DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Mesrine: L'ennemi public n°1 (2008)
Jean-François Richet

Suite et fin

Par Jean-François Vandeuren

Ce n’est qu’à la suite du visionnement de cet Ennemi public n°1 que nous pouvons réellement comprendre la structure narrative du premier épisode de la saga Mesrine, L’instinct de mort, sans pour autant en excuser les nombreuses imperfections. Le cinéaste Jean-François Richet et son complice Abdel Arouf Dafri (qui participerait par la suite à l’écriture du brillant Un prophète de Jacques Audiard) ne nous auront finalement proposé au terme de ce premier volet qu’une introduction parfois longue et laborieuse, mais néanmoins nécessaire, aux frasques étalées dans le présent exercice. Le duo n’arrivait alors pas toujours à bien équilibrer un récit des plus elliptiques afin de relater de façon captivante les débuts tumultueux du personnage tout comme la marque qu’il allait laisser sur la scène criminelle française et québécoise. Il fallait d’ailleurs passer à travers près de la moitié du film avant de voir celui-ci enfin adopter un certain rythme de croisière. Le fameux déclic allait se produire lors d’un séjour en sol montréalais au cours duquel Mesrine allait franchir une nouvelle étape dans son « évolution », après une entrée en matière ayant visiblement retenu quelques leçons des films de gangsters réalisés par Martin Scorsese. L’ennemi public n°1 débute donc en mettant le point final à la séquence d’ouverture de son prédécesseur, revenant sur cette journée fatidique du 2 novembre 1979 au cours de laquelle Jacques Mesrine (Vincent Cassel) allait mourir au volant de sa BMW marron. Le commissaire Robert Broussard (Olivier Gourmet) tente alors tant bien que mal de contrôler la foule de journalistes et de curieux rassemblée autour de la scène (tout en cherchant à se mettre en valeur). Richet et Dafri répéteront ensuite le même stratagème que lors de la première partie en nous ramenant quelques années en arrière afin d’illustrer cette fois-ci les plus célèbres délits perpétrés par Mesrine durant les années 70.

Jacques Mesrine demeure le genre d’individus plus grands que nature dont l’existence était en soi destinée à être recréée un jour pour les besoins du grand écran, lui qui, par le passé, avait d’ailleurs servi de source d’inspiration pour la création d’un certain nombre de personnages de fiction. Une grande gueule dont le charisme n’avait d’égal que l’égocentrisme et qui avait surtout le cran - et les moyens - de passer de la parole aux actes. L’ennemi public n°1 dresse ainsi le portrait d’un génie du crime arrivé à maturité. Un brigand de métier qui ne se résoudrait plus à tenter de dénicher un boulot honnête afin de vivre une petite vie rangée. Un braqueur de banque qui, même lorsque mis aux arrêts, trouverait toujours une façon de recouvrer sa liberté et de recommencer à faire ce qu’il fait de mieux. Le présent effort accorde d’ailleurs une grande importance aux évasions répétées - et pour le moins audacieuses - de ce dernier, notamment en compagnie de son futur complice François Besse (Mathieu Amalric). Il serait évidemment un peu plus difficile d’imaginer Mesrine en train d’accomplir de tels « exploits » aujourd’hui, les systèmes de sécurité utilisés dans les centres d’incarcération et les méthodes employées par les forces de l’ordre sur le terrain ayant passablement évolué en quarante ans. Richet en profite également ici pour témoigner de la façon dont Mesrine réussit à s’attirer la sympathie du public à une époque où les autorités n’avaient pas vraiment la cote, et surtout à lui faire oublier les moyens particulièrement sanglants qu’il prenait parfois pour arriver à ses fins. Une partie significative de ce deuxième long métrage est d’ailleurs consacré à l’intérêt qu’accordait le voleur à sa propre image publique et médiatique, continuant de faire des siennes afin de conserver ce statut d’ennemi public n°1 qu’il chérissait tant tout en sachant pertinemment que sa folle aventure ne pourrait se terminer autrement que dans un bain de sang.

