À l'ouest des rails
Par
Jean-François Vandeuren
Le cinéma de Tony Scott se nourrit essentiellement de deux choses : de protagonistes appelés à poser des gestes particulièrement audacieux, voire héroïques, dans l’exercice - peu habituel - de leurs fonctions, et de beaucoup de vitesse. Après nous avoir offert une première incursion dans l’univers fascinant - et ô combien dangereux - des wagons et des locomotives avec sa relecture de The Taking of Pelham 1 2 3, le réalisateur aura saisi l’opportunité de ramener son public sur les rails en acceptant de prendre les commandes de ce Unstoppable. Il faut dire que les événements s’étant produits en mai 2001 en Ohio et dont s’inspire librement le présent exercice possédait en soi tous les éléments nécessaires pour que le Britannique puisse se sentir dans son élément. Nous serons donc invités ici à accompagner Frank Barnes (Denzel Washington), un mécanicien de profession, et Will Colson (Chris Pine), un chef de train fraîchement sorti de l’académie, au cours d’un voyage étrangement mouvementé. Un duo typique de ce genre de récits, combinant jeunesse et expérience et dont les deux parties devront vite laisser leurs différends de côté et apprendre à se connaître afin de pouvoir faire face à l’adversité. Leur quart de travail prendra ainsi une tournure pour le moins dramatique lorsqu’un train de marchandise transportant plusieurs citernes contenant une substance extrêmement toxique filera à vive allure sur la voie ferrée sans conducteur à son bord. Les autorités feront évidemment tout ce qui est en leur pouvoir pour arrêter le train de plus d’un demi-kilomètre de long, eux qui appréhenderont un déraillement dans une zone où les dommages seraient considérables. Comme toutes leurs tentatives échoueront lamentablement, il en reviendra à notre intrépide duo de se lancer à la poursuite du convoi pour essayer de le ralentir et ainsi empêcher la catastrophe tant redoutée.
La principale caractéristique du présent effort demeure évidemment l’absence d’un réel antagoniste. Nos héros ne seront donc pas confrontés ici à un écervelé ayant décidé de prendre des moyens peu recommandables pour arriver à ses fins, mais plutôt au résultat d’une simple erreur humaine. Les deux salariés se retrouveront ainsi au coeur de l’action un peu malgré eux alors qu’ils ne devaient à l’origine que mener un convoi tout ce qu’il y a de plus banal du point A au point B. Frank et Will uniront alors leurs forces et iront même jusqu’à risquer leur vie afin de mettre un terme à la course de cette force motrice, même s’ils seront plusieurs à penser que celle-ci ne pourra se terminer autrement que par un spectaculaire accident. Le duo devra d’ailleurs composer avec ces inévitables supérieurs ne possédant aucune expérience sur le terrain qui s’acharneront à leur mettre des bâtons dans les roues en prenant des décisions à la fois illogiques et extrêmement dangereuses, et ce, autant pour les principaux concernés que pour la population en général. Les différents obstacles que rencontrera tout ce beau monde gagneront évidemment en importance à mesure que progressera le récit : l’engin de mort évitera d’abord de justesse un wagon rempli de jeunes enfants et frôlera le train de marchandise à la tête duquel se retrouvent les protagonistes avant de devoir négocier un virage particulièrement serré où un dérapage signifierait la perte de plus de cent milles vies humaines. Unstoppable peut, certes, paraître un projet routinier pour un réalisateur comme Tony Scott. Mais il s’agit néanmoins d’une tâche dont ce dernier continue de s’acquitter avec toujours autant de fougue. Car malgré que nous puissions reprocher bien des choses au frère cadet de Ridley, nous devons tout de même reconnaître la verve avec laquelle il dirige chacun de ses longs métrages, même si ceux-ci ne produisent pas toujours les effets escomptés.
Le cinéaste britannique aura, certes, connu sa part de ratés au cours de la dernière décennie, l’insupportable Domino arrivant en tête de liste. Mais autant la prémisse de ce Unstoppable demeure en soi assez simpliste, voire limitée, autant Scott démontre ici qu’il est en pleine possession de ses moyens - ou du moins, beaucoup plus que ce qu’il avait pu nous laisser croire depuis quelques années. De son côté, Mark Bomback (Live Free or Die Hard) aura su élaborer son suspense tel un crescendo devant déboucher sur un dernier tiers où le scénariste nous amènera littéralement au bout de notre siège avant de nous y clouer jusqu’à la toute fin de la présente aventure. La bande originale du complice de longue date du réalisateur Harry Gregson-Williams contribue d’ailleurs énormément ici à la grande efficacité de l’ensemble. Mais ce qui étonne le plus dans le cas d’Unstoppable, c’est à quel point la mise en scène de Tony Scott se révèle beaucoup plus épurée qu’à l’habitude, et ce, dans un contexte où nous aurions pu nous attendre à ce que ce soit tout le contraire. Toujours aussi énergique, la facture esthétique de ce dernier repose ainsi beaucoup moins sur l’utilisation d’effets de style et de montage racoleurs, lesquels auront amputé plus d’une scène dans les plus récents efforts du réalisateur. Ce sera du moins le cas jusqu’à cette séquence finale tout à fait banale sur papier où, pour aucune raison valable, Scott et son directeur de la photographie Ben Seresin commettront soudainement toutes les erreurs visuels qu’ils avaient pourtant su éviter de belle façon durant les moments les plus mouvementés. Évidemment, rendu à ce point dans le récit, un tel écart de conduite sera loin d’être suffisant pour faire de l’ombre à tout ce qui avait si bien fonctionner auparavant.
Unstoppable ne prétend donc d’aucune façon être autre chose qu’un simple tour de montagne russe et à cet effet, nous devons bien reconnaître que le film de Tony Scott remplit allègrement son mandat. De son côté, l’excellent duo formé de Denzel Washington - qui en est déjà à sa cinquième collaboration avec le Britannique - et Chris Pine, dont le charisme demeure en soi idéal pour ce genre de rôles, supporte avec fougue les différents enjeux dramatiques du récit. Le cinéaste prendra d’ailleurs tout le temps nécessaire pour s’immiscer dans le quotidien ordinaire de ses protagonistes afin de créer un contraste particulièrement prononcé entre leur situation de départ et le défi auquel ils devront faire face. Et comme c’est souvent le cas chez Tony Scott, la présente intrigue sera enveloppée du strict minimum de préoccupations humaines afin de conférer un sens beaucoup plus profond aux actions des principaux personnages, qu’il s’agisse de la relation entre un père veuf et ses deux filles, ou à la situation conjugale plutôt houleuse de notre jeune conducteur. Celle-ci s’avère d’ailleurs claquée sur celle du personnage qu’interprétait Will Patton dans le Armageddon de Michael Bay alors que Will Colson devra lui aussi jouer les héros avant de pouvoir être enfin réconcilié avec sa petite famille. Évidemment, Unstoppable demeure une production face à laquelle il faut savoir modérer ses attentes. Mais l’exercice démontre néanmoins un réel signe d’accalmie chez un Tony Scott qui essaya parfois d’en faire beaucoup trop ces dernières années en s’inspirant de ce qui se faisait alors dans le domaine du vidéoclip. Le réalisateur semble ainsi avoir compris jusqu’à un certain point qu’une bonne mise en scène ne passe pas forcément par un amas de pirouettes visuelles. Espérons maintenant qu’il continuera de mettre cette leçon en pratique et que cette réussite ne se révélera pas l’exception qui confirme la règle.
Critique publiée le 16 novembre 2010.