DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Get Low (2009)
Aaron Schneider

« If I could change one thing about myself, I would not take it all so seriously... »

Par Maxime Monast
Il faut se préparer à la mort de nos paires. Notre famille et nos amis ne seront pas toujours avec nous. Peut-être que vous serez les premiers à partir ou peut-être allez-vous les voir disparaître les uns à la suite des autres. La mort, sans être trop fataliste, est une certitude. Personne ne peut vivre éternellement de manière physique. Par contre, on peut vivre dans l'esprit, dans la mémoire d'une génération. Mais cela ne se réalise seulement que si nous avons marqué notre entourage, si l’on continue à parler de nous. Les histoires et les anecdotes tiennent une place primordiale dans ce partage d’information. En traversant les époques, ces souvenirs ne se dissipent évidemment pas s’ils sont encore présents dans la bouche d’autrui. De cette pensée, on trouve certainement les bases du film Get Low du réalisateur oscarisé Aaron Schneider. Reconnu pour son court métrage Two Soldiers de 2003, ceci marque la première incursion du cinéaste dans le monde du long métrage. Ce dernier choisit pour l’occasion de nous présenter un récit s’articulant autour de la durée de vie de la mémoire. La préparation des dernières volontés du personnage principal en est d’ailleurs le point central. Les grandes lignes d’une existence complexe devant se clore de manière cathartique. Un désir de partager une histoire secrète, cachée du monde extérieur, mais qui se doit d’être finalement révélée.

Film d'époque, ce sera une légende, créée par d'autres, que Felix Bush (Robert Duvall) vit depuis maintenant quarante ans. Cloîtré dans sa maison dans les bois, il évite tout contact avec les autres villageois. Un ermite par choix, il incarne ce « vieux fou » qui effraie les jeunes. Mais après une existence de solitude et d’angoisse, Felix décide de commencer les préparatifs pour ses éventuelles funérailles. Par contre, celui-ci veut y assister. Il veut une fête, non pas pour l'honorer, mais pour que les participants racontent une histoire inventée à son sujet. Il s'allie alors avec la maison funéraire de la région opérée par Frank Quinn (Bill Murray) et Buddy (Lucas Black). Très vite, l'austérité et le mécontentement de Bush se dissipent. Personne ne le connaît vraiment, sauf peut-être sa vieille amie Mattie (Sissy Spacek). Il est devenu un mythe créé de l’imagination des villageois. Le film explore ainsi la peur de ce que l'on ne connaît pas de l’autre, et il n'y a rien de plus effrayant. La peur de l’inconnu maintient d’ailleurs son emprise sur chacun des personnages de Get Low. Certainement, ce trait est récurrent de génération en génération.

À travers les différentes strates de la personnalité de Bush, on arrive à un secret. La trame narrative du film pique notre curiosité dès le départ. Ce mystère et ce qu’est devenu Bush sont inconnus de la majorité des habitants du village. Frank et Buddy ramènent alors le fantôme de Felix à la vie. La présence de ce dernier parmi la population démystifie son personnage et la conception que les autres avaient de lui. Par contre, il ne s’explique à personne.  Il préserve ce secret et choisit de ne le dévoiler qu’à la toute dernière minute. Et ce geste fait la beauté de ce récit et de ses personnages. On travaille sur l’inconnu pour capter l’imagination et garder le spectateur aux aguets. Par exemple, les détails sur l’ancienne vie de Bush sont tellement minimes que toute bribe d’information est captivante. Lorsque Mattie se rapproche de son ancien ami, son charme caché et sa vie amoureuse refont tranquillement surface. Le même genre d’idées se produit lorsqu’il transforme, au cours d’une superbe scène dans une station de radio, ses funérailles en pseudo loterie afin de léguer son lopin de terre après sa mort. Tout le monde est maintenant intéressé à se rapprocher de Bush, à le connaître. Durant le film, on s’habitue à ce genre de petits moments, et ce sont ceux-ci qui nous gardent éveillés.

Dans sa recherche esthétique, le film réussit parfaitement à saisir l’atmosphère des années 30. Sans être trop soigné et aberrant de couleurs vives, on sent les paysages et les gens au naturel. Mais, en voulant créer un équilibre entre ce thème d’époque et un courant moderne, certaines décisions détonnent. Le montage du film ne correspond ainsi aucunement à l’ambiance créée par les personnages et leur histoire. Ici, on change d’angle et de plan aux deux secondes. Le rythme est rapide et contemporain. En comparaison, la tranquillité et la modestie de Tsai Ming-Liang ou de Jim Jarmusch par rapport à la cadence nous paraissent plus appropriées. L’auditoire s’y conforme vite, mais ce procédé n’amène pas le film à terme. On sent ce manque, un oubli, dans le montage. Aussi, musicalement, le leitmotiv créé par Jan A.P. Kaczmarek vaut la peine d’être honoré. Sa finesse et la place de la musique traduisent ce cachet faisant de Get Low un film enivrant. Toutefois, la dernière pièce du film (chantée, contrairement au reste des compositions) détonne sensiblement du reste de la bande originale. Les paroles affectent l’ensemble, équivalant ici aux longues lamentations des violons bien placés dans le cinéma populaire.

En somme, on retient les dernières paroles de Felix Bush. On comprend pourquoi l’homme s’est enfoui dans les bois. D’abord déplaisant et mystérieux, on le connaît maintenant sous un nouvel angle. Le manque de mots et le rêve d’un trésor font de cette histoire un vrai conte. Ses aventures nous poussent à la recherche de son âme. Une chasse dont on revient bredouille, car ce n’était pas l’essence de ce récit. On ne comprend pas tout de Bush. Éventuellement, ce que l’on apprend ou n’apprend pas sur l’homme dépasse ce secret. Cette belle mort nous réconcilie avec cette idée farfelue de vouloir participer à ses propres funérailles. Le désir de se voir vivre dans la mémoire d’autrui nous paraît la meilleure façon de mourir.
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Critique publiée le 6 août 2010.