Notre maître
Par
Maxime Monast
On ne rend pas hommage en oubliant. Notre respect doit s’étendre et durer sur une longue période de temps. Chacun d’entre nous a une manière différente d’honorer une personne. Mort ou vivant, l’admiration que l’on ressent pour un individu est persistante. Il faut faire un effort considérable, souvent empreint d’émotions, mais ce geste est nécessaire. Il n’y aucun autre genre cinématographique répondant aussi bien à cet archétype que le film de kung-fu. Le lien qui est créé entre dans cette hiérarchie et traverse les siècles. En effet, le maître d’une école règne tel un paternel. Ses disciples se laissent manier pour devenir des experts d’un art martial donné. En retour, ceux-ci choisissent d’offrir leur ultime dévotion à un homme et ses pratiques.
Le cinéma d’Hong Kong nous a évidemment offert depuis le temps une impressionnante palette de films d’arts martiaux. Les dogmes et les consignes de cette philosophie ont été transmis à une nouvelle génération par l’empreinte du celluloïd. Le studio le plus reconnu et le plus exporté est devenu celui des frères Shaw. Avec, entre autres, The 36th Chamber of Shaolin et The One-Armed Swordsman, le studio s’est taillé une réputation plus qu’enviable en créant un alliage d’action et d’émotions humaines. En utilisant les bases rationnelles du kung-fu, ils ont réussi à justifier la violence par le biais de la défense. C’est avec ce bagage cinématographique que Clement Cheng et Derek Kwok décident de rendre hommage au genre. Gallants, comme les films des studios Shaw, est né d’un désir d’initier une nouvelle génération au principe de l’art et du respect qui s’impose. Ils mélangent la recherche d’un perfectionnement spirituel par la discipline physique. La violence, inévitable dans un monde souvent divisé de manière dichotomique, n’est pas la base de ce cinéma. Elle est un obstacle. Elle devient un défi que chaque disciple est tenu de surmonter pour être capable de retourner à ces moments de paix et de sérénité.
Avec de grosses lunettes et des cheveux frisés, Cheung (Wong You Nam) est la risée de son entourage. Il est maladroit. Suite à une erreur de la firme d’agents immobiliers pour laquelle il travaille, il se fait expédier dans un autre village. Il est chargé de régler une dispute de bail pour la reconstruction de la région. Sa maladresse le suit évidemment partout. Lors d’une altercation avec des villageois, Tiger (Siu-Lung Leung) viendra à sa rescousse. Cheung ira ensuite jusqu'à suivre son sauveur pour apprendre qu’il est l’un des disciples du maître Law (Teddy Robin Kwan). Dans le coma depuis déjà trente ans, ces deux disciples les plus fidèles, Tiger et Dragon (Kuan Tai Chen), veillent sur lui. En transformant leur ancien kwoon en restaurant, ils ont été capables de survivre aux changements économiques. Peu après l’arrivée de Cheung, maître Law se réveille et l’entraînement recommence. Il veut même inscrire ses disciples à un tournoi d’arts martiaux organisé par maître Pong (Wai-Man Chan) et sa bande. Et c’est dans cette pagaille que Cheung réalise son rêve : apprendre le kung-fu.
D’une manière très générale, Gallants offre un récit assez conventionnel. Son histoire pige dans les classiques du kung-fu. Le respect face au maître, comme nous l’avons déjà mentionné, est la tête d’affiche du genre. Mais des thèmes tels la vengeance, l’honneur et le développement personnel sont aussi importants pour transmettre l’essentiel de cet art. Cheung est un personnage emblématique. Son seul but est d’être capable de se défendre au même titre que ses attaquants. Il veut être traité de manière égale. Il englobe tous les marginaux, les exclus et les hétérodoxes. En le choisissant comme personnage principal, nous sommes capables de découvrir la culture et l’attitude du kung-fu. À travers ses yeux vierges, le public voit un monde qui vaut la peine d’être découvert, témoin d’une manière de vivre qui enrichit ses adeptes. Avec cette pratique, le récit coule aisément et sans obstacles. Il ne fait que suivre son cours.
Avec le désir de livrer un récit riche en symbolisme, les deux réalisateurs emploient plusieurs tactiques payantes. On retrouve un grand souci du réalisme dans les chorégraphies. Organisés par le très populaire Yuen Tak, les combats sont dirigés avec finesse et regorgent de l’expérience des multiples acteurs de renom. Le kung-fu, qui n’est pas la base du film (mais plutôt un atout), est l’équivalent d’une danse improvisée pour les spectateurs. Et c’est comme ça que Gallants gagne dans un réalisme scénarisé, tant dans ses affrontements que dans son histoire. Ici, on oublie la tendance récente de faire des acrobaties humainement impossibles (aidées par des poulies et des câbles). La beauté qu’est un corps flexible montre sa pleine valeur en se défendant. Une autre manoeuvre qui est intimement liée aux séquences d’action, c’est le montage. Le rythme des chorégraphies est souvent hyper rapide et donne le maximum d’intensité aux combats. Il est clair que la cadence du mouvement est le point de référence. C’est un peu le même principe dans l’ensemble du film. On ne nous présente pas seulement combat après combat. Ceux-ci sont justifiés et jamais provoqués de manière purement divertissante. Ils sont utiles à la trame narrative, tant dans le développement d’un personnage qu’à un moment clé pour l’histoire. On préfère donner la voix du film aux moments dramatiques et garder l’emphase sur le récit. Cet équilibre conçu par le rythme varié ne provoque ainsi aucune longueur.
Gallants est aussi un amalgame complexe de plusieurs styles visuels. Cheng et Kwok ont choisi d’explorer non seulement les films de kung-fu de leur jeunesse, mais aussi toutes les sources d’inspiration connexes. Avec plusieurs intertitres et effets visuels, on sent une forte présence de l’animation chinoise. En effet, les cinéastes ont choisit d’inclure des dessins pour accentuer certains coups. Par exemple, à chaque fois qu’un os se brise, les images dessinées sont remplies de couleurs vives. C’est le cas lorsque Tiger se casse la jambe et que Dragon se fracture la main. Aussi, le même stratagème est utilisé lorsque Kwai (J.J. Jia) explique sa présence au salon de thé Law. Une superbe séquence d’animation endiable son histoire. Le tout dynamise énormément la scène et facilite son intégration. En employant cette technique à des moments clés, on ressent sa portée d’une manière beaucoup plus percutante.
En somme, le plaisir et l’humour qui traversent Gallants sont des plus purs. Fait avec une notion approfondie et un amour du sujet, les réalisateurs se gâtent avec leur dada. Une passion partagée par plusieurs. Même les plus réticents seront absorbés par cet univers excentrique. Il est peut-être plus simple de se laisser emporter par ses moments d’action sublimes et ses prouesses humoristiques. Nous devons d’ailleurs saluer la performance de Teddy Robin Kwan, qui trouve un équilibre parfait entre sénile et complaisant. Du vrai bonbon! Voici un exemple parfait d’un genre surexploité, mais qui regorge encore d’une vitalité cachée. Il faut seulement avoir assez de volonté pour la trouver.
Critique publiée le 15 juillet 2010.