DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Super 8 (2011)
J.J. Abrams

Retour vers le futur

Par Jean-François Vandeuren
Il fut un temps où le cinéma de Steven Spielberg, autant le producteur que le réalisateur, avait cette capacité incomparable de divertir, d’émouvoir et de fasciner les publics de tout âge et de tout acabit. Des oeuvres aussi ingénieuses qu’ambitieuses sur le plan de la forme, mais dont la réussite reposait essentiellement sur une trame narrative dense et articulée et des personnages mémorables auxquels il était extrêmement facile de s’identifier. Puis, au début des années 90, le marchand de rêves eut cette soudaine envie d’être pris un peu plus au sérieux par ses pairs, réalisant pour ce faire le beaucoup plus noir (et blanc) Schindler’s List. Une opération qui aura porté fruit puisque l’année suivante, le principal intéressé repartait de la cérémonie des Oscars avec la statuette du meilleur réalisateur de même qu’avec celle du meilleur film. Nous aurons d’ailleurs pu sentir suite à cette consécration un tiraillement continu entre les deux grandes ambitions du cinéaste. Les opus qui auront suivi ne semblaient plus habités par la même magie qu’autrefois, se conformant aux dernières tendances plutôt que de les créer (Minority Report, War of the Worlds) en plus de témoigner d’une incapacité à renouveler des idées ayant jadis fait leurs preuves (The Lost World, Indiana Jones and the Kingdom of the Crystal Skull). Il est, certes, quelque peu ironique de voir celui qui aura fait, d’une certaine façon, pour la télévision moderne ce que Spielberg aura accompli au grand écran venir rendre un hommage aussi vibrant à l’âge d’or de ce pionnier. Mais si les parallèles entre l’oeuvre de ce dernier et le présent Super 8 de J.J. Abrams s’avèrent inévitables, comme ils n’ont absolument rien de subtil, la formule témoigne néanmoins de tout le savoir-faire du nouveau venu, lui qui aura forgé sa réputation en enveloppant chacune de ses créations d’une aura de mystère pour le moins démesurée.

Coproduit par Spielberg et sa société Amblin Entertainment, Super 8 nous transporte en 1979, au coeur d’une petite localité du nord des États-Unis. Le jeune Joe Lamb vient à ce moment de perdre sa mère dans un accident de travail, le laissant seul avec un père policier avec qui il n’avait jusque-là que très peu communiqué. L’été venu, Joe et ses camarades s’engageront dans un projet de film amateur qu’ils comptent tourner à l’aide d’une « bonne vieille » caméra Super 8. Tandis qu’ils filmeront incognito une séquence à la gare du village, le groupe d’enfants sera témoin d’un déraillement de train pour le moins spectaculaire causé volontairement par l’un de leurs professeurs. Il sera plus qu’évident que quelque chose d’important se trouvait à bord du convoi lorsque l’armée débarquera sur les lieux pour tenter d’étouffer l’affaire. Mais dans les jours suivant l’accident, plusieurs événements étranges se produiront un peu partout dans la région. Les animaux de compagnie prendront la fuite alors que des individus disparaîtront dans des circonstances nébuleuses et que de nombreuses sources d’énergie, du moteur de voiture aux lignes à haute tension, se volatiliseront sans laisser de traces. Une série d’incidents n’ayant rien d’isolé sur lesquels nos jeunes cinéastes en herbe seront appelés bien malgré eux à faire la lumière tandis qu’ils tenteront de profiter de toute cette agitation pour ajouter un peu plus de valeur et de réalisme à leur petite production cinématographique. Si Abrams s’en donnera évidemment à coeur joie au cours de ce périple des plus captivants en y allant de plusieurs citations directes à des films tels Close Encounters of the Third Kind, E.T.: the Extra-Terrestrial et Jurassic Park, Super 8 nous donnera également cette curieuse impression d’être à la fois le prédécesseur et la progression logique d’un autre projet parrainé par le réalisateur, soit le fameux Cloverfield de Matt Reeves.

