Virtualité réelle
Par
Jean-François Vandeuren
L’idée de ressusciter une propriété intellectuelle comme Tron pouvait sembler un tantinet absurde, voire passer pour un projet sans avenir, un énième retour en arrière ne présentant aucune qualité particulière et ne se contentant que de capitaliser avidement sur le sentiment de nostalgie des spectateurs. Car il faut bien avouer que le film de Steven Lisberger finit par obtenir le statut d’oeuvre culte un peu par défaut. Bien que plusieurs des éléments le constituant soient désormais bien ancrés dans l’imaginaire collectif mondial (on pense aux disques lumineux et aux motocyclettes futuristes), l’opus connut un succès commercial somme toute très mitigé lors de sa sortie en 1982. Un échec dont se sera d’ailleurs moquée l’émission The Simpsons à l’occasion de la sixième édition de son spécial annuel « Treehouse of Horror ». Pour rendre les choses un peu plus attrayantes, cette suite à ce « film que personne n’a vu » se vit octroyer un budget estimé à plus de 200 millions de dollars, tandis que la barre du projet fut confiée à un spécialiste des effets numériques qui effectuerait ici ses premiers pas au cinéma en la personne de Joseph Kosinski. Les événements des dernières années auront évidemment permis à la production d’acquérir une certaine légitimité, que l’on pense à la popularité grandissante du jeu vidéo, à la nouvelle phase de développement de la technologie 3D, ou au triomphe planétaire du fameux Avatar de James Cameron. De sorte que Tron: Legacy pourrait maintenant permettre à Disney de connaître potentiellement le même genre de succès auprès du grand public. D’autant plus que le présent exercice exploite plusieurs idées que l’on retrouvait déjà dans le film de James Cameron, et ce, souvent à meilleur escient. Ayant en soi tout d’un projet casse-gueule, le film de Joseph Kosinski se révèle ainsi étonnamment à la hauteur de ses ambitions visuelles… et même scénaristiques.
Kevin Flynn (Jeff Bridges) s’inspira ainsi de son voyage à l’intérieur de l’ordinateur central de la compagnie Encom pour créer le jeu vidéo le plus populaire de tous les temps, et ainsi se hisser à la tête de la puissante corporation. Mais alors que ses recherches allaient bientôt lui permettre de changer le cours de l’humanité, ce dernier disparut soudainement sans laisser de traces. Vingt ans plus tard, son fils Sam (Garrett Hedlund) s’aventurera sur les lieux de son travail après avoir reçu la visite d’Alan (Bruce Boxleitner), un vieil ami de son père qui dira avoir reçu un message numérique provenant de l’ancien bureau du disparu. L’héritier y découvrira l’essence des recherches de son paternel, mais aussi les raisons de sa disparition, lui qui se retrouvera à son tour à l’intérieur du système informatique que Flynn tentait de mettre sur pied. Sam sera aussitôt étiqueté comme un joueur devant combattre pour le plaisir des programmes (tout comme celui des spectateurs présents dans la salle de cinéma), donnant ainsi le coup d’envoi à un spectacle visuel évidemment époustouflant après une entrée en matière plus que convaincante. Cet univers numérique est désormais sous l’emprise de Clu, un programme créé jadis par Flynn dans le but de l’aider à construire la plateforme virtuelle idéale. Mais cette simple définition de tâche finit par faire de Clu un tyran incapable de supporter la moindre imperfection, menant ici à d’inévitables références à la Seconde Guerre mondiale - du fascisme au génocide d’une nation sans territoire en passant par les trains de la mort. C’est ici qu’entrera en ligne de compte la disciple du dieu Flynn, Quorra (sublime Olivia Wilde), qui aidera Sam à prendre la fuite et à retrouver son père. Le nouvel utilisateur cherchera alors à persuader son géniteur de tenter de réintégrer la réalité, lui qui aura vécu depuis trop longtemps reclus à des lieues de la cité virtuelle.
