquence en particulier. Johnston et ses acolytes accordent d’ailleurs une importance marquée à chacun de leurs personnages, lesquels constituent véritablement l’âme de ce divertissement dont les principaux atouts ne sont étonnamment pas ses scènes d’action, aussi trépidantes puissent-elles être. À cet effet, Chris Evans livre une performance des plus louables dans la peau du héros, tandis que Tommy Lee Jones prend un plaisir évident à jouer les militaires de profession, que Dominic Cooper se révèle tout à fait efficace dans la peau du père de Tony Stark, et que Hugo Weaving offre au septième art un autre antagoniste des plus mémorables.
Captain America présente ainsi une humanité ajoutant une dimension supplémentaire à un scénario évidemment très manichéen, laquelle passe principalement ici par l’immense capital de sympathie que finira par développer le public pour ces héros se démenant à l’écran pour sauver le monde. Car même si le film de Joe Johnston se révèle particulièrement habile dans la façon dont il fait évoluer ces différents concepts,
The First Avenger demeure en soi une série B de luxe qui ne s’enfle jamais la tête, mais qui ne prend pas non plus le spectateur pour un imbécile.
Nous aurons ainsi parfois l’impression de nous retrouver devant un épisode de
James Bond de l’ère Roger Moore avec son dangereux mégalomane rêvant d’imposer sa philosophie au monde entier à l’aide de technologies pas possibles et d’une petite armée de sous-fifres aussi menaçante que facilement éliminable. Le présent exercice finira également par prendre des airs de
Star Wars alors qu’une séquence fera directement écho à
Return of the Jedi et que Red Skull tentera de semer la pagaille du haut de sa forteresse volante tandis que ses troupes de choc anonymes passeront de leur côté un bien mauvais quart d’heure. Ainsi, à l’image d’un protagoniste qui aura lui-même été un souffre-douleur durant la majeure partie de son existence, Johnston, Markus et McFeely réussissent eux aussi à prouver à leurs détracteurs qu’ils avaient toutes les solutions en main pour faire de
Captain America une authentique réussite. Le trio impressionne du coup de par l’intelligence et l’énergie avec laquelle il déploie chacun de ses concepts, n’hésitant pas à faire preuve d’autodérision le temps venu et à traiter davantage la question du patriotisme comme une simple thématique qu’une réelle source de discours. Il faut dire qu’en s’acharnant sur une menace fictive, les scénaristes pouvaient concentrer leurs énergies sur le courage et la détermination d’un héros hors du commun et de sa clique de soldats issus des quatre coins du globe.
The First Avenger récupère ainsi avec enthousiasme et savoir-faire tous les éléments garantissant le succès d’une telle production, et ce, sans jamais faire basculer celle-ci dans la mièvrerie, même dans le cas de cette romance entre le bon capitaine et l’intérêt féminin de service (campé avec conviction par Hayley Atwell), qui mènera à une finale des plus émouvantes.
Captain America s’impose donc comme une oeuvre à part entière, et non seulement comme une dernière formalité avant l’arrivée du mastodonte cinématographique que devrait être
The Avengers.