DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Limitless (2011)
Neil Burger

Brain candy

Par Jean-François Vandeuren
Une lecture rapide du synopsis de Limitless nous donnera d’abord l’impression d’avoir déjà vu le film dans sa totalité, de connaître les moindres inclinaisons de la courbe dramatique à laquelle devra soudainement se conformer la vie d’Eddie Morra (Bradley Cooper). Et pourtant, nous devons bien reconnaître que cette adaptation du roman The Dark Fields d’Alan Glynn possède ce petit quelque chose d’intrigant qui pique immédiatement la curiosité. Car, effectivement, qu’en serait-il s’il existait réellement une petite pilule transparente permettant à celui qui l’ingurgite d’utiliser son cerveau au maximum de sa capacité? Une découverte avec laquelle Eddie entrera en contact un peu malgré lui après que ce dernier ait croisé par hasard son ancien beau-frère, qui lui offrira un échantillon de cette substance coquettement baptisée « NTZ ». Écrivain raté dont l’apparence peu soignée aurait pu être confondue jusque-là avec celle d’un sans-abri, la consommation dudit comprimé permettra subitement à Eddie de devenir extrêmement réceptif à tout ce qui se trame autour de lui et de tisser des liens avec les moindres parcelles d’information avec lesquelles il sera entré en contact au cours de sa vie. Évidemment, une seule pilule sera loin d’être suffisante et le protagoniste tentera de se procurer quelques doses supplémentaires de ce produit miracle. Il est clair cependant que si une telle substance venait à être inventée, bien des individus feraient des pieds et des mains pour mettre la main dessus. Après avoir retrouvé son fournisseur froidement assassiné, Eddie réussira à s’emparer de la réserve personnelle de ce dernier, laquelle décuplera rapidement ses fonctions cérébrales au point d’en faire une véritable machine de concentration et de lui permettre d’absorber toutes formes de connaissances en un temps record. Il ne restera plus qu’à voir ce qui se produira lorsque les provisions de notre héros seront complètement épuisées.

Heureusement, Neil Burger ne s’en tient pas qu’à cette simple problématique pour alimenter la trame narrative de son quatrième long métrage. Pourtant, au premier abord, tout portera à croire que c’est précisément dans cette direction que désire nous amener le présent exercice, les premières images du film nous montrant un Eddie prêt à se jeter en bas de la terrasse de son luxueux appartement afin d’échapper à quiconque tente désespérément de pénétrer à l’intérieur de sa forteresse personnelle. Nous aurons alors l’impression de nous lancer sur les traces d’un protagoniste qui sera parvenu à atteindre les plus hauts sommets, mais qui, quelque part en cours de route, se sera attiré les foudres des mauvaises personnes. C’est d’ailleurs sans surprise qu’Eddie cherchera à se servir de ses nouvelles aptitudes pour faire un peu d’argent, lui qui, suite à une petite escapade sur les marchés financiers, deviendra la nouvelle coqueluche de Wall Street. Un exploit qui attirera évidemment l’attention de certains gros noms du domaine des affaires, et qui fera réaliser au personnage principal qu’il n’est peut-être pas le seul dans ce milieu à recourir au NTZ. Le tout dans un contexte où l’offre semblera de moins en moins en mesure de suffire à la demande. Burger et la scénariste Leslie Dixon se joueront alors habilement des habituels conflits sur lesquels semblera vouloir déboucher leur intrigue, que ce soit par rapport aux effets secondaires engendrés par une consommation excessive de comprimés ou aux tentatives répétées de nombre d’individus de dépouiller Eddie de « son bien ». Car là où Limitless réussit à se démarquer des opus ayant emprunté un chemin similaire par le passé, ce qui permettra ultimement à l’effort de visiter des avenues dramatiques beaucoup plus pertinentes, c’est justement en ne perdant jamais de vue les multiples possibilités scénaristiques découlant de l’existence d’un tel objet de convoitise.

