Legend of the Guardians: The Owls of Ga'Hoole (2010)
Zack Snyder
La griffe et la plume
Par
Mathieu Li-Goyette
Les hiboux s’éloignent, soleil couchant, de l’arbre des gardiens Ga’Hoole. Leur petite contrée est sauvée, les « sang-purs » ont été vaincus, le frère corrompu de Soren est encore vivant tandis que ce dernier devient le nouveau héros de ses jeunes confrères. Pour en arriver là, une longue aventure semée d’embûches, la maîtrise d’un pouvoir mystérieux, la rencontre d’un vieux sage (son idole de jeunesse), la traîtrise de son propre sang (son frère), la rescousse de sa petite soeur, la rencontre de coéquipiers spécialisés (un barde, un éclaireur, une nourrice, etc.) et même un intérêt amoureux – heureusement peu développé ici. En dehors de sa facture classique à en somnoler, Legend of the Guardians porte jusqu’à sa moindre plume la griffe de son créateur Zack Snyder, concepteur de belles formes plutôt qu’auteur. Après les sorties remarquées de Dawn of the Dead, 300 et Watchmen, celui à qui l’on destinait bientôt l’étiquette de recycleur invétéré d’art populaire (de Romero aux bandes dessinées) a fait un petit projet « sur le côté » comme on dit. Un film de hiboux batailleurs. Et un bon.
Dès le départ, à suivre le hibou traverser les glorieuses lettres d’un générique digne de celui d’un Harry Potter (« hiboux », « magie » et « quête » obligent), on saisit rapidement, dès la première plume laissée derrière son passage, que Snyder n’a au moins pas chômé entre l’ambitieux Watchmen et ses prochains Sucker Punch, Superman et autres babioles musclées aux contrastes abusés. La plume ralentit, la caméra aussi, un « temps Snyder » se reconnaît facilement. C’est celui, à bien y penser, des grosses bagnoles dérapant, des pneus striant les flaques d’eau d’un « circuit fermé ». Mais qu’importe, car l’héritier de Michael Bay (quoique moins excessif et plus axé sur la culture « geek ») signe ici un film d’animation pour enfants qu’il faudrait être débordant de mauvaise volonté pour tasser si rapidement du revers de la main. Le plaisir de la 3D - fixer notre regard sur un objet centré autour duquel défile un décor dans lequel on plonge autant que de voir nous gratouiller le nez protubérances animalières de créatures nocturnes - et l’utilisation que l’on en fait ici rend à la technologie ses lauriers... Sans oublier de souligner sa nécessité lors de quelques passages forts impressionnants : le tourbillon d’eau dans lequel virevolte Soren, la tempête de feu, les combats aériens où serres et plumages se percutent comme bronze et abdominaux s’éreintaient dans 300.
Outre ces joyeuses folies, c’est le plumage de ces grands oiseaux qui retient le plus souvent notre attention avec ces méticuleux calculateurs et infographistes qui s’y sont visiblement affairés si longtemps. Ondulant dans le vent, à travers la tempête et recevant chaque gouttelette comme autant de déflagrations, la minutie maniaque des artisans du studio responsable d’Happy Feet, Animal Logic, a de quoi renverser. Après le pelage des pingouins, c’est en effet des animaux plus sévères qui reçoivent les grands soins de l'image de synthèse dans cette seconde création. Hiboux, chouettes, couleuvres, porc-épics, oisillons et chenilles sont parmi les petites choses de la forêt boréale trouvant place dans le conte de l’écrivaine Kathryn Lasky (responsable des quinze volumes de la série - ce premier volet au cinéma synthétise les trois premiers), dont la volonté pédagogique s’attarde principalement à la diversité des espèces représentées et à l’enseignement de quelques morales bonnes à inculquer.
Ainsi, à l’écrit, les différentes espèces de la race des hiboux sont clairement définies. Les distinctions entre la chouette et son énorme homologue sont établies tout comme leurs écosystèmes respectifs. En jouant les botanistes et zoologues du dimanche, Lasky avait là un projet parfaitement dosé pour Animal Logic, pour qui, prenons le nom de la compagnie de production comme indice, le souci d’exactitude en ce qui a trait de la reproduction d’animaux fait figure de priorité. Tandis que le documentaire animalier connaît une régénération soudaine due à la haute définition de salon et bientôt à l’arrivée de la 3D à la maison, le phénomène se prolonge avec le cinéma d’animation. Ne rechignant plus devant ces films « artificiels », les transferts de la pellicule au disque voient de moins en moins de réduction quant à la définition des images lorsque l’on parle d’une édition Blu-Ray de Wall-E. Tout comme les rééditions des classiques de Disney éclipsent la concurrence des autres produits certifiés HD, l’image animée semble valoir, pour le spectateur, sa pleine valeur lorsqu’elle est vue à la maison. Ainsi, nombreux sont les films en images de synthèse à connaître de douloureux débuts en salles (excluons la toute-puissante Pixar de l’équation) et qui connaissent un succès sur vidéo. Si l’on s’en tient à un exemple du même studio, Happy Feet, avec son budget de plus de 100 millions de dollars et ses premières recettes de quelques 45 millions (qui cumuleront jusqu’à 200), c’est au fil de l’année suivante et de sa sortie Blu-Ray que l’oeuvre aura rapporté un autre 200 millions en date de l’année 2009 aux investisseurs d’Animal Logic, leur permettant d’agrandir une équipe qui se prépare déjà à la sortie du deuxième volet sur les pingouins.
Dernier point pour en finir avec ces mathématiques improvisées et ce « hibou opéra » (puisqu’il l’est, comme Star Wars était un opéra de l’espace : la structure narrative de l’un et de l’autre correspondent parfaitement - coquin, ce Snyder), si les exploits techniques du film (trame sonore originale, qualité des faciès, beauté des chorégraphies) et ses quelques moments comiques suffisent amplement à convaincre le jeune public comme le plus vieil auditoire de se déplacer (dépêchons-nous, avant qu’ils ne confinent l’animation aux salons!), il n’en demeure pas moins qu’il manque à Snyder la tendresse nécessaire à la réalisation des scènes romantiques ou familiales (les moments amoureux de Watchmen n’étaient-ils pas les plus décalés?). Pour insuffler la vie à ces grands-ducs et ces harfangs, ses prouesses acrobatiques ne suffisent pas. C’est pourtant simple : quand Wes Anderson donne vie à des poupées animées, elles deviennent plus vraies que les renards du Discovery Channel. Snyder, quant à lui, a une grosse griffe, une grosse serre qui découpe le film selon ses désirs esthétisants et qui, sans une bonne plume (pas celle qui écrit le scénario, mais bien celle qui écrit via la mise en scène), prend un sens des plus limités.
Entre le documentaire animalier de luxe produit par la BBC et Legend of the Guardians, il n’y a qu’une centaine d’informaticiens qui séparent un fantassin du numérique de l’autre. Ensuite, si l’homme en est aujourd’hui à voir dans ces oeuvres un paysage idéalisé et des formes de vie de mieux en mieux filmées, c’est parce qu’il y a là une assurance que la planète ne va pas « si mal », que la biosphère survit bien mieux en HD qu’en VHS. Probable que le réel serait bien plus laid si nous enlevions nos lunettes.
Critique publiée le 18 octobre 2010.