DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Buried (2010)
Rodrigo Cortés

La pire journée au monde

Par Maxime Monast
Un cercueil, un homme, un cellulaire et quelques autres objets. Voici la liste des éléments que l’on retrouve dans Buried, le deuxième long métrage de Rodrigo Cortés. L’exemple d’un huis clos par excellence. Ce concept se retrouve d’ailleurs au centre de la genèse du présent projet. Sans cette idée, le « seulement un cercueil », le film n’existerait pas. Le but ici est de partir de ce coup de théâtre pour ensuite en construire les pivots narratifs. Par contre, il ne faut pas chercher à offrir autre chose que la prémisse initiale. Si l’on avait changé de lieu à mi-parcours, l’effet aurait été désastreux. Mais, à l’opposé, si Cortés avait seulement utilisé cette astuce, l’oeuvre n’aurait pas eu l’impact espéré. Ici, on tente de nous donner la chair de poule en nous enfermant dans cet espace restreint. Claustrophobes s’abstenir. Cortés reprend ainsi des moments et des idées de films récents comme Panic Room de David Fincher et The Descent de Neil Marshall tout en les minimisant à l’extrême. Mais le jeu ne tient pas uniquement qu’à cela. Il rassemble des traits qui s’associent de manière symbiotique. Loin d’être parfait, ce récit demeure néanmoins l’un des plus mémorables de l’année en cours.

Se réveillant à l’intérieur d’un cercueil avec seulement un briquet et un cellulaire en sa possession, Paul Conroy (Ryan Reynolds) essaie de garder son sang-froid. Le conducteur de camion comprend très vite qu’il a été pris en otage au cours d’une livraison en Irak. Ultimement, il devra trouver un moyen d’amasser cinq millions de dollars pour que ses ravisseurs le laissent sortir. L’oxygène se fait rare et la pile de son cellulaire est de plus en plus faible. Évidemment, Paul fera tout ce qui est en son pouvoir pour sortir vivant de cette funeste aventure. 

Au cours de ces 95 minutes, nous assistons à une course contre la montre en temps réel tandis que notre héros doit faire face à cette situation des plus intenses. Le film s’articule autour d’une simple question : que feriez-vous à la place du protagoniste? Car l’une des seules façons d’amplifier la force de frappe du présent effort était de faire en sorte que le public éprouve de la compassion pour le personnage principal. Mis à part quelques petits détails sur sa vie, nous avons accès aux mêmes informations que lui. Nous suivons sa progression au même rythme. Ce type d’approches narratives crée un lien profond entre le spectateur et l’histoire. Plusieurs films on fait l’essai de se dérouler en temps réel, dont le Snake Eyes de Brian De Palma qui jouait avec le même style de suspense - ce lien repose sur leurs situations uniques, certes, mais aussi en majeure partie sur le charisme de notre héros. Ici, en choisissant Ryan Reynolds pour incarner Paul Conroy, Cortés a frappé dans le mille. Même si l’acteur canadien connaît un succès international grâce à ses rôles dans des productions hollywoodiennes, il était le candidat parfait pour jouer cet otage. Reynolds est capable d’incarner l’image d’un type simple et normal. C’est pourquoi ce rôle lui va à merveille. Le spectateur n’a pas de difficulté à croire à son histoire et à sa vie de camionneur. C’est donc avec ces deux associations, des lanières narratives, que Buried réussit à enivrer son auditoire.

Ce genre claustrophobe touche une veine particulière dans les démarches cinématographiques. Cortés et son équipe doivent d’ailleurs une importante partie de cette créativité au Lifeboat d’Alfred Hitchcock, dans lequel neuf passagers pris dans un canot de sauvetage étaient laissés à leurs propres sorts. Le présent effort ressemble aussi à cet autre film de 2010 exploitant un espace particulièrement restreint, soit le sous-estimé Devil de John Erick Dowdle. Mais si ce dernier jouait la carte de la désinformation et de la mauvaise représentation pour alimenter le cours de l’intrigue, c’est tout le contraire qui se produit dans Buried. L’apprentissage est mis de l’avant. La désinformation et les mensonges ne résonnent pas aussi fort que dans les films cités plus haut. Par contre, il est clair que l’approche de Cortés se colle à  l’effet de suspense tant peaufiné par le maître. Dans cette recherche, le réalisateur espagnol met en pratique plusieurs leçons qu’il a visiblement apprises de la filmographie d’Hitchcock. La sympathie et le quiproquo, faisant écho à The Wrong Man et North by Northwest, forment les racines du personnage de Paul Conroy. Bref, l’esprit du maître du suspense est honoré dans ce film où le cercueil se révèle aussi important que son « locataire ».

D’un point de vue purement technique, Buried est un triomphe. Son directeur photo, Eduard Grau, maîtrise son art. Reconnu pour son travail sur A Single Man de Tom Ford, le défi qu’attendait Grau pour ce long métrage était à la fois un rêve et un cauchemar. Avec un seul emplacement et quelques compositions avec lesquels travailler, Cortés et Grau réussissent pourtant à forger une évolution dans l’image du film. Grâce à son briquet et sa lampe de poche, le protagoniste a plusieurs moyens pour s’éclairer. La chaleur et la couleur de l’intérieur du cercueil sont du coup en constante transformation. Même si des plans se répètent au cours du récit, l’auditoire en est très peu conscient. Le tout semble toujours différent. Une autre façon employée par les deux artisans pour dynamiser le cours des choses se sent dans les mouvements de caméra. Le dispositif est en perpétuel déplacement, passant des zooms à  des changements d’angles radicaux. Souvent, avec les coupes au noir, on s’approche de plus en plus de la victime. Les changements sont fréquents et la tension est haute. Ici, on emploie ces procédés pour répondre à la contrainte du lieu. À l’exception de quelques ralentis forcés, l’atmosphère visuelle est complète. On aurait pu croire que l’unique lieu poserait un problème par rapport au rythme du film. Heureusement pour nous, ces artifices fonctionnent à merveille et Buried réussit à capter et à conserver l’intérêt du spectateur.

Vers la fin du récit, Paul Conroy aura épuisé toutes ses ressources. Il finira par accepter d’être prisonnier de ce cercueil. Réussira-t-il à s’en sortir? Cette question trotte dans notre esprit durant tout le film. Chose certaine, même si le cercueil est si petit, l’espace traversé par Buried, lui, est des plus vastes. Des commentaires politiques aux magouilles corporatives, notre héros est confronté à des situations beaucoup plus sérieuses que celle d’être simplement enfermé dans un minuscule cercueil. L’emprise et l’intelligence que génère l’effort font de ce suspense une aventure provocatrice. Astuce ou bagatelle, on ressort de cette expérience avec une nouvelle vision de ce qu’il est possible de faire avec une si grande contrainte d’espace. Une restriction qui s’impose ici comme la lumière créatrice de ce petit bijou.
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Critique publiée le 9 octobre 2010.