C’est définitivement cette concentration sur des éléments s’assemblant de façon beaucoup plus homogène - sur papier comme sur pellicule - qui finit par donner à L’ennemi public n°1 ce dynamisme et cette consistance qui faisaient si souvent défaut dans L’instinct de mort. Nous pouvions critiquer à cet effet le rythme parfois effréné auquel s’enchaînait les différents chapitres de la vie du brigand sans que ne se forme de véritable cohésion entre chacun d’entre eux. Les deux scénaristes auront fort heureusement su corriger le tir ici en créant une progression narrative impliquant davantage le spectateur dans le parcours de leur sujet tout comme dans le contexte de l’époque dans laquelle ils s’immiscent. Le tout en ne sautant plus continuellement du coq à l’âne et en allouant beaucoup plus de temps d’écran aux divers événements dont leur récit fait état. Il faut dire que les combines énumérées ici s’avèrent aussi de plus grande envergure que celles exposées dans le premier film, elles qui auront réellement fait de Jacques Mesrine la légende qu’il est aujourd’hui. La mise en scène de Jean-François Richet se révèle également beaucoup plus alerte et maîtrisée, comptant sur une direction photo de Robert Gantz se conformant aisément au style visuel des années 70 ainsi qu’une distribution toujours extrêmement convaincante, réunissant cette fois-ci les talents incomparables des Amalric, Gourmet et Ludivine Sagnier. Vincent Cassel demeure pour sa part irréprochable dans la peau du célèbre bandit, exprimant bien l’évolution d’un personnage se révélant moins agressif et plus jovial que par le passé. L’acteur n’éprouve d’ailleurs aucune difficulté à soutenir autant le côté dramatique que celui plus fougueux ou même comique de l’ensemble lorsque la situation le demande, exprimant allègrement la vigueur tout comme l’aisance dont savait faire preuve son alter ego lorsque les caméras et les yeux du public étaient tournés vers lui.

Si notre intérêt pour le protagoniste et son histoire s’accroît beaucoup plus naturellement dans L’ennemi public n°1, il y a tout de même quelques accrochages que le duo ne réussit malheureusement pas à éviter. Le principal problème de la présente entreprise, c’est que deux films de deux heures n’étaient tout simplement pas suffisants pour couvrir l’ensemble des événements ayant marqué la vie d’une figure aussi mythique et complexe. Il est clair également que Jean-François Richet et Abdel Arouf Dafri élaborèrent leur diptyque avec un certain parti pris pour Mesrine plutôt que les forces de l’ordre, comme c’est habituellement le cas dans ce genre d’essais dépeignant le parcours de personnages criminels d’une telle magnitude. Les deux scénaristes ne ratent d’ailleurs jamais une occasion de souligner le pouvoir d’attraction que possédait Mesrine, lui qui aura même poussé son avocate à mettre sa carrière en jeu pour lui fournir les armes qui lui permettraient de s’évader de nouveau de prison. Un traitement aussi favorable est tout de même assez surprenant, en particulier après un premier épisode qui ne se gênait pas pour mettre en évidence les actes barbares commis par le principal intéressé. Si Mesrine n’hésite toujours pas à faire feu lorsqu’il se sent menacé, ce que nous retenons cette fois-ci, ce sont plutôt les images de ce bon vieux Jacques cuisinant pour le milliardaire qu’il a enlevé, celui faisant rigoler l’audience lors de son procès - comme si le duo cherchait à tout prix à légitimer le mode de vie de son sujet. Mais c’est aussi un peu donner au public ce qu’il réclame que de présenter une justice mangeant dans la main de son ennemi et grouillant de peur lorsque celui-ci marche vers eux. Comme si dupés par les rouages de leur propre scénario, Richet et Dafri finirent par faire de Mesrine un martyr, voire un héro, plutôt que de remettre son mythe en question, comme avait pu le faire un certain Steven Soderbergh avec le Che, par exemple.

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Critique publiée le 27 août 2010.