DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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My Soul to Take (2010)
Wes Craven

Le degré zéro du slasher Scooby-Doo

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Au panthéon des auteurs déchus, Wes Craven occupe une place particulière puisque plusieurs l'accuseront de n'avoir au fond jamais été digne de ce titre. Ce serait oublier que Craven, jeune loup dans les années 70, a fait escalader avec une vigueur carnassière la sauvagerie du cinéma d'horreur américain tout au long de cette décennie charnière. Qu'en tant que cinéaste établi, à partir des années 80, il s'est attelé à la tâche de dépeindre la face cachée de la banlieue américaine (avec des films tels qu'A Nightmare on Elm Street et The People Under the Stairs); puis, qu'à un certain point dans les années 90, il a décidé que le bon vieux slasher était dû pour une crise identitaire à saveur autoréflexive. Naquirent ainsi l'audacieux (mais raté) New Nightmare et l'incontournable Scream qui, malgré le passage du temps, demeure une référence en son genre. Puis, à force de s'autorecycler, Craven sombra progressivement dans l'autoparodie. L'insipide Scream 3 démontrait scène après scène que la farce était allée trop loin et, qu'à force de multiplier les mises en abyme ironiques, on se retrouve au final perdu dans le néant intellectuel du post- « peu importe ». La blague avait triomphé sur l'exercice de style, et force est d'admettre qu'elle n'était de surcroît plus très drôle…

Tout de même, on est bien obligé d'admettre que le postulat de base de la saga des Scream était pertinent - et que même dans ses derniers soubresauts, alors qu'elle nous régurgitait à la figure le fond du baril de ses trouvailles métacinématographiques, la voir défaillir était plus divertissant que le fait d'endurer ce My Soul to Take, qui constitue dans l'oeuvre de son auteur le degré zéro de l'inspiration. Après nous avoir affirmé que le slasher orthodoxe était au bout du rouleau, que ses conventions épuisées s'étaient transformées en un vulgaire mode d'emploi, le simple fait que Craven ait le culot de nous resservir la recette sans la moindre petite entorse au modèle tient de la pure contradiction dans son hypothétique « discours d'auteur ». Pense-t-il que l'on a tout oublié? Tente-t-il un retour aux sources? Le problème fondamental de cet ennuyant My Soul to Take, c'est que le cinéaste américain se contente d'y appliquer cette fameuse formule qu'il nous avait exposé alors qu'il devrait s'amuser à la trafiquer. Sans nécessairement jouer la carte de la distanciation explicite, Craven aurait pu à tout le moins nous surprendre un peu, nous prouver par un quelconque détournement des règles qu'il n'est pas qu'un simple exécutant dont l'unique intention est de satisfaire (sans plus) les plus limitées attentes du spectateur adolescent moyen.

Mais, en toute honnêteté, on comprend rapidement ce qui nous attend (et, du même coup, pourquoi ça ne nous plaira pas) : une vieille légende, une petite communauté, un lourd secret, de la chair adolescente condamnée. Après une mise en situation spectaculaire, à défaut d'être vraiment impressionnante, Craven prend tout son temps pour nous présenter un bestiaire juvénile peuplé des clichés routiniers avant d'enchaîner mécaniquement les mises à mort sans trop se préoccuper de la mise en scène. Certains parleront de retenue, pour décrire cette fausse épure et ce parti pris pour le strict minimum de gore, mais il est plutôt question d'une absence d'audace, d'imagination. Voilà. Un pont, c'est un bel endroit pour tuer quelqu'un. Le bord d'une piscine, c'est parfait pour continuer la boucherie. La forêt, alors là, la forêt… Qui promet une pipe dans une forêt se retrouve généralement avec un couteau dans la gorge. C'est bien connu. Alors tout ce qu'il nous reste pour ne pas sombrer dans le coma, en tant que pauvre victime de cette application ronflante du protocole de l'Horreur 101, c'est un scénario respectant à la lettre la logique d'un épisode de Scooby-Doo et au bout duquel l'un des « misfits » sera démasqué - parce qu'il faut bien que quelqu'un d'un peu désaxé soit responsable de ce carnage.

Le Wes Craven d'hier étant l'architecte des clichés d'aujourd'hui, on pourrait, certes, l'excuser de piger ainsi dans son propre sac de croquemitaine essoufflé. Mais ce n'est pas si simple. Voilà bien le danger, quand on décide de changer les règles du jeu. Une fois le bouleversement confirmé, il est bien difficile de revenir en arrière, de faire comme si rien ne s'était passé. Il faut aller de l'avant, agir en conséquence, poursuivre la partie selon les nouvelles règles. Les disciples de Craven l'ont compris : le slasher américain ne pourra plus jamais être le même, puisque le magicien lui-même a révélé le secret de tous ses tours à l'auditoire. Un genre évolue. C'est un système où la relation qu'entretient un élément avec l'ensemble importe autant sinon plus que ses qualités intrinsèques. Selon ce raisonnement, My Soul to Take est un film dépassé, parfaitement périmé, dont l'exécution technique acceptable ne peut pas racheter l'absence totale de pertinence dans la conjoncture actuelle. Peut-être qu'en retournant aux pirouettes référentielles de ses Scream, dont le quatrième volet sortira sous peu, le cinéaste pourra renouer avec une certaine actualité du slasher qu'il a contribué à ériger. Mais, pour l'instant, ce père fondateur signe avec ce plus récent film un exemple d'archaïsme déguisé en édifiante leçon de classicisme.
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Critique publiée le 22 février 2011.