DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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X-Men: First Class (2011)
Matthew Vaughn

Reprenons depuis le début...

Par Jean-François Vandeuren
Autant les deux premières adaptations cinématographiques de la bande dessinée X-Men que nous avait proposées Bryan Singer auront mis la table pour la résurgence des super-héros au grand écran, autant la série aura connu des heures plutôt sombres lors de ses deux dernières présences dans les salles de cinéma. Et il peut être assez difficile pour une franchise de se relever après un échec aussi retentissant que X-Men: The Last Stand ou, pire encore, que l’horrible produit dérivé que nous aura offert Gavin Hood avec X-Men Origins: Wolverine, surtout lorsque celle-ci en est déjà à sa cinquième production. Voilà pourtant le défi qui attendait le Britannique Matthew Vaughn - qui devait à l’origine réaliser le troisième épisode de la série, mais qui avait dû se retirer du projet en cours de route pour des raisons personnelles - qui, pour sa part, décida de revisiter la genèse du célèbre groupe de mutants. Il faut dire qu’il s’agissait en soi de la seule option envisageable pour ce dernier après que le passage de l’ouragan Brett Ratner ait rendu l’élaboration d’une suite directe particulièrement problématique. La majorité des personnages clés de la série auront d’ailleurs passablement souffert des méthodes pour le moins barbares du réalisateur américain lors de ce fameux affrontement final, qui aura pris davantage les allures d’une boucherie numérique d’une révoltante vacuité où les moindres fondations de cet univers fictif semblaient totalement destructibles. Celui qui s’était essayé une première fois à l’adaptation d’une bande dessinée en transposant avec fougue le Kick-Ass de Mark Millar sur de la pellicule démontre une fois de plus qu’il a parfaitement compris comment traduire l’essence des planches à dessins dans des images en mouvement. Vaughn livre ainsi avec X-Men: First Class un prologue exaltant à une franchise de laquelle nous n’attendions plus grand-chose et qui, ici, reconquiert finalement ses lettres de noblesse.

Le présent exercice débute sensiblement sur les mêmes images que celles du premier opus qu’avait signé Bryan Singer alors que nous apercevons le jeune Erik Lehnsherr (futur Magneto) être séparé de ses parents dans un camp de concentration. La scène se poursuivra ici au-delà de celle du film de 2000 tandis que le garçon sera confronté à un scientifique au service des forces nazies (futur Sebastian Shaw, interprété par Kevin Bacon) recherchant des individus aux « talents particuliers ». Au même moment, dans l’état de New York, le jeune Charles Xavier trouvera au beau milieu de la cuisine de son domicile une fillette au teint bleu (future Mystique) avec qui il se liera aussitôt d’amitié. Le film de Matthew Vaughn fera ensuite un bond de quelques années en avant pour nous amener en 1962, où nous retrouverons un Erik (Michael Fassbender) bien déterminé à faire la peau au docteur qui assassina froidement sa mère sous ses yeux. Mais Sebastian Shaw a désormais d’autres plans pour prendre le contrôle de la planète. X-Men: First Class se servira à ce moment d’une manière on ne peut plus habile de la crise des missiles de Cuba comme machination d’un mégalomane voulant amener les deux superpuissances mondiales à se détruire l’une l’autre afin de permettre aux mutants de se hisser au sommet de la chaîne alimentaire. Charles (James McAvoy) sera alors approché par la CIA pour les aider à empêcher le début de la Troisième Guerre mondiale. Une initiative qui mènera à la première rencontre entre ces deux grands amis/rivaux, qui auront par la suite la tâche de trouver d’autres acolytes possédant eux aussi des pouvoirs spéciaux pour contrer l’équipe assemblée par Shaw. Un devoir national qui ne sera évidemment pas sans conséquences puisqu’il forcera éventuellement tout ce beau monde à se révéler à une humanité qui pourrait bien ne pas lui réserver un accueil aussi tolérant qu’espéré.

