Nous pourrions croire, à première vue, que
Duncan Jones effectue avec
Source Code un premier véritable pas vers un cinéma beaucoup plus grand public, lui qui nous avait offert il y a deux ans un
Moon des plus fascinants qui aura depuis fait tourner bien des têtes. Si une telle impression n’est pas infondée - car, après tout, ce deuxième effort défend avec aplomb une forme et une intrigue beaucoup plus susceptibles d’attirer les foules -, l’entreprise n’est néanmoins jamais édifiée au détriment d’un discours et d’une démarche dont le cinéaste avait déjà clairement défini les bases lors de son premier tour de piste. Ainsi, ces thèmes que nous pouvions aborder jusque-là comme les grandes lignes d’une oeuvre unique s’imposent ici comme les préoccupations d’un artiste ayant su faire évoluer celles-ci en les positionnant dans un contexte à la fois fort différent et très similaire à celui de son opus précédent. Nous suivons cette fois-ci les péripéties du pilote d’hélicoptère Colter Stevens (Jake Gyllenhaal) qui, un beau matin, se réveillera à l’intérieur d’un train de banlieue se dirigeant vers Chicago dans un corps qui n’est pas le sien. Quelques instants plus tard, une violente explosion tuera tous les passagers présents à bord de l’engin. Colter retrouvera ensuite ses esprits à l’intérieur d’une capsule d’isolement régie par une technologie visiblement très avancée. Une officière militaire (Vera Farmiga) le mettra alors au parfum : la détonation dont il a été témoin est survenue il y a quelques heures et s’annonce comme la première d’une série d’attentats. Grâce à un programme baptisé «
source code », les autorités sont désormais en mesure d’investiguer les lieux du crime à travers un univers parallèle. La mission de Colter est fort simple : trouver la bombe et identifier son artisan. Le hic, c’est que ce dernier n’aura que huit minutes lors de chaque tentative pour accomplir sa mission.
Ce qui semblera d’abord vouloir s’imposer comme un thriller de science-fiction tout ce qu’il y a de plus conventionnel prendra une tournure pour le moins réjouissante lorsque les rouages de la présente histoire dissocieront de plus en plus le protagoniste des traits du héros type de films d’action soudainement appelé à « sauver le monde ». Et c’est précisément à ce niveau que Jones aura su dénicher dans le scénario de Ben Ripley la matière idéale pour poursuivre ce qu’il avait si superbement entamé avec
Moon. Le Britannique se montrera ainsi particulièrement adroit dans la façon dont il désamorcera continuellement la montée dramatique qui aurait normalement dû rythmer l’exercice par l’entremise de deux éléments inhérents aux fondements de la présente intrigue, soit l’effet de répétition et l’exploitation d’un univers simulé où la menace réelle semblera de plus en plus abstraite. Si bien que ces inévitables questions de sécurité nationale seront progressivement reléguées au second plan. Bien qu’une telle initiative comportait évidemment certains risques, Jones gère la manipulation de l’espace et du temps du récit de Ripley d’une manière si réfléchie que ce qui n’aurait pu être qu’un simple stratagème scénaristique finit par devenir une source de discours en soi. La base lunaire de
Moon est remplacée ici par un cocon technologique dont Colter ne peut s’échapper, interagissant toujours à distance avec tout individu, que ce soit à travers un écran ou sous une apparence ne correspondant aucunement à la sienne. Une cellule qui se révélera d’autant plus étroite lorsque seront finalement dévoilées les raisons expliquant le choix de Colter pour conduire une telle investigation. Une découverte qui conférera une tout autre dimension aux motivations du personnage principal d’aller jusqu’au bout de sa mission, de sauver la vie de gens pourtant déjà décédés alors qu’il s’agit peut-être des derniers instants que le pilote pourra passer en compagnie d’autrui.
C’est ici que la présence de l’intérêt amoureux d’usage (interprété avec candeur par Michelle Monaghan) prendra une signification beaucoup plus importante. Car la différence la plus notable entre
Moon et
Source Code se situe justement au niveau des interactions illusoirement tangibles ayant lieu entre le protagoniste (de nouveau multiplié, d’une certaine façon) et le reste des personnages dans des situations où elles n’auraient pourtant jamais pu se produire. C’est aussi à cet égard que la logique d’un tel concept se révèle habituellement la plus fragile alors que l’omission de quelques détails aurait pu entraîner une série d’incohérences particulièrement problématiques, comme ce fut le cas avec certains exercices du genre par le passé, et ultimement compromettre l’adhésion du public au spectacle en cours. Non seulement nous retrouvons-nous ici face à une oeuvre dont les idées auront été pensées avec la plus grande attention, mais celles-ci donnent une fois de plus la chance à Jones de se jouer de certains des archétypes les plus coriaces du genre et d’en faire tout autre chose. Le cinéaste fait d’ailleurs preuve d’une grande dextérité dans la façon dont il réussit à soutenir une trame narrative beaucoup plus mouvementée tout en marquant la progression de celle-ci de plusieurs pauses assez prononcées. Le Britannique manipule ainsi avec aisance les deux temps du récit, trouvant un juste milieu entre l’état d’urgence planant au-dessus de la tête des personnages et ces séquences durant lesquelles seront soulevées des questions assez substantielles par l’entremise de l’état d’un homme confronté aux conséquences extrêmes d’une profession régie unilatéralement par l’obéissance aux ordres. De sorte qu’avec
Source Code, Duncan Jones ne fait pas que réitérer la pertinence de son discours à une époque où le cinéma de science-fiction se révèle souvent plus bruyant qu’autre chose, mais vient également confirmer le talent d’un metteur en scène sachant exactement comment mettre toutes les facettes d’une production au service l’une de l’autre.
Le plus impressionnant dans le cas de
Source Code, c’est peut-être le fait que nous n’avons pas affaire à une simple variation sur des thèmes bien connus, mais également à la suite logique de ce qui avait été proposé avec un premier opus ayant en soi tout et rien à voir avec le second. Comme
Moon, le présent effort s’intéresse à des questions éthiques auxquelles pourraient un jour mener les progrès de la science - cette fois-ci la possibilité de garder un militaire de profession en service dans une situation où il ne serait aucunement en mesure de le faire sur le terrain -, et ce, indépendamment du bien pouvant en découler. Et c’est dans cette optique que la fin hollywoodienne dont Jones et Ripley voudront bien faire bénéficier leur protagoniste se révélera un geste d’une grande humanité plutôt qu’une simple obligation scénaristique. Car ce qui fait la force du cinéma de Duncan Jones jusqu’à maintenant, c’est justement la manière dont ce dernier réussit à nous plonger au coeur d’un récit extraordinaire en nous l’imposant comme si elle faisait déjà partie de notre réalité pour ensuite se concentrer corps et âme sur le drame existentiel pouvant en découler et avec lequel devront composer ses principaux personnages. C’était le cas pour ces deux clones dont la relation pour le moins ambigüe était rapidement balayée du revers de la main, et c’est le cas ici pour ce soldat en quête d’une dernière chance de jouer les héros dans un contexte et un corps qui, une fois de plus, ne sont pas les siens. L’ultime acte de bravoure d’un homme dont le destin avait été scellé bien avant que ne s’amorce la présente histoire, au bout de laquelle émergera un épilogue qui viendra boucler la boucle et approfondir encore davantage tout ce qui avait été si habilement mis sur pied auparavant.