Dès la longue et délicieuse présentation de ses deux principaux personnages, il est clair que
Michel Leclerc désirait entreprendre ici un parcours similaire à celui qu’il nous avait proposé en 2006 avec le fort sympathique
J’invente rien. Une impression qui se manifestera principalement dans la relation qui unira bientôt Arthur Martin (Jacques Gamblin) et Bahia Benmahmoud (Sara Forestier), deux individus qui, encore plus que le duo que formaient Kad Merad et Elsa Zylberstein dans le premier long métrage du réalisateur français, sembleront pourtant totalement incompatibles au départ. Mais le cinéma ayant cette capacité de permettre à l’inimaginable de se réaliser, les deux êtres se rencontreront dans des circonstances pour le moins rocambolesques et développeront peu à peu une histoire qui ne sera pas de tout repos, en particulier pour Arthur. Celui-ci, homme réservé venant d’une famille assez stricte, fils d’un spécialiste de l’énergie nucléaire et d’une mère dont les parents furent tués à Auschwitz, vit une existence plutôt banale en tant que scientifique étudiant les causes de décès suspects chez les oiseaux. De son côté, Bahia est une fille débordante d’énergie, résultat d’une union entre un réfugié algérien et une Française ayant renié ses racines bourgeoises pour s’investir dans un engagement social pour le moins excessif. Agressée durant sa jeunesse par son professeur de piano, Bahia entretient depuis une relation on ne peut plus ambigüe avec sa sexualité, et les hommes par la même occasion. Consciente de l’extraordinaire pouvoir d’attraction qu’elle exerce sur ces derniers, Bahia pratique à présent le noble métier de « pute politique », couchant avec les « fachos de droite » qui, après quelques jours de tendresse passés en sa compagnie, finissent par redevenir des individus consciencieux ayant le coeur sur la main. Un mode de vie auquel Arthur devra évidemment s’habituer s’il désire demeurer auprès de Bahia…
Voilà donc pour la relation pour le moins particulière qu’entretiendront nos deux protagonistes. Mais pourquoi «
Le nom des gens »? C’est que l’histoire que nous proposent ici Leclerc et sa coscénariste Baya Kasmi porte un regard d’une grande sensibilité sur une France encore aux prises avec d’importantes tensions ethniques et sociales, où les opinions aussi bien internes qu’externes par rapport à un même groupe d’individus s’avèrent souvent divergentes. Mais il est surtout question dans ce cas-ci de l’héritage et de la vision que le reste du monde aura d’une personne qu’impliquent cette suite de lettres constituant le nom de celle-ci. Une situation qui sera d’ailleurs superbement illustrée au cours d’une séquence où la mère d’Arthur, dont le passé avait jusqu’alors été passablement bien dissimulé par cette dernière, se heurtera au regard soudainement hostile d’une femme qu’elle connaît pourtant depuis trente ans lorsqu’elle ne sera pas en mesure de prouver hors de tout doute sa citoyenneté française. Ainsi, Arthur Martin, ce nom tout ce qu’il y a de plus commun généralement associé à des cuisines de qualité, dissimulera des origines juives qui, en raison des événements vécus par la mère durant la Deuxième Guerre mondiale, auront toujours été considérées taboues à l’intérieur du domicile familial. Le tout sera évidemment encore plus significatif du côté de Bahia. Ayant hérité davantage des traits de sa mère que de son père, Bahia aura pu éviter jusqu’à un certain point le racisme avec lequel auront dû composer nombre d’Arabes autour d’elle, elle qui aura néanmoins toujours présenté son nom de famille avec la plus grande fierté.
Le nom des gens ne cherche toutefois en aucun cas à imposer son discours au spectateur, assumant pleinement le manque de discernement de son héroïne et abordant ces questions, évidemment fondamentales, d’une manière essentiellement satirique tout en leur permettant de conserver tout leur bon sens.
Il serait d’ailleurs assez problématique d’aborder
Le nom des gens comme un film politique à proprement parler, en particulier vue la façon parfois stéréotypée dont il se sert de la femme et du peuple arabe pour mettre ses idées en place et faire progresser son récit. Ce qui ressort surtout de ce second long métrage, c’est plutôt la grande dextérité avec laquelle Michel Leclerc réussit à traiter de sujets souvent très délicats d’une manière qui soit à la fois comique, inventive et extrêmement pertinente. L’essence de son oeuvre passe de nouveau ici par la forte caractérisation de ses protagonistes, lesquels occupent le centre de cet univers judicieusement amplifié, voire légèrement décalé, mais dont les bases, elles, demeurent tout ce qu’il y a de plus concrètes. Le cinéaste passera ainsi par divers stratagèmes visuels et narratifs pour édifier la petite histoire de ces deux êtres, mettant notamment l’accent sur les conflits internes les ayant le plus marqués afin d’en faire des personnages aussi complexes et uniques que simples et attachants. Leclerc confirme du coup ses formidables talents de raconteur, lui qui ne s’en tient jamais qu’à un seul concept pour faire évoluer son récit, permettant à ses protagonistes de s’adresser directement à son auditoire tout en laissant les diverses temporalités de son scénario s’entremêler comme bon leur semble. Sans qu’il ne s’agisse de concepts nécessairement nouveaux, leur succession s’impose néanmoins allègrement au coeur d’une mise en scène orchestrée avec une énergie et une intelligence des plus revigorantes, laquelle est portée à l’écran par la direction photo tout aussi vivifiante de Vincent Mathias. Un traitement de premier ordre pour une oeuvre regorgeant de moments dramatiques d’une puissance inouïe tout comme de séquences à teneur plus comique présentant un humour fin, mais aucunement subtil, témoignant pour leur part des grands talents de dialoguistes des deux scénaristes.
Ainsi, si Michel Leclerc reprend de bien des façons exactement là où il avait laissé au terme de son
J’invente rien,
Le nom des gens marque néanmoins une progression fulgurante pour son auteur, et ce, autant au niveau de l’écriture que de la mise en scène. Si le cinéaste s’aventure, certes, en terrains connus, ce dernier ne fait malgré tout jamais preuve de paresse ou de complaisance, démontrant au contraire un savoir-faire et une confiance derrière la caméra dont s’imprègne chaque situation, et que Leclerc enveloppe d’autant plus d’un scénario beaucoup plus achevé. Leclerc est une fois de plus appuyé à l’écran par un duo d’acteurs exceptionnels en Jacques Gamblin et Sara Forestier, lesquels font réellement ressortir toute la vie et la personnalité du présent exercice en incarnant d’une manière particulièrement inspirée un duo formé de contraires tout ce qu’il y a de plus typiques de ce genre de cinéma, mais auxquels ils réussissent à conférer une aura qui leur est propre. La performance extrêmement sentie de Gamblin permettra du coup au spectateur de s’identifier sans problème au protagoniste pour ensuite tomber lui aussi sous le charme on ne peut plu ensorcelant du personnage incarné avec tout autant de brio par la jeune actrice. L’adhésion à une telle romance s’explique également de par la manière on ne peut plus habile dont Leclerc fera progresser ces deux opposés vers un milieu commun, amenant l’un à prendre conscience des conséquences qu’auront eu sa profession sur sa manière de penser et d’agir et l’autre à vouloir abandonner ses fonctions pour une histoire dans laquelle elle pourrait réellement s’épanouir. Comédie à la fois désopilante et profondément humaine,
Le nom des gens s’impose au final comme une bouffée d’air frais à laquelle il est assez difficile de résister, et Michel Leclerc comme un réalisateur à surveiller de très près.