Sur le front
Par
Maxime Monast
Armadillo est un refuge. Il devient l’exil parfait pour les gens avec ce goût de l’aventure. Un endroit problématique. Il se trouve à être une base pour les forces armées danoises et britanniques, à quelques mètres à peine d’un territoire occupé par les talibans. L’Afghanistan est un champ de bataille où le nom « Armadillo » désigne l’endroit où l’invasion commence. Une source d’optimisme pour la conquête et la future sécurité des Afghans aux mains des pays unis. Là-bas, les forces danoises et britanniques ne sont pas très populaires. Les natifs sont pris dans une querelle qui se joue fort. Leurs maisons sont détruites, leurs terrains saccagés. Mais tout ça, selon leurs envahisseurs, c'est pour leur livrer leur éventuelle liberté. Cet exposé de Janus Metz suit le quotidien d’une troupe de jeunes danois durant les six mois de leur séjour au camp. Leur mission est de patrouiller ce secteur de l’Afghanistan afin de détrôner la résistance talibane. Le film nous les présente comme les seules forces alliées dans cette région. Ils sont la lueur d’espoir dans ce paysage rural ravagé par les conséquences de la guerre.
Même si les forces talibanes sont minoritaires, ils continuent à se battre. « 10 talibans pour 40 soldats armés », nous mentionne un soldat témoignant de la persévérance de leur ennemi. Ces soldats danois ne sont pas aveugles. Ils comprennent leur position dans ce pays étranger. Ils veulent établir un ordre social, mais ce but est clairement difficile à atteindre, et surtout à maintenir. Les civiles ont peur de s’associer aux deux forces opposées : la peur contrôle leurs décisions. Ils sont effrayés de mourir suite à un affrontement et redoutent aussi les conséquences d’une alliance aux forces étrangères. Mais pour les deux camps, ils ne sont qu’accessoires. Une scène, particulièrement intéressante, vise à nous démontrer cette condition. Après la destruction de sa maison dans le village adjacent, un simple paysan vient réclamer rétribution aux forces étrangères. Ceux-ci s’empressent de lui « rembourser » en argent les dommages qu’ils ont pu causer. Nous sommes conscients que ce geste a un double sens. Les forces ne contrôlent pas le champ de bataille. Pour eux, l’affrontement en milieu habité est quasiment inévitable. Par contre, la force employée par ceux-ci est tellement extrême qu’il est difficile de justifier la destruction complète d’un quartier pour affronter quelques résistants talibans. Les proportions ne sont pas en faveur des étrangers : une statistique qu’ils préfèrent balancer par l’entremise de compensations financières.
Mais que vise Metz en exposant cette situation? Une question qui peut s'appliquer pour la majorité des documentaires, mais qui semble prendre un vrai sens dans ce camp d'opération de l'armée. Une différence est perceptible dans le changement de bouc-émissaire. D’habitude, le bourreau ou les accusés pour les conflits au Moyen-Orient sont les Américains. Nous sommes conditionnés à nous faire servir des exposés, tant en fiction qu'en documentaire, sur la présence des Américains au front. Ils sont critiqués ouvertement et avec férocité. Par contre, en choisissant le peuple danois (et une équipe de soldats volontaires), le film expose une nouvelle vision à son auditoire. Mais est-elle si différente comme représentation? Il est évident que le but premier de Metz n'est pas d’exploiter les mêmes traits génériques pour un autre peuple, transposer le blâme des Américains aux Danois. En effet, son regard - en choisissant un petit groupe de soldats - se pose sur une expérience plus personnelle et complexe. Le côté éditorial ne remplit pas les mêmes toiles que des oeuvres accusatrices comme le Redacted de Brian De Palma ou bien des segments du Fahrenheit 9/11 de Michael Moore. Si Metz voulait pointer du doigt cette guerre, il aurait employé d’autres méthodes plus dénonciatrices. Bref, il nous laisse s'imbiber des expériences de ses soldats et des images-chocs (si bien captées par Lars Skree, qui déniche en elles un surréalisme fracassant). Nous sommes laissés à nous-mêmes, à notre propre réflexion. Un traitement qui n’est pas unique à Armadillo, mais qui demeure ici un choix judicieux.
La scène coup-de-poing du film et ses suites sont d'une telle véracité qu'Armadillo risque de rester coincé dans nos esprits. Cette confrontation, parmi tant d'autres, entre soldats et talibans près d'un ruisseau marque énormément. Le combat est désorientant et chaotique : se tirent-ils dessus? La violence, partie indissociable de la guerre, s’impose pour la première fois pour ces jeunes combattants. Le tout nous fait réagir et il est certain que ce sentiment produit un écho puissant pour les pays engagés dans cette guerre, en particulier le Danemark. Un autre aspect de cette scène se trouve justement dans l’audace de Metz et Skree qui montrent le combat dans son intégralité. Les deux artisans sont si près de l’action, risquant leur vie pour les images, que l’effet est encore plus grand lorsque l’on nous dévoile la fin de la scène. Mais comme tous moments mémorables, les images sont plus éloquentes que les mots. Dépourvu d’artifices et sans imagerie claire, ce combat capté par la caméra est à la fois une tragédie et une chance pour le film. Dans un certain sens, elle expose des comportements symptomatiques du conflit. Mais à l’opposé, elle restreint l’ampleur des événements en livrant ce que le public recherche. Dans les deux cas, l’attrait pour la violence l’emporte comme toujours.
En somme, Armadillo se taille une place intéressante dans ce type de documentaire choc et révélateur. Son traitement et son exécution réaliste - mises à part, quelques embûches évidentes de mise en scène - éclairent notre conception de la guerre. Si les images vous choquent ou vous font réfléchir, le film se rend presque qu’à destination. Par contre, si elles vous font douter et renoncer à certaines préconceptions sur de bêtes stéréotypes, l’exposé de Janus Metz frappe dans le mile.
Critique publiée le 18 novembre 2010.