Chuchotement
Par
Maxime Monast
Rares sont les moments de vérité. Il est beaucoup plus facile de mentir. Si l’on prend le temps de s'inventer un monde de fiction, on peut apprendre à y vivre. Il faut croire à son mensonge et le vendre aux autres. La vérité est complexe, mais contrairement au mensonge, elle est naturelle. Elle est pure. C'est autour de ce leitmotiv que Jay et Mark Duplass articulent leur cinéma - affectueusement nommé « mumblecore ». Ces derniers se retrouvent d’ailleurs en ce moment dans l’épicentre des réalisateurs adeptes de ce mouvement indépendant. Avec peu de moyens, il lance le tout avec The Puffy Chair. Avec un penchant pour le Dogme 95 et l'improvisation, ils signent une oeuvre sans prétention et sans artifices. Leur cinéma devient une nécessité : le désir des images. Le succès est instantané et le genre persiste avec des films comme LOL, Humpday et Mutual Appreciation. Le tout nous rappelle la force de John Cassavetes dans les années 70, avec des ambitions et des réactions comparables. Mais avec ce succès, les frères Duplass sont les premiers à sortir du circuit festivalier et a essayer de conquérir le paysage cinématographique avec leur style évocateur. Ceci permet évidemment une hausse du budget et l’embauche d’acteurs de renom. Ici, c’est avec la participation de John C. Reilly, Jonah Hill, Marisa Tomei et Catherine Keener qu’ils présentent leur première entrée dans le monde populaire. Des acteurs avec plusieurs films puissants inscrits sur leur feuille de route que l’on reconnaît instantanément lorsque nous les apercevons à l’écran. Le produit est donc Cyrus, vendu comme une comédie typique, mais qui regorge d’éléments dramatiques.
Début quarantaine, John (Reilly) est divorcé. Sa vie est clairement en ruines. Suite au conseil de son ex-femme (Keener), il décide de sortir de sa maison devenue un exutoire. Il fait la rencontre de Molly (Tomei) et le lien est instantané. Elle voit une honnêteté chez John, contrairement aux autres femmes qu’il rencontre qui ne voit en lui que son pathétisme. Après quelques tête-à-tête, John fait la rencontre de Cyrus (Hill), le fils de Molly. Évidemment, le jeune garçon, dans la vingtaine, n’est pas particulièrement enchanté par ce nouvel amour. Par contre, il est respectueux à l’égard de John. Il fait l’effort d’essayer de le connaître. John, en revanche, doute de cet accueil qui lui semble faux. Même si Cyrus reprend une histoire surutilisée, son contenu est déférent et y ajoute une touche d’originalité. Il est facile de tomber dans le piège de la facilité narrative. Les spectateurs sont conditionnés à leurs souvenirs de visionnements précédents. Ils passent à travers un répertoire connoté : ça leur rappelle des images, des sensations. Les frères Duplass jouent avec ce principe et en extrapolent une vision plus directe, une tentative vers le réel.
Contrairement à ce que les bandes-annonces de Cyrus pouvaient nous faire croire, les moments de comédie sont plutôt rares ici. On essaye de vendre le produit en alliant ce qui a rendu ces acteurs connus, en choisissant d’oublier que l’emphase n’est pas sur ce côté amusant. Avec les quelques moments comiques, on ne rit pas pour des bouffonneries faciles, un humour slapstick, mais plutôt pour des blagues de contenu. Les Duplass ont misé sur ce point pour légitimer leur oeuvre, garder une part de sérieux. L’approche dramatique est donc forte, sans être aberrante. Le but est d’offrir un sentiment d’attachement aux personnages et de comprendre leur motivation. Cette heuristique est peut-être simple, mais elle fonctionne à merveille. On l’a retrouve dans les deux personnages principaux, John et Cyrus. Il faut être capable de saisir pourquoi John tente de s’approcher de Molly, pourquoi il ressent ce sentiment offensif de la part de Cyrus. De même, le spectateur doit aussi saisir pourquoi Cyrus est à la fois amical et réticent envers le nouvel amant de sa mère et ce qu’il tente de faire pour le sortir du portrait. Ultimement, Cyrus offre le dénouement espéré. Sous forme d’affrontement, les deux hommes commencent cette guerre pour le coeur de la même femme. Mais, il faut comprendre que les deux l’aiment d’une manière différente. Et on nous prépare, on prend son temps, avant que cette bataille ait finalement lieu.
Ce qui distingue Cyrus des autres films de son genre est bel et bien la dévotion des acteurs face à leurs personnages. Ils jouent vrai, si ce concept vous paraît possible. Les sentiments qu’ils ressentent offrent un vrai paysage sur l’amour. Une réalité : des sensations qui sont à la fois universelles et très personnelles. Il est possible qu’ici on tente d’unir le vrai et la fiction. On sent que l’on pige dans un registre plus intime pour les acteurs. Le choix de ceux-ci me semble crucial, ils sont uniquement bien placés et sans attaches à leurs rôles précédents. On oublie pour la durée du film que l’on a affaire à des acteurs professionnels lisant un scénario peaufiné. On sent les expériences personnelles qui se mêlent aux scènes écrites. On est témoin des changements de dernière minute sur le plateau, mais qui tombe pile sur le pathos des personnages. En effet, le style visuel des Duplass est directement lié à ce sentiment. Ici, on emploie des caméras numériques et on abuse agréablement des zooms. Ils recadrent et recadrent pour des raisons qui nous échappent, mais on comprend soudainement mieux ces individus.
Toute réflexion faite, Cyrus témoigne du passage des frères Duplass vers un nouveau public. Plus accessible et hautement divertissant, le film contient les éléments qui charment les amateurs de cinéma indépendant et ouvre la porte aux consommateurs modérés. Il est clair que plusieurs spectateurs se feront prendre par la publicité un peu trompeuse. Le spectateur espèrera une comédie à la Step Brothers d’Adam McKay ou Superbad de Greg Mottola. L’effet similaire a été observé lors de la sortie du film Greenberg de Noah Baumbach. On les déguise pour attirer un nouvel auditoire. Une tendance qui se maintient lorsque des acteurs connus pour leurs rôles comiques décident de s’associer à une oeuvre sérieuse. Bref, cette malhonnêteté est payante dans le cas de Cyrus. Il est difficile de ne pas être charmé par ses personnages et leurs combats. On se retrouve peut-être dans un univers fabriqué, mais qui est néanmoins construit sur des vérités. Le meilleur des deux mondes.
Critique publiée le 2 juillet 2010.