S’il y a une chose dont nous raffolons au Québec, ce sont de ces histoires de gens tout ce qu’il y a de plus ordinaires appelés soudainement à réaliser un exploit hors du commun. Mais ce que nous aimons plus encore, c’est de voir l’une de ces (nouvelles) idoles tomber de son piédestal pour se retrouver de nouveau parmi nous, simples mortels imparfaits. Tout les coups semblent alors permis, les médias partant à la chasse de l’épisode le moins reluisant de l’existence de notre héros comme s’il fallait à tout prix éclipser les prouesses de ce dernier. Dans cet ordre d’idées, la petite histoire du commandant Robert Piché possédait visiblement tous les éléments nécessaires pour offrir au spectateur un scénario digne de ce nom : drames familiaux, héroïsme, scandales, et un individu victime de son propre succès qui devra faire face à de vieux démons qu’il croyait pourtant disparus depuis belle lurette. Nous pouvions néanmoins nous interroger quant à la réelle nécessité de porter un tel récit au grand écran, surtout que celui-ci aura joui d’une couverture médiatique pour le moins dithyrambique il n’y a pas si longtemps de cela. Le projet devant être originalement réalisé par Érik Canuel, c’est finalement entre les mains de Sylvain Archambault qu’il termina sa course. Car nous sommes aussi prêts à pardonner bien des choses dans la belle province - même Pour toujours les Canadiens - et à redonner le bénéfice du doute à quiconque sait faire preuve d’un peu de bonne volonté. La bonne nouvelle dans ce cas-ci, c’est que contrairement à son premier long-métrage, Archambault réussit à mener l’engin à destination en un seul morceau. La mauvaise, c’est que le voyage ne s’effectue malheureusement pas sans que le réalisateur ne fasse plusieurs erreurs de pilotage.
Le 24 Août 2001, Robert Piché devient un héros aux yeux du monde entier. L’Airbus A330 que pilote ce dernier est soudainement victime d’une fuite de carburant. Sans moteurs, Piché réussit l’impensable en effectuant un atterrissage d’urgence à la base militaire de Lajes, au Portugal, sauvant ainsi la vie des quelques 300 passagers et membres de l’équipage qui se trouvaient à bord de l’appareil. En couvrant l’événement, certains journalistes découvrent toutefois que non seulement le commandant a déjà fait le transport de stupéfiants, mais qu’il a aussi été incarcéré pour un tel crime pendant dix-huit mois dans un pénitencier américain. Une éclaboussure que le principal intéressé redoutait évidemment depuis le jour de l’incident et qui aggravera passablement son problème d’alcoolisme, au point de le pousser à aller passer un séjour en centre de désintoxication. Là où Archambault et le scénariste Ian Lauzon chercheront d’abord à jouer de finesse, c’est en racontant l’épopée de leur protagoniste dans le désordre. Le duo enchainera ainsi entre les frasques et les malheurs d’un jeune Piché irresponsable vivant continuellement dans la débauche (Maxime Leflaguais) et dont le désir de voler l’amènera à commettre le délit évoqué plus haut, et le quotidien d’un Piché plus âgé (Michel Côté) qui était enfin parvenu à s’installer confortablement en banlieue avec sa petite famille. Un tel montage se révélera d’abord tout à fait logique étant donnée la façon dont celui-ci se retrouvera étroitement lié à la mémoire du personnage principal. Le tout permettra également de joindre les deux chapitres les plus notables de la vie du pilote, qui étaient jusqu’alors séparés par près de deux décennies. Mais en optant pour une telle structure narrative, Archambault et Lauzon finissent aussi par affaiblir le drame, charcutant ses moments clés en plusieurs morceaux avant de les réassembler en un tout pas toujours très cohérent.
Le récit de Robert Piché était néanmoins propice à l’exploration d’avenues scénaristiques plus qu’intéressantes. Ainsi, plutôt que de nous proposer la biographie d’un homme désirant faire le ménage dans sa vie en l’attente de jours meilleurs, Piché: entre ciel et terre se concentre davantage sur le parcours d’un individu qui ne cherchera désespérément à se pardonner à lui-même qu’une fois le fameux exploit accompli. Mais si le duo aura su faire preuve d’initiative dans la manière d’organiser son scénario, l’ensemble n’est définitivement pas aidé par la mise en scène souvent brouillonne de Sylvain Archambault. D’une part, le réalisateur a tendance à privilégier l’exagération dans sa façon de présenter les différentes étapes du parcours de son personnage, tout comme son tempérament, dans le but d’accentuer la gravité des diverses mises en situation. Ce sera le cas, par exemple, lors de ce séjour infernal en prison au cours duquel Piché sera témoin de comportements on ne peut plus douteux et répréhensibles - et ce, autant de sa part que de celle des autres détenus - et de cette confrontation entre le pilote et sa fille aînée que nous croirons sortie tout droit d’un mauvais téléroman. Ce manque de subtilité sera également perceptible lorsque le cinéaste québécois commencera à mettre la table pour le vol catastrophe, nous montrant des passagers souriants et en pleine santé dans une inévitable série de séquences auxquelles il n’aurait manqué qu’une musique ridiculement mélodramatique. À ce portrait déjà peu étincelant s’ajouteront plusieurs dialogues de piètre qualité ainsi qu’une direction photo des plus inégales formée de couleurs fades et de jeux de perspective souvent mal calculés. Les instigateurs du présent exercice seront tout de même épaulés par une distribution qui, à défaut de faire des miracles, offre une prestation d’ensemble suffisamment convaincante pour empêcher le film de sombrer dans la mièvrerie.
L’un des meilleurs coups du duo Archambault-Lauzon aura été de conserver l’épisode de l’atterrissage forcé - qui demeure en soi le principal argument de vente d’une telle production - pour les tous derniers instants du film. Mais il ne s’agit toutefois pas ici de simplement garder « le meilleur » pour la fin, mais aussi de corriger ce que le cours des événements aura entraîné originalement. Ce sont du coup les gestes héroïques posés par le commandant Piché qui viendront faire oublier dans ce cas-ci le passé parfois houleux de ce dernier et non l’inverse, rendant finalement les mérites et la dignité publique à un homme dont le plus grand ennemi aura toujours été lui-même. Les deux cinéastes ne réussissent cependant jamais à imposer leur projet comme un essentiel, une histoire qui devait absolument être immortalisée par la machine cinématographique. Archambault et Lauzon raconte ainsi leur histoire d’une manière suffisamment sentie et honnête, mais sans jamais parvenir à la rendre transcendante, s’inspirant constamment d’autres essais beaucoup plus marquants du genre pour arriver à leurs fins, même s’ils cherchent sans cesse à afficher une volonté de faire les choses différemment. Évidemment, une telle entreprise aurait sans aucun doute bénéficié d’un emballage esthétique un peu plus travaillé. Car s’il y a un lien à faire entre Pour toujours les Canadiens et ce Piché: entre ciel et terre, c’est que nous avons définitivement affaire dans les deux cas à une oeuvre inachevée. Deux films dont la plupart des idées n’auront pu être menées à terme pour que ceux-ci soient en mesure de respecter un échéancier bien précis, que ce soit pour souligner le centenaire d’une prestigieuse équipe de hockey ou pour tirer son épingle du jeu au plus fort de la saison estivale…
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