Secret of NIMH, The (1982)
Don Bluth
Vive l'animation, l'animation libre
Par
Mathieu Li-Goyette
En 1982, lorsque Don Bluth et Gary Goldman voient leur premier long-métrage déferler dans les salles du globe avec autant de succès, la mission est déjà accomplie : des animateurs rebelles ayant quitté le studio Disney quatre années auparavant venaient de signer une réussite indépendante. Et pas n’importe laquelle. Animé selon les méthodes les plus traditionnelles, destiné aux enfants, mais aussi aux adultes par son rythme rapide et le refus des facilités narratives (les fameuses chansons de Disney), le premier opus du duo n’était jamais bien loin des préoccupations du studio qui l’avait formé. L’histoire de ces souris faisant équipe avec des rats, un hibou et un corbeau pour éviter de voir leur maison, creusée dans un bloc de béton, se faire ravager par la race humaine, rassemblera les animaux au nom de la solidarité et de l’importance d’une famille, chose que Disney, derrière ses décisions fréquemment manichéennes, n’a fait véhiculer que trop peu souvent.
Pied de nez aux nouvelles positions « disneyennes » préférant les raccourcis au travail de longue haleine intrinsèquement lié aux prouesses de l’animation classique, Bluth et Goldman créent leur propre univers, non loin de celui du géant, mais juste assez réfléchi pour donner l’impression que nous ne sommes pas en terrain connu, The Secret of NIMH sera non seulement une révolution pour le cinéma d’animation commercial, mais aussi pour toute l’industrie du divertissement pour enfants. Car avec cette percée, l’animation « pour tous » se mit à se disperser et à donner l’opportunité à quelques créateurs d’élaborer des fantaisies propres à leur style. De l’époque où Disney affichait son nom de producteur et présentateur au détriment du réalisateur du film (même si, dans les faits, il ne pouvait avoir d’auteur rivalisant avec la rigidité des commandements du studio), une nouvelle ère de l’animation où l’auteur reprendra possession de son oeuvre débute. Plus qu’une simple réussite, The Secret of NIMH est avant tout le flambeau de cette nouvelle génération.
Madame Brisby, veuve de Jonathan, doit donc sauver ses souriceaux de la menace humaine. Ces derniers, non pas représentés comme de lointaines ombres affectant de loin la diégèse - comme il en avait déjà été le cas à une certaine époque de ce genre : le film d’animation anthropomorphisant les animaux - ils agrémentent le récit dans leurs propres scènes, avec un langage compréhensible entendu autant par le spectateur que les animaux. C’est-à-dire que, par le montage alterné du film opposant le quotidien des souris à celui des hommes, nous sommes sans cesse dans l’entre-deux, incapable de définir l’un comme l’ennemi véritable de l’autre, car l’homme ne se douterait pas de l’intelligence de ces rongeurs; tout comme son caractère lui dicte qu’il doive se débarrasser d’elles, parasites de son champ de blé. À l’opposé, une distinction claire sépare rats et souris. Madame Brisby, femme de la première souris intelligente le feu Jonathan, entre dans le repaire de ses cousins en s’émerveillant de leur maîtrise de l’électricité. Intelligents, écrivant le langage des hommes et s’étant organisés en microsociété, ces rats (tout comme Jonathan ou le médecin des souris l’étaient) sont en fait des cobayes de laboratoire d’une vile société nommée NIMH. Les seuls rescapés sont aujourd’hui ceux qui mènent leur peuple vers un exil qui devrait leur permettre de cesser d’utiliser les ressources humaines, une pratique déplorée de plus en plus.
NIMH est une menace invisible, jamais représentée, sinon que par des tracteurs et des seringues géantes, proportionnellement gigantesque aux côtés de nos minuscules héros. Elle est la seule embûche en plus d’un chat ignoble et d’un chef rat cherchant à usurper le trône. Là où Disney organisait ses récits en fonction d’une séparation claire entre « bons » et « vilains » à l’intérieur de la structure du conte classique, Bluth et Goldman préfèrent nettement la métaphore sur la société contemporaine entrecroisant assez de quêtes et de personnages pour brouiller les pistes. Encore une fois, nuance et travail acharné sont les mots d’ordre.
