DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Let Me In (2010)
Matt Reeves

Une deuxième fois

Par Maxime Monast
Ô la peur du remake! À chaque fois qu’un studio américain décide de refaire votre film étranger préféré (et ça arrive souvent), vous criez au meurtre. « Ils vont détruire ce que j’aime de l’original ». « Ils vont prendre un acteur hyper populaire ».  « Ils vont changer l’histoire »… Des phrases que vos amis ont probablement déjà hurlées à haute voix. Mais qu’arrive-t-il lorsqu’un remake est bien fait, respectueux et même égal à l’original? Impossible vous dites? Il y a quelques années, The Departed s’imposait comme l’une des premières relectures acceptées. On oubliait d’ailleurs très vite que le film de Martin Scorsese marchait dans les traces du Infernal Affairs de Lau Wai-keung et Alan Mak. Dans cet exemple, le film réussissait à conserver l’essence de l’original en le transposant dans un nouvel environnement, le Boston tant chéri par Scorsese. Plusieurs estimaient que la touche du maître américain aidait énormément : son approche et ses choix étaient toujours judicieux et modérés. Bref, il savait ce qu’il avait à faire.

C’est ce qui nous amène à ce Let Me In de Matt Reeves. Avec cette deuxième adaptation cinématographique du livre Let the Right One In du suédois John Ajvide Lindqvist, l’Américain se voyait confier l’immense tâche de plaire à deux publics : celui du film de Tomas Alfredson et celui du roman. Les deux sont des critiques féroces. Sorti en salles en 2008, Let the Right One In fut acclamé par les médias. Dû à l’accroissement des histoires de vampires (ce ne sont pas les exemples qui manquent), les spectateurs sont devenus des experts en la matière. La mythologie et les archétypes de ces créatures de la nuit sont maintenant des banalités pour la populace. Dans cette marée, Let the Right One In occupait une place privilégiée par rapport aux autres histoires de vampires. On en avait décidément fini avec les buveurs de sang amoureux et poétiques. C’est pourquoi, en voulant réaliser une nouvelle version, Reeves avait tout à perdre. Des légions d’admirateurs en furie. Les mauvaises connotations avec le mot remake. Bref, n’importe quel faux pas serait la fin pour le réalisateur de Cloverfield.

Dans une petite ville du Nouveau-Mexique, Owen (Kodi Smit-McPhee) trouve la vie difficile. Harcelé par ses camarades de classe, il passe son temps seul. Mais sa vie basculera le jour où Abby (Chloë Grace Moretz) et son « père » (Richard Jenkins) emménageront dans l’appartement à côté de celui où vivent Owen et sa mère. Très vite, les deux enfants se lieront d’amitié. Une relation qui mènera à plusieurs découvertes sur les nouveaux voisins d’Owen. Au même moment, la ville sera submergée par des meurtres étranges.

Sans trop vous vendre la mèche, le but premier de Let Me In n’est pas de proposer une meilleure adaptation du roman. Ici, on tente simplement d’exposer cette histoire à un plus large public. Cette idée est souvent au centre du remake - les gens ont peur des sous-titres et des langues étrangères, je suppose. Le travail de Reeves est donc celui d’un médiateur. Il passe son temps à conjuguer le désir populaire et les attentes des convertis. Contrairement à plusieurs réalisateurs en charge de ce genre de projets, il doit décider quel genre d’approche prôner. D’un côté, il peut imposer sa vision, ses nouvelles contraintes, pour rendre l’oeuvre plus personnelle. Ceci mène souvent à une distorsion de l’histoire originale. De l’autre, comme nous l’avons expliqué avec The Departed, il peut garder l’essence du film d’origine en la déplaçant légèrement. Même si l’on change ici de lieu, de la Suède au Nouveau-Mexique, ce qui anime les personnages demeure sensiblement pareil. Les enjeux et les tensions gardent leur impact initial. Dans ce cas, il est plausible d’affirmer que Reeves avait une idée précise pour Let Me In. On retrouve assez de références au film d’Alfredson pour satisfaire ses détracteurs et de nouveaux éléments dans la même veine du récit - l’incroyable bande sonore de Michael Giacchino est un bon exemple. Bref, un simple technicien aurait seulement gardé l’atmosphère visuelle et n’aurait jamais été capable de récréer la substance de la source d’origine. Un rare tour de force dans ce cas-ci.

Reeves concentre le récit sur un point très judicieux. Comme dans Let the Right One In, il garde les deux enfants au coeur du spectacle. Leurs histoires et leurs dénouements sont d’une importance capitale. Si l’auditoire n’est pas capable de se lier à Owen et Abby, le récit ne tient plus debout. Il me paraît difficile de construire une histoire sur un simple mythe, même un aussi surexploité et familier que celui du vampire. Si cet opus n’avait pas eu de préoccupations humaines et réelles, le tout serait tombé à plat. Heureusement, Reeves comprend cette astuce dès les premières minutes. Nous sommes collés à la vision d’Owen. Ce récit est bel et bien le sien. Lorsqu’Abby se joint à lui, c’est là que les enjeux prennent de l’importance. L’unité est la clé dans le roman de Lindqvist. Sans elle, rien ne progresse. On sent l’importance de cette union, qui offre aussi des embûches calculées dans l’histoire - lorsqu’Owen veut faire un pacte de sang avec Abby ou bien lorsque celle-ci le rejoint à la piscine. L’amitié et l’amour que Reeves fait vivre à travers le récit réussissent à immerger l’auditoire dans ce monde sombre et complexe.

À l’instar de ce choix narratif, les deux jeunes acteurs deviennent aussi centraux que leurs personnages. Kodi Smit-McPhee (The Road) et Chloë Grace Moretz (Kick-Ass, (500) Days of Summer) méritent autant d’éloges que les deux acteurs du film d’Alfredson. Les nuances dans leur jeu sont énormes. Leurs personnages sont des êtres renfermés dissimulant des secrets et de graves pulsions. D’une part, Smit-McPhee doit s’assurer de transmettre sa solitude et son désespoir sans une once de pathétisme. Ici, il est la victime. De l’autre côté, Moretz incarne la reine de la déception. Elle cache un secret qui hante son existence. Une tâche difficile, de par son ampleur, qui doit perdurer chez elle. Tout au long du film, l’amitié entre les deux enfants reste, dans notre esprit, une ruse d’Abby. Une amitié pour ces pulsions meurtrières? Devant la complexité de leurs personnages, les deux acteurs s’en tirent d’une manière noble. Leur jeu ancre le spectateur et guide Let Me In vers la relecture de haut calibre que l’on attendait. Subséquemment, le même genre de compliments s’applique aux deux acteurs de soutien, Richard Jenkins et Elias Koteas dans le rôle du détective. Deux acteurs au talent inouï, ils parcourent ce récit en y laissant une empreinte mémorable, et ce, même si leurs personnages se révèlent encore plus timides que les enfants.

En somme, Let Me In ne peut être ignoré. Il fait partie de ces rares exemples de remake réussissant à tenir tête à l’original. Même si plusieurs cinéphiles trouvent qu’une telle production est en soi inutile et irrespectueuse, vos protestations n’arrêteront jamais la machine hollywoodienne de produire ce genre d’opus tant profitables. Par contre, vous pouvez vous consoler en vous disant que quelques-uns de vos films étrangers favoris sont entre de bonnes mains. Hammer Film, Ouverture Films et Matt Reeves ont rempli leur devoir et ont su recréer ce récit pour un public plus vaste. Mais ils ont surtout réussi à le faire correctement. D’une pierre deux coups.
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Critique publiée le 1er octobre 2010.