Le
Histoires d’hiver de
François Bouvier aura précédé de quelques années la vague de films québécois ayant récemment replongé la province dans les années 60. De
Maman est chez le coiffeur à
Une vie qui commence en passant par
C’est pas moi, je le jure!, ces productions avaient (évidemment) en commun ce désir de parler de la famille, et surtout de la façon dont la dynamique de celle-ci aura alors été brusquement transformée par l’évolution des moeurs. L’une des principales caractéristiques de cette tendance demeure le point de vue adopté pour traiter de ces différents changements, lequel se révèle être dans la majorité des cas celui d’enfants, soit celui que les cinéastes d’aujourd’hui pouvaient avoir à l’époque. L’auteur Marc Robitaille en aura d’ailleurs profiter pour faire suite à la présente adaptation de son roman
Des histoires d’hiver avec des rues, des écoles et du hockey pour tirer de nouveau son épingle du jeu avec
Un été sans point ni coup sûr. Si de telles problématiques seront d’ailleurs mises en évidence de manière beaucoup plus explicite dans l’opus de 2008,
Histoires d’hiver se concentre dans un premier temps sur la maturation de ce regard que porte son jeune protagoniste sur le reste du monde. Nous nous retrouvons alors au coeur d’une petite localité au cours de l’année scolaire - et de la saison de hockey - 1966-67. Martin (Joël Dalpé-Drapeau) rêve du jour où il pourra enfin voir son héros Henri Richard s’exécuter sur la glace du Forum de Montréal. Entre sa tentative de se faire passer pour un enfant malade pour recevoir des billets de faveur de la part du grand club et les pressions effectuées sur son père (Luc Guérin) pour que ce dernier en obtienne de son patron, l’écolier poursuivra également sa recherche incessante de la carte de l’ailier gauche Dick Duff, sur laquelle tous les jeunes garçons du village aimeraient bien mettre la main pour enfin compléter leur collection.
Cette période de grands bouleversements de la fin des années soixante semblera d’abord servir uniquement ici de toile de fond à l’histoire beaucoup moins complexe de Martin qui, de son côté, sera de plus en plus confronté au monde des adultes. Et c’est peut-être cette volonté de ne pas aborder directement ce genre de questions qui permet en bout de ligne au scénario de conserver toute sa candeur, conjuguant habilement le regard (plus mature) du spectateur à celui d’un enfant pas toujours conscient de ce qui se trame sous ses yeux, lui dont les principales préoccupations dans la vie tournent presque exclusivement autour du hockey.
Histoires d’hiver effectue ainsi un travail de narration pour le moins fascinant, surtout dans un tel contexte, en n’adoptant que le point de vue de son personnage principal pour édifier son récit, confinant le spectateur à l’intérieur de l’environnement immédiat de Martin, tandis qu’au même moment le Québec s’ouvrait progressivement au reste de la planète. S’il ne possède évidemment pas la même latitude, ce petit univers subira lui aussi d’importantes transformations aux yeux du protagoniste. D’abord avec l’arrivée de nouveaux visages, ensuite dans la façon dont ce dernier percevra ces différents individus qui, jusque-là, avaient toujours été associés à de simples archétypes dans son esprit. Sans surprise, ce sera ce professeur d’anglais incarnant le gentil hippie fumant de la marijuana dans son Westfalia multicolore durant la récréation qui s’avérera le digne représentant de tout ce chambardement, lui qui encouragera ses élèves à penser par eux-mêmes et à sortir des conventions. Un programme qui ne sera pas pour plaire à une institutrice employant pour sa part des méthodes beaucoup plus traditionnelles. Encore là, Martin réalisera que celle-ci n’est finalement pas définie que par sa profession et que sous sa droiture et son autorité se cache une figure qui, comme l’ensemble des personnages, est loin d’être solide comme le roc.
Il est évidemment facile d’avoir certaines réticences face à ce genre de projets, en particulier en ce qui a trait à la façon dont sont gérés la représentation de l’époque et le sentiment de nostalgie que l’on tente d’en dégager - et sur lesquels reposent en grande partie la réussite artistique tout comme le succès commercial d’une telle entreprise. Il faut dire que Marc Robitaille est certainement l’un de nos plus habiles raconteurs à cet effet alors que l’âme de ses écrits ne repose jamais uniquement sur ce qui est mis à l’avant-plan, mais émane également de toutes ces petites observations dont il parsème son récit et sur lesquelles François Bouvier aura su capitaliser ici d’une manière tout aussi naturelle. Le réalisateur aura d’ailleurs pu compter sur la musique de Michel Rivard pour accompagner ses élans, laquelle appuie allègrement cette initiative sans jamais la rendre trop sirupeuse. Mais dans
Histoires d’hiver comme dans
Un été sans point ni coup sûr, c’est cet amour pour le sport qui finit par harmoniser l’ensemble des éléments de la production, cette passion ne pouvant être vécue qu’à cet âge où nous allions encore envahir les rues pour imiter les exploits des plus grands athlètes.
Histoires d’hiver prend toutefois beaucoup plus la forme d’un « récit des premières fois », d’une chronique de cette période marquante dans la vie de tout individu, que d’un film dont les enjeux seraient davantage de nature sportive, Martin se révélant de toute façon un partisan au coup de patin assez peu convaincant. Bouvier gère ainsi l’univers de son film en adoptant parfaitement le ton des écrits de Robitaille, allant jusqu’à se permettre une savante séquence de cauchemar à saveur sociohistorique, et en exprimant avec tout autant d’aisance l’essence de personnages, certes, quelque peu typés, mais dégageant une chaleur humaine et une sincérité à laquelle il devient extrêmement facile de s’identifier.
Le génie du film de François Bouvier aura été en soi de garder - en apparence - tout propos social en arrière-plan tout en se servant des péripéties et de la situation de la famille de Martin pour dresser un portrait plutôt amer de l’état de la société québécoise. Cette ère de changement sera illustrée d’une part à travers la mère de la famille (Diane Lavallée), qui laissera finalement tomber les peintures à numéros avec lesquelles elle meublait ses après-midi pour enfin exprimer sa créativité. Mais là où l’exercice se révèle le plus habile, c’est dans sa représentation de ces deux facettes de la personnalité d’un même peuple que seront appelés à incarner le père de Martin et son oncle (Denis Bouchard). Le tempérament passif et la volonté de faire le moins de vagues possible de l’un lui permettront ainsi de gravir les échelons et d’obtenir un poste de choix au sein de l’establishment canadien anglais, tandis qu’au même moment, cet homme du peuple bon vivant et batailleur s’affaiblira proportionnellement au succès que connaîtra son petit frère. Cela explique que malgré les hauts et les bas de leur quotidien,
Histoires d’hiver présente cette famille comme un véritable modèle d’unité. L’inclusion d’une narration en voix off guidée par un Martin devenu adulte récitant les phrases incongrues écrites durant sa jeunesse prendra d’ailleurs tout son sens lors d’une dernière séquence où il évoquera à travers la mort de certains proches celui de deux défaites référendaires qui auront tous fini par faire de lui un orphelin. Le tout alors que défileront les images de Martin revenant incognito de Montréal après que la personne représentant le mieux la fierté québécoise dans son entourage se soit éteinte durant la nuit et que les Maple Leafs de Toronto (qui d’autres?) se soient rapprochés un peu plus de la coupe Stanley.