On s’explique alors l’intelligence de ces rongeurs à la suite des expériences de NIMH. On les esquisse d’abord comme des rats et des souris dans un style « réaliste » pour ensuite, une fois la métamorphose complétée, les dessiner finement dans un style plus « cartoonesque », faire de leurs figures affilés des visages souriants, des petites joues, des bajoues pesantes mettant l’emphase sur leurs visages moelleux et non plus émaciés. Pareillement, les points noirs qui indiquaient l’emplacement des yeux font place à des globes oculaires décorés d’une pupille, d’un iris et de cils transformant le rongeur, vivant dans le monde des hommes, en personnage à la forme de souris ayant créé son propre monde. Anthropomorphisé sous nos yeux par le coup de crayon précis de Don Bluth, leur enveloppe comique n’est pas sans rappeler les autres créations du dessinateur à l’époque de ses travaux chez Disney. Artisan dans le studio à l’époque de The Sword in the Stone (1963) et de Robin Hood (1969), on dénote facilement la filiation entre les renards et les ours de la forêt de Sherwood « bluthienne » avec la manière dont bouge ses personnages. Robin renvoyant aux déplacements de Brisby, le shérif de Nottingham renvoyant aux mouvements rapides du rat renégat, même frère Tuck annonce la carrure et le déambulement au rythme régulier de la grand-mère souris. Bluth ne se réinvente pas, mais se dédie plutôt dans une oeuvre où le pouvoir du crayon investit ici les simples animaux d’un pouvoir magique, celui de nous ressembler.
Si l’on peut affirmer qu’une telle mission fut souvent celle de Disney, la particularité de The Secret of NIMH est non seulement de présenter le processus de « cartoonisation » des dessins réalistes, mais bien de le faire à mi-chemin dans l’aventure de la petite souris Brisby. Après avoir fait sa connaissance sous les traits de sa gentillesse et de sa sagesse, ce n’est que plus tard que l’on nous confrontera à l’idée de l’expérience de la National Institute of Mental Health (NIMH) nous projetant dès lors dans le monde de Bluth et Goldman où le merveilleux trouve ses racines dans les tords du quotidien morne, figé dans ses idées lucratives. À l’image de ces rongeurs intelligents ayant su échapper aux expériences, les artisans de leur troupe d’animateurs tentent, eux aussi, d’échapper à l’éradication des libertés et à leur asservissement au nom d’une compagnie magnanime dissimulée sous le logo prônant le bonne santé de tous. De l’institut NIMH aux studios Disney, nombreux sont les liens faisant de la percée indépendante du duo Bluth-Goldman une allégorie nuancée sur l’état de l’animation américaine au tournant des années 80. Par ailleurs, pas étonnant que la souris toute parfaite Mickey ait fait place à la plus réaliste, mais plus expressive Brisby. Aux cercles concentriques prônés pour les besoins de la rapidité se succèdent le pelage flatté par le vent de Brisby.
Mis à part cette comparaison où je ne souhaiterais pas plus étaler les rapprochements fortuits ou réfléchis des auteurs, The Secret of NIMH demeure surtout un film généreux de son art et de ses personnages. De la petite souris frêle devant affronter les gargantuesques monstres de métal de l’homme aux personnages de Nicodemus ou du sage hibou guidant le parcours de dame Brisby à la rescousse de sa famille, le temps est pris pour faire de la réconciliation avec la mémoire du défunt mari la motivation et la beauté de toute l’oeuvre. Les proches seront enfin réunis à la fin, le corbeau - faire-valoir hilarant du film - trouvera une compagne et l’harmonie reviendra dans un petit monde où le chaos n’a pourtant jamais dominé. Bluth et Goldman planifient dans les demi-teintes du manichéisme, conçoivent dans l’esprit d’une épopée aux déplacements minimalistes, mais aux grandes préoccupations internes, émotives, devenant, elles, les enjeux principaux d’une histoire reposant sur les valeurs de la famille et de la gentillesse plutôt que de l’adversité. Harmonie avec la nature avant d’être combat, The Secret of NIMH se révèlera l’oeuvre la plus maîtrisée de la paire de conteurs et leur film se gardant le plus des concessions d’acabit « spielbergiennes » à venir. De grandes choses dans de plus petites… Où l’émotion nous submerge non pas par la pesanteur des enjeux, mais bien par l’importance du détail - du dessin, des reflets, des jeux de lumières, des rayons de soleil couchant ou des ondelettes aquatiques miroitantes - et de la solidarité des sous-estimés et des enfants, tous deux représentants des spectateurs, petits et grands.
Critique publiée le 27 juillet 2010.