Harry Potter and the Deathly Hallows: Part 1 (2010)
David Yates
Ce n'est pas sorcier
Par
Mathieu Li-Goyette
En désignant David Yates comme réalisateur de la franchise dès le cinquième tome, la direction que prenait l’entreprise de l’écrivaine et productrice J.K. Rowlings et de ses comparses était bien claire : soutirer à la franchise sa personnalité, éviter les écueils enfantins des deux premiers volets de Chris Columbus (Mrs. Doubtfire, Home Alone) et les prétentions d’Alfonso Cuarón (Y Tu Mamá también, Children of Men), réalisateur qui, usant du plan-séquence comme peu d’autres, contraignait les producteurs à suivre sa ligne et non celle de la série. Et comme toutes séries (car dépassé le cap de la trilogie, on s’approche du sérial à la Bond plutôt que du combo de la décennie Rings-Narnia), celle d’Harry Potter se devait d’avoir une coquille vide, un tâcheron capable d’exécuter les ordres, de respecter sans plus ni moins un livre qui aurait gagné à être « adapté » et non transposé. Mais n’ayez crainte, l’équipe autour de Yates a pris soin de lui cette fois-ci (mieux vaut tard que jamais) et ce premier acte tranquille promet de rendre difficile l’attente à la conclusion.
Notre accusé n’échappera néanmoins pas aussi facilement à son appel à la barre. C’est-à-dire que Yates n’a pas compris que la description des objets farfelus, des environnements exotiques et des sorts magnifiques ne suffisait pas à l’écran. À l’écrit, l’imagination s’en occupe, les images des films se mêlent à la lecture du septième tome au point où il apparaît évident qu’un ne tend pas à remplacer l’autre. C’est un problème dans la mesure où la compétition ne se fait pas, où le livre sera toujours bien meilleur que le film parce que le film, lui, (celui-là et les autres de Yates, on aura compris), montre le magique comme il montrerait le n’importe quoi. Terminé ces élans épiques nous amenant dans un nouveau lieu, chez un nouveau sorcier. Ici, c’est le septième tome, celui où tout est connu et où il ne reste plus qu’à déboucler la boucle six fois nouée. Donc pas de trajet classique : maison-fuite-école-cours-problèmes-énigmes-surprise-retour à la maison; la première partie du dernier volet est plutôt construite comme une épopée où la somme de l’apprentissage des trois jeunes sorciers Harry, Ron et Hermione se déploiera lors des heures les plus sombres du monde des sorciers.
Mais est-ce parce que nous sommes habitués au sortilège de patronus d’Harry que nous ne le méritons plus? Est-ce parce que nous avons entrevu le ministère que nous ne méritons plus d’y entrer avec une caméra le glorifiant à sa juste valeur spectaculaire. Ce septième tome n’aura pas de deuxième chance, ce ministère ne sera plus jamais filmé, tel chapitre du livre ne sera plus jamais sur celluloïd alors autant faire les choses en grand, autant utiliser parcimonieusement la chanson thème de la franchise signée John Williams ou, du moins, ses accords (comme l’avait si bien exécuté Martin Campbell pour donner un coup de jeune au Bond de Casino Royale). Il est important - la leçon est pourtant élémentaire - lorsque l’on traite l’épique de faire référence aux composantes qui bâtissent un récit, à chacun des détails dont le dénouement provoque tremblements chez l’auditoire, la chair de poule rendant au divertissement sa raison d’être; le septième livre est exemplaire sur ce point.
