Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec, Les (2010)
Luc Besson
L'art de se mettre les pieds dans les plats
Par
Jean-François Vandeuren
Il est devenu pratiquement inutile d’attendre le retour du Luc Besson qui nous avait donné Le grand bleu, Leon ou encore The Fifth Element. Ce Luc Besson à la fois plus méthodique, excentrique et spectaculaire a depuis longtemps laissé sa place à un homme du show-business ne se contentant désormais que de démarrer des projets de films de série B aux ambitions plutôt modestes et de consacrer son expertise de réalisateur à des productions destinées à un public beaucoup moins mature qu’autrefois. Une volonté qui se sera d’abord matérialisée sous la forme des trois opus consacrés à l’univers d’Arthur et les Minimoys, et à présent de cette adaptation de la bande dessinée Les aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec de Jacques Tardi. Le cinéaste cherchera bien à trouver un juste milieu afin de séduire le plus large public possible, mais en effectuant des compromis se révélant parfois assez douteux. Le présent récit nous transporte donc en 1912 pour nous introduire dans un premier temps à un éminent scientifique dont les recherches sur l’existence d’une vie après la mort auront fait éclore l’oeuf d’un ptérodactyle qui sèmera aussitôt la pagaille dans les rues de Paris. Au même moment, en Égypte, l’aventurière Adèle Blanc-Sec (Louise Bourgoin) tentera de retrouver le corps momifié d’un célèbre praticien qui pourrait l’aider à sauver sa soeur d’une mort certaine. Celle-ci aura évidemment besoin de l’aide du bon professeur pour ramener la dépouille vieille de quatre milles ans à la vie. Le problème, c’est que ce dernier aura entretemps été condamné à mort pour avoir réveillé la bête qui, depuis, aura fait trois morts dans la capitale parisienne. S’ensuivra une course contre la montre au cours de laquelle Adèle devra user de ruse afin de sortir le vieil homme de prison et ainsi permettre à sa frangine de retrouver ses esprits.
Besson cherchera évidemment à intégrer à sa mise en scène une esthétique et un ton propres à la bande dessinée. Il y aura d’abord ces récitatifs prenant ici la forme d’une narration en voix off - que le cinéaste semblera avoir dérobée au Fabuleux destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet - qui, dans les circonstances, se révélera quelque peu superflue. Mais nous pensons surtout aux traits, autant physiques que psychologiques, des différents personnages, qui s’avèrent on ne peut plus caricaturaux en plus de détonner des environnements du film qui, pour leur part, demeurent tout ce qu’il y a de plus concrets. Les vilains se révéleront ainsi des plus hideux tandis que les vieillards seront particulièrement ridés et que nous croirons les bouffons représentant l’ordre public sortir tout droit d’un cirque ambulant. Il n’y aura finalement que notre héroïne qui aura l’air un tant soit peu « normale » dans toute cette histoire, ce qui ne sera toutefois pas suffisant pour la rendre sympathique. Car il émane de cette aventurière plus futée que la moyenne une aura extrêmement froide à laquelle il peut être assez difficile de s’attacher et qui ne nous donnera pas forcément le goût de l’accompagner dans ses multiples péripéties. Le scénario de Besson empruntera à cet effet des avenues maintes fois visitées par le passé, mais d’une manière pourtant peu enthousiasmante, proposant diverses morales et une logique narrative dignes de tous les Indiana Jones de ce monde - telles l’avarice redevenant un péché littéralement mortel et cette solution à tout casse-tête se trouvant toujours au dernier endroit où l'on pensera chercher. Mais malgré cette prémisse pour le moins extravagante, il ne se dégage jamais de réel sentiment d’urgence ou de danger de ce divertissement fade ne se contentant que de réunir ses personnages au coeur d’une même situation dont tous chercheront à prendre le contrôle pour des raisons évidemment fort différentes.
Ce qui fait essentiellement défaut dans le présent exercice, c’est la mollesse avec laquelle sont traités la plupart des événements qu’il met en scène qui, en plus de s’étirer inutilement en longueur, exploitent bien souvent une forme d’humour basée sur la répétition dont on se lasse assez rapidement. L’ensemble n’est pas aidé non plus par l’insipidité de nombre de dialogues tout comme par le jeu cabotin des acteurs se retrouvant dans la peau des divers personnages secondaires qui, même s’ils remplissent allègrement leur mandat, finissent malgré tout par rendre l’expérience encore plus accablante qu’elle ne l’était déjà. Mais un résultat aussi dépourvu de sens du rythme et du spectacle découle principalement ici de la réalisation peu énergique d’un Luc Besson se satisfaisant d’un travail terriblement académique et sans personnalité, incapable d’appuyer convenablement autant le caractère fantastique que décalé, humoristique ou enfantin de son intrigue. Un manque de conviction qui aura visiblement eu une incidence sur la contribution des collaborateurs de longue date du cinéaste français comme Éric Serra, dont les sonorités reconnaissables entre mille auront laissé la place cette fois-ci à des compositions beaucoup plus génériques, et Thierry Arbogast, dont la direction photo n’est aucunement habitée par la verve et la spontanéité d’autrefois. Une telle paresse se manifeste également à l’écran par l’entremise d’une utilisation d’effets numériques « de qualité française » dans des situations où leur emploi ne s’avère jamais indispensable. Les aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec témoigne ainsi de la vision d’un réalisateur ayant perdu sa fougue et sa vigueur et qui semble à présent incapable de livrer un gag sans cafouiller ou de simplement orchestrer une séquence réellement exaltante, et ce, même dans un récit au titre aussi évocateur. Un constat soulevant de nouveau la désolation autant que l’incompréhension devant ce réalisateur devenu inapte à mettre en valeur ses atouts ayant fait jadis sa renommée.
Les derniers opus de Luc Besson nous auront placés devant un phénomène pour le moins paradoxal. Car nous pourrions facilement attribuer un tel revirement de situation à l’idée que ce dernier aura tout simplement fini par vieillir et prendre son trou, mais qui, à l’opposé, se sera réfugié dans la réalisation de productions beaucoup plus juvéniles tout en refourguant celle de ses scénarios les plus musclés à d’autres metteurs en scène. Si nous ne pourrons évidemment jamais accuser le cinéaste français de prétention, son incapacité à comprendre et à communiquer avec son public s’avère pour sa part de plus en plus problématique. Car autant ses efforts auront mené à quelques bons coups durant cette période plutôt tumultueuse, autant il mérite toutes les critiques qui auront été faites à son endroit tout comme à celui de son studio EuropaCorp. Dans cette optique, Les aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec se veut au font l’histoire d’un artiste au talent indéniable qui ne semble plus habité par cette volonté d’étonner, de déranger ou de réellement émouvoir le spectateur. Si Besson demeure un artiste pour lequel il sera toujours difficile de lancer la serviette, les prochains rounds n’annoncent pour l’instant rien de bien réjouissant alors que l’instigateur du présent projet ne semble pas vouloir revenir de si tôt à ses premières armes alors que son film se terminera sur une fin ouverte pour le moins ambitieuses - et quelque peu risible - annonçant la possible naissance d’une nouvelle franchise cinématographique. Nous pourrons nous consoler en nous disant que le prochain chapitre saura peut-être tirer un peu plus profit du talent d’un Mathieu Amalric ici méconnaissable et particulièrement sous-utilisé. Nous doutons néanmoins que cela soit suffisant pour attirer l’attention de ceux qui se seront montrés les plus indulgents face à ce premier épisode un peu bête et beaucoup trop prévisible.
Critique publiée le 4 février 2011.