Il faut dire que l’exploitation d’une telle prémisse se sera souvent avérée beaucoup plus problématique que réellement concluante alors qu’un concept sortant autant de l’ordinaire se sera rarement révélé en mesure d’atteindre son plein potentiel, en plus d’éprouver énormément de difficulté à obéir aux lois régissant sa propre logique. Une telle perspicacité permet ainsi à Limitless de déjouer bon nombre d’attentes en s’amusant allègrement aux dépens des gestes posés par un personnage évidemment beaucoup plus divertissant que véritablement édifiant. Ce sera d’ailleurs cette force de caractère nouvellement acquise qui permettra à Eddie de sortir gagnant de toute cette histoire sans avoir à passer par un quelconque processus de rédemption, ce qui donnera lieu à une dernière séquence qui parlera d’elle-même et viendra terminer le présent spectacle sur une note on ne peut plus appropriée. Une conclusion idéale vue le parcours qui l’aura précédée, durant lequel Burger et Dixon ne se seront pas gênés pour élaborer une production d’envergure un peu plus exubérante que la moyenne, et ce, autant en ce qui a trait à la nature des événements présentés qu’à la façon dont ils sont mis en scène. Car Limitless s’en permet beaucoup, proposant une expérience visuelle et narrative extrêmement stylisée dont l’enjouement validera en soi l’emploi de bien des stratagèmes, telle cette narration en voix off qui apportera une dimension non négligeable à la dynamique de l’essai. Il y aura ensuite cette dualité entre la grisaille ordinairement associée au monde d’Eddie et l’excès de lumière qui redéfinira l’image à chaque fois qu’un comprimé entrera dans son système. Le réalisateur se révélera tout aussi efficient pour illustrer autant les périodes de confusion que d’exaltation à travers lesquelles devra passer son protagoniste, menant à des effets visuels et photographiques particulièrement bien orchestrés qui ne seront pas sans rappeler la créativité esthétique d’un Danny Boyle ou même d’un Michel Gondry.

S’il n’était pas nécessairement parvenu à tirer son épingle du jeu avec ses deux précédents opus - The Lucky Ones, film au discours assez confus sur les implications de la profession militaire, et The Illusionnist, qui n’arrivait pas toujours à capitaliser sur les forces de son scénario -, Neil Burger nous arrive cette fois-ci avec un divertissement à la fois simple et diablement efficace. Le cinéaste réussit ainsi à faire fi des diverses questions éthiques qu’aurait normalement dû impliquer une telle prémisse afin de concentrer le regard du spectateur vers une histoire dont les rouages s’avèrent beaucoup plus imaginatifs. Limitless poussera la note en allant jusqu’à créer quelques parallèles entre le récit peu commun de son personnage principal et celui d’un super-héros. La découverte du NTZ par Eddie aura en ce sens un caractère aussi hasardeux que celui d’une morsure d’araignée radioactive, tandis que seront évoquées indirectement les conséquences que pourrait avoir le contrôle d’une telle substance par des individus malfaisants. Dans le rôle principal, Bradley Cooper met tout le charisme qu’on lui connaît à profit, se révélant aussi à l’aise durant les moments où son personnage se doit de faire preuve d’une assurance extrême que lors de ceux où il se retrouvera dans une situation pour le moins précaire. Une telle réussite découle ici d’une intrigue particulièrement bien ficelée ne progressant pas uniquement qu’en ligne droite et sachant faire évoluer ses enjeux au même rythme que son protagoniste. Le tout au coeur d’une mise en scène des plus énergiques exécutée par un Neil Burger ne se prenant jamais trop au sérieux et agençant parfaitement le ton comique du récit à une structure se rapprochant davantage d’un suspense traditionnel. Il en résulte une oeuvre à la fois intelligente et stimulante, comme on aimerait en voir plus souvent, et surtout qui ose jouer le jeu du début à la fin.
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Critique publiée le 18 mars 2011.