DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Scott Pilgrim vs. the World (2010)
Edgar Wright

Génération Pilgrim

Par Clara Ortiz Marier
En date du 1er janvier 2009, le réalisateur Edgar Wright annonçait sur son blogue qu’il y publierait une photo par jour, et ce, durant toute l’année à venir, afin de partager avec ses lecteurs les événements excitants qui allaient suivre. Ces photos devaient nous permettre de jeter un coup d'oeil curieux sur le quotidien de l'homme derrière Shaun of the Dead, Hot Fuzz et Spaced, série devenue culte auprès de nombreux « geeks » et cinéphiles depuis sa création. Une proposition intéressante pour les adeptes, puisque Wright, qui avait à l'époque officiellement commencé à travailler sur l'adaptation de la bande dessinée Scott Pilgrim, allait ainsi leur donner l'opportunité de suivre les développements quotidiens du fameux projet (distribution, repérages, tournage, etc.).

Qui est Scott Pilgrim, vous demandez-vous? Scott a vingt-deux ans, habite Toronto et joue de la basse dans un groupe avec deux de ses amis, Stephen Stills et Kim Pine. À eux trois, ils forment Sex Bob-omb. Scott est paresseux, émotionnellement maladroit, ne travaille pas et habite dans un minuscule appartement avec Wallace, son colocataire gai, avec qui il partage le même lit faute de mieux. Puis, un jour, la petite vie tranquille de Scott est soudainement bouleversée par une fille, mais pas n'importe laquelle : Ramona Flowers, la fille de ses rêves, rien de moins. Pour être avec Ramona, Scott doit rompre avec Knives Chau, une innocente asiatique de dix-sept ans qu'il avait commencé à fréquenter, un peu pour le plaisir, parce que c'était facile, pas compliqué. Mais le bonheur de Scott et Ramona est vite compromis, car pour être avec la fille de ses rêves, Scott doit d'abord affronter et vaincre les sept ex-petits amis maléfiques de cette dernière.

Certes, le synopsis de base n'est pas renversant de complexité. Mais aux yeux d'Edgar Wright, qui suivait les aventures de Scott Pilgrim depuis le premier tome, la série avait un potentiel exceptionnel. Car à ce canevas aux allures simplistes se rajoute une foule de détails d'une ingéniosité et d'une originalité savoureuses. Ainsi il est presque normal que les adversaires de notre héros aient tous des superpouvoirs, s'engagent dans des combats à la Street Fighter ou disparaissent en une explosion de pièces de monnaie lorsqu’ils sont vaincus. Divers éléments de l'univers du jeu vidéo, de la musique, du cinéma ou même du rêve viennent ainsi s'incorporer au quotidien de Scott, et bien que la série soit ancrée dans la réalité tranquille de la ville de Toronto, Bryan Lee O'Malley parvient à insuffler un côté très ludique à son récit en y incluant une touche de surréalisme propre à ces différents univers. Heureusement pour nous, c'est avec brio que Wright est parvenu à s'approprier l'oeuvre d’O'Malley tout en transposant ces détails à l’intérieur de son film.

Quel que soit le film, la question de l'adaptation est toujours bien délicate et les spectateurs qui connaissent l'oeuvre d'origine sont toujours poussés à la comparaison. Le cas de Scott Pilgrim ne fait pas exception à la règle et le travail d'adaptation était ici considérable. Comment fondre les six volumes composant cette série en un seul film sans passer à côté de l'essentiel, sans dénaturer l'histoire? Surtout considérant que le sixième tome n'était pas encore terminé au moment du tournage du film. Des modifications étaient obligatoires, il restait à voir ce que le réalisateur allait décider de conserver ou d'écarter du récit filmique. Ainsi, il y a six ans, Bryan Lee O'Malley publiait le premier numéro de sa série, sans se douter de ce qui l'attendait. Puis, le 28 août 2009, on apprenait par l'entremise du blogue de Wright que le tournage du film se terminait, laissant place à de longs mois de postproduction. Un travail de longue haleine, car Wright est un perfectionniste et sait ce qu'il veut. Ayant commencé à travailler sur ce projet depuis de nombreuses années, il était prêt à prendre le temps nécessaire pour monter son film et apporter les touches finales à son projet.

Mais le résultat est bel et bien à la hauteur des attentes. Pour ouvrir le bal, un logo pixélisé de la Universal accompagné du célèbre thème de la compagnie, mais cette fois en version 8-bit. Un simple détail qui donne tout de suite le ton au film : l’esprit des vieux jeux vidéo est à l’honneur et sera évoqué tout au long du récit. Puis, dès le générique d’ouverture, le spectateur averti peut déjà commencer à saisir l'ampleur du projet, du film qu'il s'apprête à voir. On ne peut le nier : Edgar Wright sait s'entourer! Les noms s'affichent à l'écran et on remarque déjà quelques collaborateurs importants. Avec Bill Pope à l'image (directeur photo de la trilogie Matrix, Army of Darkness, ainsi que de Spider-Man 2 et 3) et Nigel Godrich en charge de la musique originale (célèbre producteur de Radiohead, Beck, Air et bien d'autres), une bonne partie du film était déjà entre de bonnes mains.

