Une hygiène de la cruauté
Par
Alexandre Fontaine Rousseau
La récurrence du fondu enchaîné crée dans Confessions un effet d'apesanteur qui peut paraître contradictoire, compte tenu de la gravité générale de cette histoire de meurtre et de vengeance sur fond d'adolescence trouble. Il serait facile, trop facile sans doute, d'accuser Tetsuya Nakashima de prêcher par excès d'esthétisme; mais c'est un questionnement qu'il est essentiel de soulever afin de parler sérieusement d'une oeuvre qu'il serait dangereux d'embrasser trop rapidement. Confessions est un film compliqué, extrêmement moralisateur et nihiliste à la fois, qui séduit tout en répugnant. Sa surface léchée, lisse comme celle d'un miroir, reflète au fond l'aseptisation émotionnelle d'une société qui, en s'éloignant de la morale elle-même, semble avoir oublié le sens de la souffrance et de l'horreur. Voici la raison même pour laquelle Confessions est un film terrifiant : sa lucidité le pousse vers cette esthétique du vide qu'il cultive avec une insistance frôlant l'indécence. Puisqu'il n'y a pas, comme chez Haneke par exemple, de mise en scène directe de cette médiatisation désensibilisante, on est en droit de se demander dans quelle mesure l'effet est contrôlé, conscient, maîtrisé. Car maîtrise de l'image et éthique de l'image, c'est là sans conteste l'un des grands enjeux du septième art, ne vont pas nécessairement de pair et peuvent même au contraire se contredire.
Si Confessions est un film difficile à juger, c'est en partie parce qu'on se demande jusqu'à la toute fin s'il saura faire les choix nécessaires pour être réellement « moral » plutôt que simplement moralisateur. Cela fait partie du suspense, de la fascination qu'exerce l'objet sur son public. C'est presque un jeu, une arrogance de cette mise en scène consciente de jouer avec le feu. L'image clinique désinfecte la violence tandis que la musique domine les émotions, l'ensemble du film se déroulant dans une atmosphère d'homogénéité tempérée qui n'est (on ne l'apprendra que plus tard) qu'une illusion malsaine. Comme si ses protagonistes avaient finalement perdu tout rapport d'empathie avec le monde, toute capacité d'un contact authentique avec l'autre, Confessions nous fait sans relâche la démonstration d'une infinie cruauté sur le mode neutralisant de l'hyperesthétique. Cette forme trop ordonnée se veut l'écho cinématographique de la rationalisation démente qui, dans le film de Tetsuya Nakashima, rend l'horrible possible. Cette forme à la mode n'est pas seulement celle de la désaffection cultivée, mais aussi de l'émotion surfaite perdant toute résonance profonde.
C'est à cette double hypocrisie que s'attaque Confessions : d'un côté celle de ceux qui feignent l'indifférence, et de l'autre cette compassion simulée qui s'installe au fil du récit dans cette classe unifiée par un terrible secret. L'insistant maniérisme de la mise en scène impose un univers où les sentiments se fabriquent aisément, où les belles valeurs ne résultent au fond qu'en de beaux discours. Avec un malin plaisir, le réalisateur de Kamikaze Girls nous assène de longues tirades sur l'importance de la vie tout en la minimisant très manifestement par tous les moyens que met à sa disposition le langage cinématographique. La toute première séquence donne le ton, glacial et cynique : une enseignante explique avec un calme sinistre à ses élèves que sa fille a été tuée par deux d'entre eux, que deux des cartons de lait ont été infectés avec le virus du VIH afin de forcer les coupables à réfléchir aux conséquences de leurs actes. Comme si sa vengeance avait été élaborée à des fins pédagogiques, cruelle, mais éclairée. La classe accepte cette condamnation avec une étonnante résignation. Lentement, elle se met à son tour à « appliquer » le jugement en maltraitant les enfants responsables du crime. La torture devient pour le groupe un moyen d'occulter le drame.
Viendront par la suite s'entremêler les différentes « confessions » du titre, qui permettront de cerner plus précisément les événements ayant menés à cette tragique situation : un casse-tête dont les pièces s'imbriquent savamment afin de monter, plutôt qu'un procès en bonne et due forme, un portrait qui, tout en s'avérant parfaitement outrancier, demeure étrangement crédible. La question qu'on se pose constamment, c'est à savoir si le film de Nakashima en fait trop; s'il abuse de la musique, pousse trop loin sa démesure mélodramatique, condamne avec trop de véhémence « les jeunes » en les accusant d'une indifférence si nettement hyperbolique. Mais Confessions est justement une fable, exagérée par définition - qui ne pouvait être cohérente qu'en embrassant jusqu'au bout son pessimisme. D'où la méchanceté carnassière de sa conclusion, l'implacable cynisme de ce commentaire final formulée par l'enseignante qui, une fois sa vengeance accomplie (et la visée morale de celle-ci révélée), rejette à l'aide d'une simple plaisanterie la prétendue vertu de sa sadique croisade. Confessions est une oeuvre férocement fielleuse, sceptique quant à l'honnêteté de sa propre démarche, qui vise d'abord à choquer. Mais en poussant cette hygiène de la cruauté jusqu'à sa résolution logique, Nakashima accouche d'une oeuvre honnêtement extrême - qui provoque vraiment, et n'hésite pas à provoquer jusqu'au bout.
Critique publiée le 20 octobre 2010.