Évidemment, le scénario d’Edward Kitsis et Adam Horowitz (auteurs ayant participé à l’écriture de la série télévisée Lost) ne montre aucune volonté de sortir des conventions, récupérant bon nombre d’idées mises de l’avant par d’autres artistes avant eux, mais avec un flair et une acuité qui s’avèrent ici des plus surprenants. On pense, entre autres, à Batman, alors que le duo donnera parfois des airs de Bruce Wayne à son héros en plus de s’offrir leur propre version de la « batcave » et de la « batmobile », tandis que les finalités des voyages entre ces deux univers nous renverront directement au Last Action Hero de John McTiernan et que les paysages obscurcis de ce monde numérique évoqueront ceux de la réalité du Matrix des frères Wachowski. Il faut toutefois reconnaître que les deux scénaristes effectuent un tel travail de réappropriation de manière étonnamment tempérée. De sorte que chacune de ces sources d’inspiration s’intègre dans le présent récit en s’imprégnant de sa logique et de sa mythologie sans que le tout ne paraisse forcé, inapproprié ou ne passe pour du vulgaire plagiat, chose que la plus récente mégaproduction de James Cameron avait souvent énormément de difficulté à accomplir. L’univers de Tron: Legacy est d’autant plus dépeint à la perfection par la mise en scène luxuriante de Joseph Kosinski et la direction photo tout aussi impeccable de Claudio Miranda (The Curious Case of Benjamin Button). Ces derniers tirent ainsi le maximum du minimalisme et de la froideur des décors et des costumes tout comme des savants jeux de lumière où le blanc, le bleu et l’orangé viennent illuminer un microcosme se situant à des miles de la jungle on ne peut plus colorée d’Avatar. L’initiative confère du coup à l’image une grande élégance dans une production déjà particulièrement léchée sachant faire preuve de patience, et surtout bon usage de ses attributs extrêmement stylisés.
Le présent exercice aura évidemment réussi à faire tourner quelques têtes grâce à sa bande originale composée par le duo français Daft Punk, leur musique électro-orchestrale à saveur rétro jouant un rôle de premier plan dans l’efficacité de l’effort. Celle-ci s’avère d’ailleurs à l’image de l’ensemble des éléments de cette production alors que Kosinski et ses acolytes seront parvenus à créer un parfait équilibre entre séquences d’action enlevantes et moments de grâce des plus envoûtants, affichant un côté zen que Jeff Bridges tournera légèrement en dérision en se permettant un savoureux clin d’oeil à The Big Lebowski. L’acteur complète en soi une distribution plus que satisfaisante au coeur de laquelle s’illustrent particulièrement un Garrett Hedlund s’acquittant allègrement de son rôle de rebelle et une Olivia Wilde des plus effectives dans la peau d’une jeune première appelée à jouer les héroïnes de films d’action. Nous pourrons évidemment reprocher aux deux scénaristes d’emprunter des raccourcis narratifs souvent beaucoup trop simplets pour se rendre à destination. Mais Tron: Legacy semble néanmoins conscient du rôle qu’il a à jouer en tant que divertissement à grand déploiement, exploitant une trame narrative, certes, ultra-classique, mais d’une façon tout à fait inspirée et articulée. En plus de ses nombreux emprunts au christianisme, l’essaie nous renvoie également à Star Wars de par ses références plus qu’évidentes à la saga de George Lucas. On pense aux troupes de choc, à cette bataille aérienne, mais surtout à ce brillant « I am not your father » que lancera un antagoniste précédemment vêtu d’un imposant casque noir comme l’était jadis un certain Darth Vader. Tron: Legacy aura d’autant plus l’audace de répliquer d’une manière extrêmement pertinente à Avatar par l’entremise d’une finale se situant à l’opposé total de celle on ne peut plus lâche du film de 2009 alors que ce sera cette réalité, certes, imparfaite, qui aura cette fois-ci le dernier mot sur le fantastique.
Critique publiée le 17 décembre 2010.