Nous ferons la connaissance de Tania (Anne Coesens) et de son jeune fils Ivan à un moment à la fois pénible et on ne peut plus déterminant pour leur avenir à tous les deux. L’immigrante d’origine biélorusse viendra alors de recevoir une lettre des autorités belges lui indiquant qu’elle devra quitter le territoire dans les plus brefs délais. Mais plutôt que de plier bagage, la mère monoparentale décidera de demeurer incognito dans son pays d’adoption en commençant par brûler ses empreintes digitales à l’aide d’un fer à repasser avant de faire appel aux services d’un compatriote qui lui fournira faux papiers et logis. Quelques années plus tard, alors que sa progéniture se sera bien accoutumé à son nouvel environnement, mais sans pour autant renier ses origines, Tania fera l’erreur de converser avec ce dernier dans sa langue maternelle à la vue de tous. Un moment d’inattention qui attirera aussitôt celle d’agents de la paix se trouvant à proximité, lesquels la mettront en état d’arrestation avant de la placer dans un centre de rétention pour les femmes et les familles se trouvant dans sa situation. Sans ressources et coupée de ses proches, ce sera pour Tania le début d’un combat de plusieurs semaines au cours desquelles son anonymat, qui lui semblait son atout le plus important au départ, lui sera de plus en plus nuisible. La femme devra ainsi composer avec ce lourd climat d’incertitude durant de longues journées passées au coeur de ce bâtiment évidemment assez peu accueillant, se battant avec l’énergie du désespoir afin d’être réunie à son fils dans les plus brefs délais et d’éviter une expulsion dont elle semble malheureusement se rapprocher un peu plus chaque jour.
Les nombreuses problématiques entourant le sujet délicat de l’immigration auront été abondamment traitées par le cinéma européen au cours de la dernière décennie. Une partie importante de cette série d’oeuvres composant ce que nous sommes désormais en droit d’appeler une tendance accordait d’ailleurs une attention particulière à la situation des arrivants des pays d’Europe de l’Est. Une réalité si ancrée dans le quotidien de nations telles la France, la Grande-Bretagne et la Belgique que nombre de cinéastes croient désormais pertinent de la dépeindre à l’intérieur de prémisses dont elle ne constitue pas forcément un enjeu en soi. Mais dans les cas où elle se retrouve véritablement au centre de l’intrigue, nous avons souvent l’impression d’être catapultés en période de guerre alors qu’il n’est pas rare d’y voir des citoyens originaires des lieux où se déroule l’action aider les protagonistes à déjouer les méthodes d’un gouvernement ayant décidé de partir à la chasse aux immigrants. Là où ce second long métrage du réalisateur belge
Olivier Masset-Depasse parvient à s’imposer, c’est en allant au-delà de la peur de l’arrestation pour parler de ce qu’il en est lorsque ces individus se retrouvent entre plusieurs statuts politiques.
Illégal lève évidemment le voile sur les conditions d’incarcération plutôt difficile avec lesquelles devront composer ces derniers tout comme sur les traitements les réduisant à l’état d’indésirables qui leur seront réservés. Il sera du coup question d’une violence pour le moins brutale, que Masset-Depasse suggérera tout au long du film par l’entremise des blessures infligées à l’une des codétenues de Tania, Aïssa (interprétée par Esse Lawson), avant de finalement nous confronter à celle-ci lors d’une séquence particulièrement révoltante en toute fin de parcours.
Le réalisateur fera évidemment ressortir ici la dichotomie s’étant progressivement développée au sein de ce système et des salariés chargés d’en assurer le bon fonctionnement. Il y a d’un côté cette manière de faire beaucoup plus humaine et sensible qu’incarnera une préposée en particulier - qu'Aïssa cherchera à déstabiliser en lui demandant à un certain moment de lui expliquer comment elle peut regarder ses enfants dans les yeux en effectuant un tel boulot, et ce, malgré l’indéniable grandeur d’âme de cette dernière. Une attaque à laquelle la principale concernée répondra en affirmant qu’elle doit bien gagner sa vie comme tout le monde. Et effectivement, si ce n’était pas elle, quelqu’un de beaucoup moins clément prendrait aussitôt sa place. Et il y a ensuite cette poignée de gardiens chargés du transport des personnes expulsées, desquels émanera toute la frustration d’un état ne pouvant régler ce genre de dossiers comme bon lui semble, expliquant les allers et venues au centre de Tania, et surtout d’Aïssa, après nombre de tentatives infructueuses de les sortir du pays. La mise en scène sombre et brut d’Olivier Masset-Depasse se révèle évidemment des plus appropriés pour une telle intrigue, elle qui n’est pas sans rappeler le naturalisme du cinéma des frères Dardenne tout comme l’approche plus instinctive d’un
Jacques Audiard. Le cinéaste belge s’appropriera d’ailleurs certaines habitudes du maître français, notamment en ce qui a trait à sa façon bien à lui d’isoler ses personnages à l’intérieur d’un cadre ou de la profondeur d’un champ. Une idée qui s’avère d’autant plus pertinente dans ce cas-ci alors que Masset-Depasse utilise une telle approche afin d’appuyer cette constante impression d’isolement, misant notamment sur l’utilisation de plusieurs plans éloignés en situant l’action derrière le métal d’une clôture ou les murs et les fenêtres d’un édifice.
Les avenues vers lesquelles se dirigera le cinéaste belge pour tenter d’offrir une issue qui favorisera son protagoniste deviendront, certes, de plus en plus évidentes. Et c’est définitivement dans le dernier droit qu’
Illégal révélera certaines inconsistances qu’il était parvenu jusque-là à éviter, ou du moins à dissimuler. Le salut de Tania passera du coup par un incident des plus malheureux qui entraînera une soudaine mobilisation de l’opinion publique, laquelle jouera ultimement en la faveur de la Biélorusse, mais d’une manière tenant toutefois peut-être un peu trop du hasard. Il faut dire que les événements - parfois illogiques - s'enchaîneront alors d’une façon à la fois précipitée et exagérée. La gestion du temps se révélera d’autant plus inégal, faisant paraître ce dénouement comme étant beaucoup trop facile, même s’il s’agissait en bout de ligne du plus pertinent.
Illégal aborde ainsi d’une manière extrêmement détaillée la problématique de l’immigration en remettant en question le processus d’expulsion des personnes dont la présence sur un territoire est jugée clandestine. Mais si l’approche de Masset-Depasse porte bien à réflexion, elle ne débouche malheureusement jamais sur un réel débat de société. Tous s’entendront évidemment pour dire que les étapes et les conditions auxquelles sont confrontés ses individus se doivent d’être repensées alors que le prix que devra payer Tania pour demeurer en Belgique sera particulièrement élevé. Mais même si le réalisateur résoudra son intrigue en passant par un mouvement de masse beaucoup trop simplifié, voire naïf, c’est néanmoins toujours avec la même force dramatique que ce dernier réussira à mener son navire à bon port, bien appuyé par des interprètes incarnant toute la force de caractère de ces êtres se battant avant tout pour conserver leur dignité.