The Last Stand n’aura, certes, pas été le seul échec qu’aura connu Marvel vers la moitié de la dernière décennie alors que le film de Brett Ratner se sera inscrit dans une liste considérable de dérapages (Daredevil, Elektra, Ghost Rider) et de titres qui, malgré d’indéniables qualités, n’auront pas mené aux résultats escomptés (l’excellent Hulk d’Ang Lee en tête de liste). L’embauche de Matthew Vaughn rejoint ainsi la logique ayant découlé de cette période plutôt trouble suite à laquelle le géant de la bande dessinée aura décidé de ne faire appel qu’à des réalisateurs de talent dont la signature ne serait pas susceptible de prendre le dessus sur le matériel d’origine. Le studio aura néanmoins accordé ici une certaine latitude au Britannique en permettant à ce dernier et à sa coscénariste Jane Goldman de collaborer à l’écriture avec le duo formé d’Ashley Miller et Zack Stentz (à qui nous devons le scénario du Thor de Kenneth Branagh). Vaughn réussit également à imposer sa griffe au niveau de la forme par l’entremise de menus détails - tels les élans musicaux d’Henry Jackman (Kick-Ass) - qui lui auront permis de s’approprier le projet sans jamais lui faire de l’ombre. Et comme nous avions pu le constater avec son long métrage précédent, le cinéaste a surtout découvert une façon bien à lui de mettre en scène qui respire véritablement la bande dessinée. Une approche allant bien au-delà d’une brève utilisation du split screen et qui ressort essentiellement dans sa manière particulièrement minutieuse de disposer ses personnages à l’intérieur de ses cadres et de gérer leurs moindres mouvements. Une attention se reflétant autant dans les séquences dramatiques que d’action, qu’il orchestre avec une grande précision, que dans des dialogues qui, même si parfois insistants, en disent long sur la situation de ses protagonistes, sur ce regard qu’ils sentent constamment sur eux et leur façon de gérer ces différences qui les unissent.

Vaughn aura d’ailleurs pu compter à cet effet sur une distribution formidablement assemblée au coeur de laquelle brillent les Fassbender, McAvoy (qui a visiblement eu un plaisir fou à jouer les surdoués au charisme et leadership imposants) et Bacon et se démarquent les talents féminins tels Jennifer Lawrence, Rose Byrne et January Jones. Comme c’est le cas à chaque fois qu’Hollywood s’attaque à une propriété intellectuelle ayant vu le jour loin des écrans, les fanatiques de la série s’indigneront probablement contre certains choix d’adaptation (l’emploi, voire la simple présence, de certains personnages) ne respectant pas entièrement la source d’origine. Mais comme dans Kick-Ass, les décisions scénaristiques du Britannique et de ses acolytes finissent toujours par être payantes et par faire part de toute l’intelligence avec laquelle fut édifiée la présente entreprise. Le tout mènera ici à une dernière scène où les routes de Charles et Erik seront évidemment appelées à se séparer, où Magneto trouvera le discours qui définira son oeuvre chez son plus mortel ennemi et Xavier perdra un atout qui mènera à l’arrivée de l’accessoire l’ayant toujours caractérisé. Une séquence formidable où les nouvelles divisions de ce groupe d’outsiders seront le fruit d’une différence de point de vue et non d’un sentiment de haine ou d’un manque de respect, chacun comprenant parfaitement que la partie est loin d’être gagnée, mais ne s’entendant pas sur les moyens devant être pris pour faire avancer leur cause, tels les Martin Luther King et Malcolm X ayant servi de bases à la création des deux leaders. Le point final à un spectacle d’une redoutable efficacité, à un divertissement ayant été produit avec le plus grand sérieux, sans que celui-ci ne boude jamais son plaisir. Beaucoup plus qu’une simple histoire d’origine, X-Men: First Class pourrait ainsi facilement s’imposer comme le premier chapitre d’un renouveau complet d’une série semblant de nouveau promis à un bel avenir.
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Critique publiée le 2 juin 2011.