Et alors que les fans de la bande dessinée s'inquiétaient de savoir si Michael Cera (Nick and Norah's Infinite Playlist, Youth in Revolt, Superbad) serait en mesure de bien camper le rôle de Scott Pilgrim, le photoblogue de Wright nous avait permis de constater au fil des mois que le reste des acteurs étaient d'une ressemblance surprenante avec leurs personnages respectifs. Il ne restait qu’à voir si leurs performances seraient aussi adéquates que leurs similitudes physiques. Mais alors que Cera ne tarde pas à anéantir les doutes quant à sa capacité à incarner le héros de l'histoire, le personnage de Ramona (Mary Elizabeth Winstead), si central et magnétique dans les livres de Bryan Lee O'Malley, perd malheureusement de son aura à l'écran. Malgré ce léger bémol, le film repose sur une gamme d'acteurs plus ou moins connus, mais qui se révèlent tous terriblement efficaces, énergiques, et souvent caricaturaux, bref, correspondant parfaitement à l’esprit « comic book » du récit. Ce même caractère se retrouve d'ailleurs dans les moindres détails du film, autant dans la mise en scène que dans le montage ou le traitement sonore.

En effet, alors que les bruits tels un cri ou une cloche d'école se font non seulement entendre, mais aussi voir par une série de lettres venant illustrer l'élément sonore, les cadrages et l'enchainement des plans donnent souvent l'impression de voir défiler les cases d'une bande dessinée dont on se dépêcherait de tourner la page dans l’anticipation du prochain rebondissement. Le montage, rapide, calculé et presque étourdissant, soutient les dialogues, les changements de lieux et les ellipses qui se font à un tel rythme pendant la première moitié du film qu'il n'est pas toujours facile de suivre l'action et les passages amusants. Certes, ce montage hyperactif en rebutera peut-être certains. Il faut d'ailleurs quelques minutes pour s'adapter au rythme effréné que prend le film, surtout lorsque cet assemblage est accompagné d'effets visuels dignes des jeux vidéo les plus colorés. On aime les coeurs en 3D émanant des baisers de Scott et Ramona, on aime le kitsch assumé et le côté geek glorifié.

Les scènes de combat rappelleront d’ailleurs à certains toutes ces heures passées devant le téléviseur à jouer à leur console. À l’époque de Spaced, projet pour lequel il n’avait pas un très gros budget, Wright avait déjà fait preuve d’une grande inventivité. Cette fois-ci, le réalisateur avait les moyens et la liberté de vraiment aller au bout de ses idées et de rendre un hommage vibrant à la jeunesse d’une certaine génération. On se réjouit d’entendre le fameux « K.O. » (si familier pour certains) marquant la fin d’une bataille, ou de voir les enchaînements de coups tel un combo dont le spectateur serait l’instigateur. L'incorporation des éléments du jeu vidéo, ainsi que la maîtrise visuelle des bagarres avec les ex maléfiques rendent ces scènes d'autant plus efficaces. Alors que certains films dont les scènes de bagarre mal montées, mal cadrées, ou pas assez claires perdent automatiquement en attrait, dans le cas de Scott Pilgrim vs. the World, le plaisir est décuplé.

Ainsi, les adeptes de la bande dessinée qui connaissaient l'existence de ce projet avant même le début du photoblogue du réalisateur et qui attendaient la sortie du présent effort depuis des années auront été bien servis. Certes, tout n'aura pas été inclus dans le film. Certains passages auront été modifiés ou effacés et quelques personnages complètement retirés du récit. Mais en cherchant à adapter cette oeuvre maintenant culte, Wright aura réussi à nous tenir en haleine jusqu'au bout et finalement à gagner son pari en réunissant tous les ingrédients nécessaires à la réalisation d'un divertissement d'une originalité sans pareil. La promotion même de la production s’est d’ailleurs déroulée durant plusieurs mois avant sa sortie officielle, et ce, à travers une gamme assez impressionnante d’outils déviant radicalement de la traditionnelle bande-annonce. Ainsi, la création d’un site officiel interactif, la diffusion de multiples extraits sous forme de remixes audiovisuels et l’utilisation de divers medias sociaux sont autant d’exemples d’une mise en marché rejoignant intrinsèquement la génération dont l’oeuvre se fait la porte-parole. Ces « bonbons » publicitaires auront ainsi contribué à faire de Scott Pilgrim vs. the World, non seulement un film, mais bien un événement, un phénomène (pour le plaisir des fans avides et enthousiastes).

Mais ce plaisir est-il contagieux chez les non-initiés, vous demanderez-vous avec raison. N'ayez crainte, le dernier opus d'Egar Wright plaira tout autant aux adeptes du réalisateur qu'aux fans de l'oeuvre d'origine et à ceux qui ne la connaissent pas. Scott Pilgrim vs. the World plaira probablement plus aux spectateurs d’une certaine génération qui seront en mesure de comprendre les nombreuses références à une certaine culture populaire. Le réalisateur étant lui-même cinéphile et bon connaisseur de cette même culture, on sent bien que c'est avec une totale satisfaction qu'il se permet ses nombreux clins d'oeil et hommages. Le résultat final est difficilement comparable à d’autres films puisqu’il ne s’était pas vraiment fait d’autres productions dans ce style auparavant. Et tandis que certains diront qu’il faudra attendre plusieurs années avant de voir si l’effort survivra à l’épreuve du temps, il est clair qu’il y aura désormais un « avant » et un « après » Scott Pilgrim vs. the World, film emblématique d’une génération enfin assez vieille pour faire du cinéma sur sa propre jeunesse.
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Critique publiée le 17 août 2010.