DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Resident, The (2011)
Antti Jokinen

Marteau gonflable

Par Laurence H. Collin
Sortir une maison de production des limbes de la faillite se fait rarement sans peine. Parlez-en à la Hammer Film Productions, dont l’héritage dans le cinéma de genre s’étend des années 30 jusqu’au milieu de la décennie 90, alors que le présumé dernier souffle de l’entreprise britannique s’avérait imminent. Non pas que celle-ci n’ait jamais battu de l’aile auparavant : à peine redressée à la suite d’une période creuse dans les années 70, il était clair que la compagnie ne retrouverait guère le rayonnement que les « Hammer Horrors » de leur âge d’or lui avaient assuré. Mais lorsque fut annoncée l’acquisition de la franchise par un ambitieux producteur hollandais en 2007, tous les espoirs étaient permis. Fort probablement persuadé de pouvoir remettre l’entreprise sur les rails suite au regain de popularité de l’horreur explicite au cours de la dernière décennie, la Hammer tente à présent de rattraper le temps perdu en se lançant à la conquête d’une nouvelle génération d’amateurs de films de genre. En surface, leur recette éprouvée demeure la même : de bons acteurs, un concept simple et une exécution efficace.

Quand atterrirent les plans décisifs de la distribution du nouveau bélier Hammer, soit le thriller dramatique The Resident, ce fut un autre choc douloureux pour la jadis légendaire maison de production. Pas d’arrêt en salles pour cette production estimée à vingt millions de dollars et ayant pour tête d’affiche la gagnante de deux Oscars Hilary Swank, mais bien un simple coup d’envoi sur les tablettes des clubs vidéo d’Amérique du Nord. Sur les talons du bide commercial de l’excellent Let Me In, la deuxième moitié de la paire de projets dont la mission coriace était de ressusciter le « Hammer Horror » se retrouve donc tristement garrottée avant même d’avoir la chance de faire ses preuves. Dommage, dirons-nous. Au premier coup d’oeil, The Resident semblait paré pour un succès modeste, mais garanti, offrant par la même occasion à celui qui interpréta le comte Dracula onze fois plutôt qu’une dans sa carrière, soit l’iconique Christopher Lee, son premier rôle dans une production de la Hammer depuis To the Devil a Daughter en 1976.

En quelques lignes, The Resident : suite à une rupture amoureuse avec son fiancé, la docteure Juliet Devereau (Swank) est à la recherche d’un nouveau logement. Ses nombreuses visites la mèneront éventuellement vers un très convenable loft situé dans Brooklyn, où les bruits du métro passant et la réception d’ondes cellulaires capricieuse ne font pas ombrage au loyer ultra-abordable et à l’emplacement judicieux. À la rencontre de Max (Jeffrey Dean Morgan), son propriétaire au charme un peu maladroit, Juliet se sentira entre bonnes mains. Mais au fur et à mesure que se multiplieront des occurrences assez dérangeantes, et surtout alors que persistera cet indélébile sentiment d’être épiée chez elle, Juliet réalisera peu à peu qu’elle vit moins seule qu’elle ne l’aurait cru.

Il n’y a probablement pas d’autre façon de le formuler : The Resident est un piètre film, un échec par accumulation de gaffes dont même les leçons à tirer sont moindres. Car il n’est pas particulièrement complexe de donner un minimum d’impact à une mise en situation d’une telle familiarité. C’est d’ailleurs probablement ce caractère délibérément naïf qui rend le premier acte aussi bourré de dialogues patauds que de plans démonstratifs facile à digérer. Puisque dès notre introduction au personnage de Juliet Devereau (faisant du jogging au ralenti sous une musique de générique vaguement inquiétante - salut, cliché!), nous savons exactement le type de protagoniste dont nous serons gratifiés : une femme moderne et entreprenante, d’une intelligence avérée, mais non sans fragilité féminine. Face à celle-ci, la barbe d’une semaine portée par Jeffrey Dean Morgan en dira long sur le suspect numéro un que Max représentera bien avant que l’étrange ne pénètre le quotidien.

Une fois les codes archiconnus du « stalker thriller » appliqués, cette lourde tâche de rendre le déploiement du récit intéressant revient donc aux vedettes, à commencer par Swank. Affirmer que celle-ci offre une « bonne performance » dans un long métrage comme Conviction ne devrait surprendre à peu près personne, mais la sincérité et la fraîcheur qu’elle pourvoie ici à son rôle d’héroïne/de victime prévisible de A à Z relève quasiment de l’exploit. Lorsqu’elle confie à Max que la seule façon pour elle de se révolter contre ses parents hippies fut de suivre des cours de médecine, nous la croyons absolument. Lorsque la caméra vient chercher son regard incertain simplement en déverrouillant sa porte, nous craignons en effet pour elle. Mais la plus remarquable des contributions que l’actrice de trente-six ans puisse possiblement offrir réside dans la tension sexuelle enivrante qu’elle partage avec Morgan, lui ayant déjà été son partenaire de jeu dans l’insignifiant drame romantique P.S. I Love You.

Le fiasco scénaristique vers lequel The Resident plonge tête première devient d’autant plus frustrant lorsque les têtes d’affiche en communiquent autant en disant si peu. Mais un calibre de jeu équivoque des plus captivants ne saurait possiblement masquer toutes les platitudes que nous réserve le troisième acte du film réalisé et coscénarisé par Antti Jokinen, qui ne se permet pas une seule idée originale alors que survient la confrontation tant attendue. Après avoir énuméré les pistes troubles possibles, on ne fait donc ici que les parcourir de la façon la plus convenue imaginable. Mal servie par la mise en scène assoupie de Jokinen, visiblement plus à l’aise avec l’appréhension que l’adrénaline, la trôlée de revirements de la grande finale tombe ainsi à plat, anéantissant du coup cette menace sur laquelle a su flotter l’ensemble déjà sans réel panache.

Pire encore, le personnage réservé à Christopher Lee, soit le père de Max demeurant lui aussi dans le même bloc appartement, se révèle d’une pertinence si infime au récit que sa présence se fait oublier la seconde où son personnage quitte l’écran. Il serait d’ailleurs difficile de trouver un meilleur emblème du triste état dans lequel The Resident se retrouve à la ligne d’arrivée,  soit ce prétexte de brandir l’empreinte de ce qui est « rétro » pour finalement nous servir la même soupe que la concurrence moderne. Une fois les 90 minutes de frayeurs lisses du dernier Hammer servies, cette bonne vieille odeur de la boule à mite paraîtra probablement déjà plus attirante…
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Critique publiée le 20 juin 2011.