Mais s’il s’inspire allègrement de ces efforts d’un point de vue esthétique et narratif, faisant la démonstration des plus récentes technologies par l’entremise d’une facture visuelle semblant pour sa part appartenir à une autre époque, Abrams n’a fort heureusement pas oublié que c’est avant tout le côté profondément humain de ces productions qui leur aura permis de résister à l’épreuve du temps. L’Américain nous introduira à cet effet à une distribution d’enfants tout à fait convaincante qui ne sera pas sans rappeler la joyeuse bande du film The Goonies, auxquels il conférera des traits étonnamment matures pour leur âge tout en soulignant abondamment une candeur propre à cette période de l’existence dans laquelle il invitera son public à se replonger sans poser de questions. Une telle initiative apportera évidemment une dimension supplémentaire au deuil auquel le protagoniste sera confronté, lui qui devra tôt ou tard se réconcilier avec sa figure paternelle (thème récurrent chez Spielberg) de même qu’avec le monde extérieur, réunion qui passera principalement ici par les sentiments éprouvés pour la fille de l’homme que son père tient pour responsable de la mort de sa femme. Abrams tire également son épingle du jeu de par la façon dont il traite en deux temps la dimension dramatique de son film ainsi que celle purement spectaculaire, reléguant bien souvent cette dernière à l’arrière-plan tandis que le court métrage des gamins fera de plus en plus écho à ses propres élans, tout comme à l’état de panique dans lequel sera progressivement plongée toute la région. Le tout au coeur d’une mise en scène jouant abondamment avec ce sentiment de nostalgie qui se manifestera aussi bien au niveau de la direction artistique que dans les effets de grandeur de la savante direction photo de Larry Fong (Watchmen, Sucker Punch) alors que la trame sonore de Michael Giacchino n’aurait pu faire plus écho aux compositions de John Williams.

Super 8 se révèle en bout de ligne un spectacle de grande envergure qui s’avère aussi pertinent en tant qu’oeuvre moderne qu’à titre d’hommage aux superproductions d’une époque révolue. Le plus impressionnant, c’est qu’Abrams soit parvenu à ne pas gâcher les nombreux effets de surprise auxquels il tient visiblement beaucoup, et ce, même si chacune des traces dans lesquelles il met les pieds pouvait nous permettre de prédire vers quelles avenues son intrigue finirait par se diriger. Une réussite qui s’explique dans ce cas-ci par un scénario simple, mais habilement développé, où chaque influence aura été savamment diluée dans un ensemble sachant tout aussi bien s’imposer par ses propres conventions. De sorte que même si les moindres pores de Super 8 transpirent l’oeuvre de Steven Spielberg, ce dernier n’aurait pu être à l’origine du présent exercice. Le film de J.J. Abrams nous ramène ainsi à un moment où le cinéma de divertissement mettait encore l’emphase sur des personnages devant faire face à une situation extraordinaire et non l’inverse. Un relief qui aura été de plus en plus sacrifié au fil des années et qui explique peut-être que les films grand public d’aujourd’hui aient une durée de vie aussi éphémère. Un tel sentiment de nostalgie n’émane toutefois pas ici que de l’allure rétro de la prémisse et de sa mise en images, mais également d’un discours qui, en faisant état des limites technologiques de cette période, finit par livrer un constat pour le moins révélateur sur une ère où la trop grande instantanéité de nos rapports avec tout ce qui nous entoure nous aura souvent fait passer à côté de l’essentiel. Maintenant que l’élève aura su revenir à la base pour présenter ses respects au maître tout en s’imposant lui-même comme un raconteur visuel hors pair, il ne reste plus qu’à voir si ce dernier saura devenir celui qui fera passer le blockbuster au prochain niveau…
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Critique publiée le 11 juillet 2011.