DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Fast Five (2011)
Justin Lin

Élever son jeu d'un cran

Par Jean-François Vandeuren
Lorsque le réalisateur Justin Lin prit la barre de The Fast and the Furious en 2006 en nous proposant le somme toute divertissant Tokyo Drift, l’opus en question s’annonçait davantage comme le chant du cygne de la franchise, dont on ne donnait déjà pas cher de la peau à l’origine, qu’une réelle tentative de remettre celle-ci sur les railles. Puis, Lin récidiva trois ans plus tard avec Fast and Furious en réintroduisant les têtes d’affiche du premier épisode, que l’on aurait cru en mesure de se défaire des rôles qui les auront rendus célèbres pour s’élever davantage dans les hautes sphères du vedettariat hollywoodien depuis le temps. Le succès commercial de ce quatrième effort pourtant aussi banal, sinon plus, que ses prédécesseurs aura alors démontré qu’il y avait encore un public assez substantiel pour justifier la présence persistante d’une telle propriété intellectuelle sur les écrans, et démontrer qu’il était tout à fait sensé de pousser la note encore plus loin en démarrant la production d’un cinquième chapitre. Il faut dire que la Universal a clairement trouvé son homme de confiance en le cinéaste d’origine taïwanaise qui, avec Fast Five, signe déjà sa troisième entrée dans la série, lui qui en est à son septième long métrage. S’il avait plutôt raté son coup lors de son second tour de piste, force est d’admettre que Lin a visiblement compris cette fois-ci ce qu’il avait à faire pour ne pas répéter les mêmes erreurs. La franchise conserve, certes, plusieurs de ses mauvaises habitudes, lesquelles auront autant attiré les foules que fourni une pléthore de minutions à ses plus virulents détracteurs, mais les exploite désormais d’une manière beaucoup plus décontractée, voire même sous le signe de l’autodérision. Il en ressort étrangement l’épisode le plus ambitieux de la série à ce jour, et certainement le plus réussi également.

Visiblement conscient des moyens et de l’extravagante liste d’interprètes qu’il aurait à sa disposition pour arriver à ses fins, Lin aura mis les bouchées doubles pour s’assurer de satisfaire autant les fans invétérés de la série que le spectateur en quête d’un divertissement efficace et peu exigeant. Le réalisateur aura ainsi réuni la plupart des personnages secondaires qui apparaissaient d’une façon ou d’une autre dans l’un des quatre précédents exercices, en plus de se permettre de recruter nul autre que Dwayne « The Rock » Johnson pour venir mettre des bâtons dans les roues de Brian O’Conner (Walker) et Dominic Toretto (Diesel). Mais le rassemblement d’une telle gamme d’individus au coeur d’une seule et même prémisse est loin d’être accessoire, car Lin et le scénariste Chris Morgan (qui en est lui aussi à sa troisième participation dans la franchise) auront décidé de mettre beaucoup moins l’emphase cette fois-ci sur l’univers des courses de voitures underground pour se payer leur propre version de l’excellent Ocean’s Eleven de Steven Soderbergh. Fast Five débute ainsi immédiatement après Fast and Furious alors que Brian et Mia (Jordana Brewster) auront réussi à faire évader Dominic avant de se réfugier à Rio de Janeiro (comme en témoignent les innombrables plans aériens de la statue du Christ Rédempteur). Après qu’un vol de voitures spectaculaire ait mal tourné et mis l’homme le plus puissant du Brésil à leurs trousses, les trois complices décideront de rendre la monnaie de sa pièce à ce dernier en le dérobant d’une fortune évaluée à plus de cent millions de dollars. C’est ici qu’entreront en ligne de compte les divers personnages interprétés par les Tyrese Gibson, Chris « Ludacris » Bridges, Gal Gadot et Sung Kang, qui aideront tous notre trio à déjouer un corps policier particulièrement corrompu et à mettre leur plan à exécution.

Fast Five révélera d’ailleurs ses nombreuses similitudes avec le film de Soderbergh d’une manière assez peu subtile, répétant la séquence de la création de l’équipe en passant de nouveau par un montage nous présentant tour à tour les différents complices qui, comme dans la bande à Danny Ocean, auront tous un rôle bien précis à jouer pour assurer le succès de l’entreprise. Mais en plus de mettre la table pour la suite d’un spectacle s’annonçant riche en émotions fortes, c’est également grâce à cette réunion que Lin pourra véritablement introduire cette touche d’humour dont la franchise avait tant besoin. Une tangente que John Singleton avait tenté d’adopter d’une manière beaucoup trop cabotine dans 2 Fast 2 Furious et que Lin incorpore pour sa part avec une adresse pour le moins étonnante à son effort, lui dont l’approche souvent trop rigide s’était avérée particulièrement problématique dans le chapitre précédent. Ici, Lin se présente comme un cinéaste qui, à défaut d’être nécessairement en pleine possession de ses moyens, sait néanmoins pertinemment avec quel genre de matière il doit travailler, et surtout quoi faire pour arriver à un résultat amplement fonctionnel et stimulant. Bien entendu, la prémisse de Fast Five carbure toujours autant à la testostérone et aux invraisemblances. Récupérant déjà la plupart de ses trucs d’une autre production, le scénario de Morgan n’a évidemment rien de bien original, mais présente malgré tout une désinvolture et une énergie que le réalisateur communique aisément à l’écran, et réussit contre toute attente à rendre contagieuse. Ce dernier sera d’autant plus parvenu à se défaire des effets de style tape-à-l’oeil que la série exploitait si maladroitement depuis le règne de Rob Cohen pour offrir des séquences d’action, certes, routinières, mais exécutées avec suffisamment de savoir-faire pour arriver à un spectacle de vitesse et de démolition plus que satisfaisant.

La plus grande réussite du réalisateur taïwanais dans le cas de Fast Five aura été de raviver la mythologie et les personnages d’une série de films pour laquelle nous ne pouvions avoir jusque-là qu’un intérêt somme toute assez mitigé et réussir à en sortir un exercice tout à fait pertinent. À un point où, pour la première fois en dix ans d’existence, The Fast and the Furious semble finalement habité par quelque chose qui pourrait s’apparenter à une âme. L’idée la plus significative aura été dans ce cas-ci de finalement assumer le ridicule inhérent à tout ce que représente et met de l’avant la franchise en s’amusant à ses dépens plutôt que de chercher à en tirer une quelconque morale. Le personnage de criminel endurci défendant des valeurs familiales tout ce qu’il y a de plus nobles interprété par Vin Diesel réussira évidemment une fois de plus à convaincre même les plus dignes représentants des forces de l’ordre du bien-fondé de ses intentions. Un changement de perception qui sera évidemment stimulé ici par le fait que le corps policier du pays est encore plus pourri que les bandits qui l’habitent. Autrement, Lin sait exactement ce qu’il doit fournir pour satisfaire son public, qu’il s’agisse d’une série de dialogues et de « one-liners » d’une stupidité totalement assumée ou d’un combat à mains nus entre ces deux mastodontes que sont Vin Diesel et Dwayne Johnson. Au centre de cette folle aventure, nous retrouvons une distribution qui se sort suffisamment bien d’affaire pour appuyer un tel plaisir coupable, même si celle-ci éprouve bien des difficultés à rendre crédibles les moments à teneur plus émotionnelle. Un détail qui ne nous empêche toutefois pas de ressortir amplement amusés de cette petite réunion de famille pour accueillir à bras ouverts un épilogue d’un ridicule jouissif préparant déjà le terrain pour un sixième épisode.
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Critique publiée le 29 avril 2011.