Mystery, Alaska (1999)
Jay Roach
La ville est hockey
Par
Jean-François Vandeuren
Les premières images de Mystery, Alaska s’avèrent des plus éloquentes. La caméra de Jay Roach (Austin Powers) et du directeur photo Peter Deming (Mulholland Dr.) esquisse alors les traits de cette région fictive comme si elle cherchait à établir les bases d’un conte ou d’une fable, mais au coeur d’une réalité toutefois bien concrète. Un jeune hockeyeur patine ainsi à vive allure sur un cours d’eau gelé. L’épicier du coin profite de ses moindres moments de répit pour lancer quelques rondelles au filet dans la cour arrière du magasin. Les habitants de cette petite ville ensevelie sous plusieurs centimètres de neige circulent sur les trottoirs en patins. Le tout tandis que l’imposante bande originale de Carter Burwell vient conférer un souffle on ne peut plus épique à ses différents tableaux. Nous nous retrouvons donc dans le village isolé de Mystery, où tous les citoyens semblent être nés avec des patins dans les pieds et n’avoir d’yeux que pour le hockey sur glace. Toute la population brave ainsi le froid chaque samedi après-midi pour assister à la joute hebdomadaire opposant les meilleurs éléments de la région. Les deux équipes sont alors déterminées comme lors d’une partie amicale, les bâtons des joueurs étant envoyés d’un côté ou de l’autre de la patinoire. Un beau jour, un producteur ayant jadis quitté Mystery pour faire carrière dans la Grosse Pomme (Hank Azaria) publiera un long article dans le magazine Sports Illustrated vantant les qualités athlétiques des gens de son village natal. Le reportage attirant rapidement l’attention des hauts dignitaires de la Ligue Nationale de Hockey, notre promoteur vedette effectuera un retour remarqué en Alaska en apportant avec lui une proposition de match d’exhibition qui opposeraient les meilleurs hockeyeurs de Mystery à la formation des Rangers de New York.
Le plus grand risque que courra cette petite localité en s’embarquant dans une telle aventure sera évidemment de perdre à tout jamais sa fierté et ses illusions. Car si l’équipe professionnelle à laquelle leurs représentants croient pouvoir se frotter venait à les battre à plate couture, il ne serait pas question ici que d’une simple défaite : Mystery perdrait littéralement son âme. Un danger que soulèvera d’entrée de jeu notre figure froide et autoritaire de service - et juge par-dessus le marché - interprété ici par un Burt Reynolds particulièrement efficace. Mais l’intervention de ce dernier sera loin d’être suffisante pour refroidir les ardeurs de ses concitoyens. C’est d’ailleurs ce qui différencie le film de Jay Roach de la plupart des autres essais du genre, dans lesquels une formation aux prises avec divers problèmes internes devra d’abord apprendre à faire face à l’adversité avant de pouvoir espérer atteindre les plus hauts sommets de sa discipline. L’idée de génie aura été dans ce cas-ci de lier directement les obstacles que nos valeureux hockeyeurs auront à surmonter au monde du hockey, que ce soit par rapport au système de jeu employé, aux règlements en vigueur ou au calendrier de l’équipe visiteuse. Ce microcosme à l’intérieur duquel les rumeurs circulent à la vitesse de l’éclair prendra ainsi la forme d’une véritable franchise sportive avec tout ce que cela implique, du fanatisme des amateurs à une mairie agissant à titre de haute direction de l’équipe en sélectionnant les joueurs qui pourront prendre part au fameux match du samedi après-midi. Un concept qui permettra d’autant plus au présent exercice d’illustrer de belle façon une réalité on ne peut plus commune dans l’univers du sport alors que le légendaire vétéran John Biebe (Russel Crowe), n’étant plus aussi performant que lors de ses belles années, sera invité à accrocher ses patins pour laisser sa place à une nouvelle recrue des plus prometteuses.
Les scénaristes David E. Kelley et Sean O’Byrne ont donc visiblement fait leurs devoirs, approchant leur sujet en pleine connaissance de cause, et ce, autant lorsque l’action se déroule en dehors de la patinoire que lorsqu’elle se transporte finalement sur la surface de jeu. D’ailleurs, si vous aviez toujours rêvé secrètement de voir Russell Crowe vous expliquer le système de la trappe à l’aide d’une poignée de pommes de terre, les deux auteurs auront su exaucer votre souhait de brillante façon avec Mystery, Alaska. Le duo aborde ainsi les différents enjeux de son récit sur un ton qui s’avère toujours juste, ne cherchant jamais à créer de situations humoristiques là où il ne devrait pas y en avoir ou, à l’opposé, à traiter l’ensemble d’une manière trop mélodramatique. L’univers de Mystery et de ses habitants ne semble donc pas avoir été édifié à partir de simples généralités et il finit par émaner du scénario de Kelley et O’Byrne une humilité que la mise en scène de Jay Roach exprime aisément à l’écran. Ces derniers se permettront d’ailleurs de lancer quelques flèches en direction des médias de masse qui, de leur côté, tenteront de présenter le village comme un lieu figé dans le temps, en plus de l’associer systématiquement - et à tort - aux premières nations. Le scénario de Mystery, Alaska n’impressionne évidemment pas tant par sa profondeur ou son originalité, mais plutôt par sa rigueur et cette réelle volonté d’aller au bout de son concept et de ses problématiques. Des qualités que nous retrouvons également dans une facture esthétique tout ce qu’il y a de plus compétente, notamment au niveau sonore, et qui s’avère particulièrement précise et exaltante lors des diverses séquences de match. Roach et son équipe illustrent tout aussi allègrement le climat glacial régnant sur leur environnement tout en insistant constamment sur le fait que c’est sa chaleur humaine qui le caractérise avant tout.
Mystery, Alaska est évidemment loin d’être un film parfait. Le duo Kelley-O’Byrne a d’ailleurs tendance à ne pas traiter avec autant de conviction les situations dramatiques n’ayant pour but que d’alimenter le récit en dehors de ses considérations d’ordre sportive et sociale. Nous pourrions ainsi remettre en question la manière dont les scénaristes s’acquittent de cette tâche en ne se contentant bien souvent que de récupérer certaines pistes narratives on ne peut plus éculées sans nécessairement chercher à y ajouter leur grain de sel. On pense, entre autres, à cette opposition entre un père et son fils qui ne semble jamais en faire assez à ses yeux, ou à la jalousie qui s’installera petit à petit dans l’esprit de John Biebe suite au retour d’une ancienne flamme de sa femme. Le tout sans compter la faiblesse de quelques répliques échouant à produire les effets comiques escomptés. Et pourtant, il s’agit là de bémols somme toute assez mineurs que nous serons prêts à pardonner sans problème aux artisans du présent effort étant donnée la façon plus que satisfaisante dont ils auront su orchestrer cette aventure dans son ensemble, proposant en bout de ligne suffisamment de séquences saisissantes pour satisfaire pleinement son auditoire. Car il se dégage une réelle sincérité de cette histoire de David contre Goliath dans laquelle les rôles ne sont jamais entièrement définis. Une candeur que Roach et ses acolytes vont également chercher dans l’interprétation de Russell Crowe, Burt Reynolds et de leurs covedettes, qui se retrouvent évidemment ici dans la peau de personnages typés, mais auxquels ils insufflent tous suffisamment d’énergie, de qualités et de défauts pour les rendre attachants, voire simplement humains. Comme quoi il est encore possible de produire de belles choses lorsque la passion est au rendez-vous, même si cela signifie parfois travailler avec des matériaux particulièrement usés…
Critique publiée le 6 novembre 2010.