Dans la poursuite de sa quête, Harry quitte donc avec ses compagnons à la recherche des derniers horcruxes avant que Voldemort ne s’en empare. La route sera semée d’embûches, les talismans trouvés agissant comme des anneaux « tolkieniens » (indestructibles, ils rendent fous son porteur) ne pouvant être détruits que par l’épée de Griffondor, arme mythologique qu’Harry avait utilisée pour tuer le basilic du deuxième bouquin - inutile de dire que cette épée, il la retrouve ici de manière bien banale. Le trio se perd en forêt, réfléchit, tente de trouver des solutions aux problèmes qui s’additionnent depuis le premier film et, par hasard, y parvient au fil de discussions à l’eau de rose et d’une danse - beau moment de la série - où l’humanité des idoles en plastique transparaît derrière les lunettes d’un Harry maladroit et les pas d’une Hermione gênée. Pendant cette heure passée loin du monde de la magie (quoique les mangemorts soient toujours à leur poursuite), le cabotinage de Yates s’efface pour laisser place au talent d’acteurs enfin matures qui font du film pour enfants un film sur le passage à l’âge adulte. Aucun uniforme sous lequel cacher ses formes, cacher son style. Plus de cours où les adultes nous surveillent. Les « ados » sont seuls et dansent pendant que le chat est parti, pendant qu’un monde s’écroule; la course contre la montre est autant celle contre Voldemort que celle contre une maturité latente : devenir adulte ou bien… mourir.
En dehors de ces considérations, le septième roman porté au cinéma l’emporte au moins sur la concrétisation des images qui n’étaient sur papier qu’un stimuli plutôt vague en matière de discours politique. Les « soldats » ennemis deviennent donc jeunesse hitlérienne, arborent l’uniforme gris et le brassard rouge tandis que le costume qu’enfile Potter (via la potion de polynectar, autre emprunt au deuxième tome) repique aux SS les imperméables de cuir aux collets sévères; la séquence au ministère est non seulement la plus forte du film, mais aussi l’une des plus fortes de la série. En identifiant les mangemorts au régime nazi, Voldemort et ses techniques à ceux d’Hitler et de son cercle sélect de collaborateurs, The Deathly Hallows prend une nouvelle tournure où les sorciers croyant à l’élu Potter sont chassés comme les Juifs de la Shoah pouvaient l’être. Les uns croyant en un prophète tandis que d’autres croyaient à une cicatrice à forme d’éclair, le petit zigzag boursouflé sur le front de Potter autour duquel a gravité toute la série revêt dans le dernier droit de la saga une importance de l’ordre des stigmates, des plaies de la Croix où un autre élu (christique celui-ci) se sacrifia pour la survie d’une collectivité opprimée. Le monde imaginé de la littérature rejoint le monde imaginé le plus célèbre de la théologie et la formule cinématographique Rowlings-Yates triomphe sur l’un des schémas les plus vieux du monde occidental. Tant mieux pour eux.
Pour nous, l’analyse faite à la va-vite du sacré judéo-chrétien et du sacré « poudlarien » n’a peut-être d’usage que pour prendre du recul face à une suite de films que l’on excuse sous le prétexte du « c’est pour les enfants ». Or, le public cible d’Harry Potter - nous voulions en venir ici - a grandi comme ses personnages, a gravi les marches du cinéma tout du long des dix dernières années à la recherche d’une série qui ne fait que lui ressembler de plus en plus. Qui, comme on arrête un jour de croire au Père Noël, arrête de croire à la magie féérique en la remplaçant par la magie gothique, plus sombre, rejoignant non pas en médiocrité, mais certainement en apparence, l’évolution de la série Twilight. En restreignant ainsi l’univers à une tente et un boisée, l’équipe de production du film tente le tout pour le tout et s’assure de marquer l’évolution de ses personnages par un assombrissement de la mise en scène (ses couleurs, ses plans où chaque plongée/contre-plongée est plus prononcée que jamais) comme si « mieux » était synonyme d’esthétique « adulte ». Il me semble pourtant évident que la cohabitation d’un mode et de l’autre au sein d’un même film participerait à la création d’une dualité qui, plus prononcée dans ses singularités opposées (les endroits roses seraient plus roses et les endroits noirs seraient plus noirs) suffirait à cette carence épique dont il a été question de s’amuser un peu ici en l’évoquant. Fut-il que cela respecte ou non le livre.
Critique publiée le 19 novembre 2010.