Disappearance of Alice Creed, The (2009)
J Blakeson
Huis clos
Par
Maxime Monast
« Le moins de lieux possible, s’il vous plaît! » est ce qu’un producteur dit la plupart du temps à un scénariste ou à un réalisateur. Avec des budgets souvent limités, un nombre restreint de déplacements et de locations de lieux est un vrai bonheur pour les portefeuilles légers. Et parfois, cette contrainte monétaire aide le récit et permet à son créateur d’obtenir le maximum d’un espace spécifique. En préparant un film, il est un bon exercice que de s’imposer des contraintes. Des idées géniales peuvent découler d’un travail plus exhaustif. Cette règle ne s’applique pas nécessairement à toutes formes de cinéma, mais il me semble logique d’explorer profondément un environnement, un lieu. Ce conseil est peut-être ce qui a mené à la genèse du film The Disappearance of Alice Creed de J Blakeson. Ici, on ne nous fait visiter que quelques endroits. Stratégiquement, la majorité du drame se déroule dans un appartement. Réaménagé avec de la mousse insonorisante et plusieurs cadenas, ce 3½ devient une vraie forteresse. C’est dans ce sanctuaire du mal, un peu moins extrême que ce que l’on nous suggère, que seront dévoilés plusieurs secrets et que seront faites de grandes confessions.
Peu à peu, le film nous dévoile Danny (Martin Compston) et Vic (Eddie Marsan), deux kidnappeurs. Anciens compagnons de cellule en prison, ils décident de poursuivre dans le vice. De façon méthodique et sérieuse, ils prennent en otage Alice Creed (Gemma Arterton), une fille de parents riches.
Très vite, ce premier long-métrage de J Blakeson établit un ton sérieux. Les ravisseurs sont à leur affaire. Ils se préparent de façon systématique. On sent que Vic, d’un âge plus mûr que Danny, a déjà fait ce genre de coups. Son regard est froid, stoïque et paternel. Les deux acteurs, durant les dix premières minutes, ne s’adressent pas la parole. Ce détail ne fait que renforcer le ton austère de l’oeuvre. On sent une hiérarchie entre les deux complices, un jeu de pouvoir qui prend forme dans la deuxième moitié du récit. Ces premières minutes sont, en effet, très révélatrices des fondements de The Disappearance of Alice Creed. Avec les détails que contient cette introduction, on peut déjà imaginer ce qui motivera ou déchirera les deux ravisseurs. Plusieurs de ces observations se révéleront d’ailleurs des pivots narratifs ou des traits particuliers. De manière posée, cette entrée en matière aide énormément à cerner ces personnages marginaux et leurs émotions fortes.
À l’instar de tous suspenses, on sent un profond désir des auteurs de nous surprendre. La volonté de trouver la machination parfaite doit ronger les méninges de l’écrivain : savoir créer un mystère à partir de bases réalistes est une tâche colossale. Sans tomber dans l’absurde ou dans le fantastique, il est difficile d’atteindre ce sommet avec des restrictions si conscrites. Ici, on joue avec le genre et ses règlements suffocants. On établit des certitudes pour, plus tard, les manier d’une nouvelle façon. Généralement, la tendance est de conserver le mystère jusqu’aux derniers instants, question d’avoir une finale pouvant servir de carte d'affaire au film. On se rappellera à jamais comment se terminait Fight Club ou The Prestige. On se sent bête de ne pas avoir remarqué les petits indices ou les allusions tout au long de l’effort. Mais un deuxième visionnement nous fait apprécier le tout encore plus. The Disappearance of Alice Creed ne fonctionne pas sur ce principe. Même si on nous offre plusieurs rebondissements, le film est aussi construit pour avoir une fin prévisible : la libération, morte ou vivante, d’Alice Creed. L’objectif n’est pas d'être étonné par la conclusion, c’est de suivre le cheminement rocambolesque de l’intrigue. Cette évidence paraît simpliste, mais entretient la tension tout au long du récit. Enfin, on ne peut que saluer les prouesses du scénario et de ces multiples changements d’enjeux.
Un autre point fort est intimement lié à ces nombreux pivots, que le film fait promptement défiler. On joue avec l’interprétation des acteurs et leur personnalité. En effet, avec les multiples changements de cap, les acteurs doivent modifier leur jeu. Ils se mettent à incarner des rôles différents pour chacune des nouvelles circonstances, certainement pour des motifs cachés. C’est notamment le cas lorsque Danny s’allie à Alice. Elle devrait donc maintenant « jouer » à la victime, même si elle sait que l’enlèvement fait parti d’un plus grand plan. Cette démarche permet d’approfondir les traits psychologiques des protagonistes. On nous pousse à oublier nos impressions originales. Le film repose sur cet atout : qui est capable de mieux mentir? En jouant des personnages différents - la victime, le kidnappeur, l’amoureux, le faible, l’autoritaire -, on s’assure d’exposer ces mensonges au public. Le film le garde à l’affût de chaque changement pour que l’enjeu se crée chez lui. Si les spectateurs ne sont pas investis dans ces changements, le film ne fonctionnerait pas. Un constat qui ne se produit aucunement, car le jeu des interprètes est magnifiquement paradoxal. Les acteurs sont, de manière très fondamentale, les meilleurs menteurs. Ils sont capables de nous faire croire à des sentiments fabriqués et à des actions inventées. On joue avec cette essence du cinéma. Une tâche que le film exécute élégamment.
De façon symptomatique, The Disappearance of Alice Creed ne fait jamais état du monde extérieur. Il se concentre sur ses trois personnages principaux. On n’entend jamais parler de la police ou des parents d’Alice. Le tout se passe entre les trois, comme s’ils vivaient dans un monde inhabité. Ce détail, mise à part sa connotation budgétaire, resserre l’emprise du film. L’épopée est bel et bien sur ce qu’Alice Creed ressent. Elle est seule au monde avec ces deux escrocs. Elle ne peut faire confiance à personne. C’est dans ses moments que l’on comprend que le film, dans sa solitude et son huis clos, gagne en authenticité de manière exponentielle. Sans ces deux détails, nous n’aurions eu droit qu’à un autre film à numéro avec des personnages typiques, avec des parents trop sensibles ou des policiers incompétents. Bref, il est certain que ces détails nous marquent beaucoup. Si vous écoutez attentivement, il est impossible de ne pas être totalement investi dans l’histoire. Avec tant de revirements de situation, il ne reste qu’à choisir un personnage qui s’en sort sain et sauf.
Critique publiée le 28 juillet 2010.